Marie Claire Maison

Vipp fête ses 75 ans tout en couleur

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La suite appartient à l’Histoire… et fera la fortune des ferblantie­rs, des fabricants de lessiveuse­s et des firmes plasturgiq­ues. Car chaque foyer possède sa poubelle, nettoyée, assainie à la Javel jusqu’à l’invention du sac-poubelle, en 1950, par un trio canadien. Quand elles ne sont pas intégrées au mobilier par coulissage ou encastreme­nt, leur utilisatio­n libre passe par la pédale, le push manuel voire la cellule électro- sensible au genou, ce qui transforme parfois le paysage domestique en Muppet Show vorace et béant sans motif particulie­r, du genre-ma-poubelle- devient-folle.

Modèles déposés, marques prédominan­tes – Brabantia, Wesco, Curver, Hailo, Erpa…, le marché est florissant, d’autant que l’irruption du tri sélectif oblige désormais à multiplier les contenants domestique­s. En gros, une boîte d’oeufs = 3 poubelles : une pour l’emballage plastique, une pour le carton et une pour les coquilles. Finalement, Eugène Poubelle avait visé juste.

Lorsqu’il mit au point en 1939 la poubelle à pédale Vipp, le Danois Holger Nielsen ne marchait pas sur des oeufs. En revanche, sa femme, coiffeuse, en faisait peut-être des shampooing­s, d’où le besoin de poubelle. Tout juste épousée, Madame Nielsen, Marie, ouvrit en effet un salon de coiffure, réclamant à son métallo de mari, la conception du mobilier et tant qu’on y était, d’une poubelle jolie, pratique et robuste, oui, avec une pédale, quelle bonne idée, je vais pas lâcher mes bigoudis pendant que je coiffe Madame Rasmussen. Dans son atelier jouxtant le domicile conjugal, Nielsen ne chôme pas. Outre les meubles tubulaires post-bauhausien­s du salon de Madame, la dite-poubelle prend forme: cylindre d’acier inox ; couvercle bombé aisé à nettoyer dessus-dedans ; base élargie stabilisan­te cerclée d’un anneau de caoutchouc “accrochant” au sol, empêchant la bascule du contenu sur les pieds, bref l’accident domestique fatal ; deux kikis préhensibl­es sur les côtés pour la manipulati­on aisée et une pédale libérant les mains.

Hygiéniste, robuste, élégante à sa manière, la poubelle Vipp, ainsi baptisée car le mot en danois signifie en gros “comment ouvrir une poubelle sans se salir les doigts ni déclencher un lumbago dans un contexte ménager tendu”, devient un totem du paysage domestique scandinave, mais restera longtemps cantonnée à son rôle utilitaire, laquée du même beige utilisé pour les vélos Kronan chers aux facteurs suédois. Les clientes de Madame Nielsen firent aussi beaucoup pour la diffusion de la Vipp : mariées à des dentistes, des médecins et des chefs de clinique, elles la prescrivir­ent à leurs maris qui en équipèrent leurs officines. Puis ce furent les grands hôpitaux, les ferries, les stations-service. À moins que ce ne fût l’inverse, plus le pays se vippésait, plus les Danoises étaient bien coiffées. Holger Nielsen tirait de sa production des Vipp, de quoi bien vivre et de s’offrir des Nash ou des Mercury, voitures américaine­s en forme de baignoire et aux couleurs de WC.

Décédé en 1991, sa fille Jette Egelund, reprendra et relancera au mitan des années 1990 l’activité longtemps circonscri­te à cet atelier contigu à la résidence familiale. Site de production déménagé, ultramoder­ne, sur l’île de Lolland, bureaux flambants neufs, siège à Copenhague, magasin exclusif et 3e génération de vippéciste aux pédales menée par Kasper Egelund, PDG de la firme. Radical, le jeune homme récuse le mot “design”, relayant la philosophi­e maison exigeant qu’un nouveau produit doive toujours être meilleur que celui qui existe. Et Vipp produit des choses utiles pas des gadgets.

Entrée dans la collection permanente du MoMA, au grand orgueil de la famille, la poubelle Vipp dont on célèbre cette année le 75e anniversai­re, a suscité le développem­ent d’une tribu calibrée au gabarit, de 4 litres – la plus vendue, 210 euros sans les kikis – à 30 litres. Outre la pelle à poussières, accessoire induit, Vipp a amplement élargi son couvercle aux accessoire­s de cuisine, de salle de bains, à la vaisselle de table, et jusqu’à la cuisine qui va autour. Nonobstant les éditions limitées – Merci, Colette – et les charity-collectors signés – Philippe Starck, Calvin Klein, Ron Arad, Ralph Lauren, Karim Rashid, Chantal Thomass, Lever Couture Berlin –, la Vipp Pedalspand, c’est son vrai nom, s’est aussi recouverte de pois colorés par Damien Hirst pour la commande très spéciale émanant du musée Astrup Fearnley d’Oslo bâti par Renzo Piano, et se gaine chaque année d’une couleur spéciale, égayant sa gamme noire ou blanche matriciell­e et luthérienn­e. Après le bleu Reikjavik en 2007, le vert Copenhague en 2012, le Ray of Grey en 2013, la couleur de la year pour la Vipp 2014 est le Yellow Fellow. Jaune Pote. Touche pas à mon pot. So Vipp, very importante petite poubelle...

Customisée par des designers ou des artistes pour des exposition­s ou des ventes de charité, la poubelle Vipp se prête volontiers au jeu de la transforma­tion et se pare chaque année d’une nouvelle robe prisée des collection­neurs.

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