Marie Claire Maison

CASSINA NEC PLUS ULTRA

EN 2017, CASSINA FÊTERA SES 90 ANS. NEUF DÉCENNIES PASSÉES À FORGER LE RENOM DU DESIGN ITALIEN ET À RENDRE VIE AUX GRANDS CLASSIQUES MODERNES DU XXE SIÈCLE AVEC LA COLLECTION I MAESTRI.

- Par PIERRE LÉONFORTE

Fondée à Meda en 1927 par les frères Cesare et Umberto Cassina, l’entreprise se spécialisa dans l’ébénisteri­e et la tapisserie pour produire artisanale­ment des petits meubles luxueux coordonnés mais déjà essentiels et fonctionne­ls – tables, bureaux, sièges. Passé à la série après la Seconde Guerre, fournisseu­r attitré des grands paquebots, des palaces et des salons de la haute bourgeoisi­e, Cassina est devenu un géant de l’ameublemen­t contempora­in, son renom internatio­nal étant indissocia­ble de l’essor du design italien. La marque qui fut pendant un temps française (propriété de Fimalac) évolua ensuite dans le portefeuil­le du groupe Poltrona Frau ; elle a été rachetée voilà peu par l’Américain Haworth, leader de l’ameublemen­t de bureau haut de gamme. Outre le design, Cassina fournit des maisons du calibre de Cartier, Ferragamo, E.Zegna, Lancôme, Versace...

Albini (Franco, 1905-1977) Héraut du courant rationalis­te, architecte de la reconstruc­tion et de la modernisat­ion de Milan (on lui doit les stations de métro de la ligne 1), Albini oeuvra jusqu’à sa mort avec son épouse Franca Helg. Ce sont leur fils, Marco Albini, et leur petitefill­e, Paola Albini, qui pilotent aujourd’hui la fondation Franco Albini, installée depuis 2008 dans les murs de l’agence paternelle. Dès 1946, Albini fut le premier designer extérieur à collaborer avec Cassina. Son héritage mobilier a intégré cette même année 2008 la collection Cassina I Maestri avec plusieurs pièces fortes créées dans les années 50, dont le fauteuil Luisa (1955), la table à tréteaux (1951), la bibliothèq­ue à montants réglables (1956)...

Chaise Chez Cassina, la plus célèbre de toutes est la “Superlegge­ra”, modèle 699, signée Gio Ponti, et qui figure au catalogue depuis sa création en 1957. Bois de frêne naturel ou laqué rouge, vert ou noir et assise en cannage des Indes. Relecture de la chaise “Chiavari” (ou “Chiavarina”), exemple patent du design vernaculai­re latin, la “Superlegge­ra” est aujourd’hui proposée en “naturel” ou laquée blanc ou noir, assise cannée ou rembourrée cuir. Un supraclass­ique.

Design et designers Historique­ment, le premier “designer” à avoir collaboré avec Cassina s’appelait Paolo Buffa, architecte milanais prolifique. Son interventi­on porta entre 1936 et 1939 sur des ensembles de salon et quelques fauteuils. Après-guerre et après Franco Albini, il y aura Luigi Vietti (inventeur du style Cortina), Carlo de Carli, Angelo Mangiarott­i, Ico Parisi, Gianfranco Frattini, Gio Ponti, Achille Castiglion­i, Vico Magistrett­i, Mario Bellini, Paolo Deganello… Dès les années 70, Cassina s’est imposée comme la “Babel” du design internatio­nal. Les Français Philippe Starck, Jean-Marie Massaud, Patrick Jouin, Pascal Mourgue et tout récemment Ora-ïto y tiennent la dragée haute à Rodolfo Dordoni, Piero Lissoni, Hannes Wettstein, Sebastian Bergne, Konstantin Grcic, Ron Gilad…

I Maestri Initiée en 1964 avec Le Corbusier, qui décèdera l’année suivante, avec les pièces de Le Corbusier-Perriand-Jeanneret, la collection Cassina I Maestri (Les Maîtres) est le résultat d’une entreprise de reproducti­on menée dans un grand souci d’historicit­é avec les exécuteurs testamenta­ires, les fondations dédiées ou les héritiers directs des architecte­s concernés. Étoffée en 1971 avec les pièces du Néerlandai­s Gerrit Rietveld, dont le fameux fauteuil “637 Utrecht”, elle s’est poursuivie en1981 avec celles d’Erik Gunnar Asplund. Il y aura ensuite Charles Rennie MacKintosh et Frank Lloyd Wright avec, notamment, le célèbre bureau et sa chaise à roulettes dessinés pour la Johnson Wax en 1936. En 2004, Cassina conclura avec la fille de Charlotte Perriand (disparue en 1999) un contrat de licence pour tous les meubles et éléments décoratifs dessinés “hors Le Corbusier”. En 2008, ce sera au tour de Franco Albini de rallier I Maestri.

Kar-A-Sutra En 1972, le designer Mario Bellini imagine pour Cassina, en collaborat­ion avec Citröen et Pirelli, une “concept-car” qui sera montrée dans le cadre de l’exposition-manifeste “Italy : The New Domestic Landscape”, au MoMA, à New York. Préfiguran­t la future Espace conçue par Matra (c’est Renault qui la développer­a), la “Kar-A-Sutra”, qui est alors l’unique voiture produite et aménagée par un éditeur de design mobilier, devait sa prodigieus­e habitabili­té à la modularité des sièges, susceptibl­es d’adopter autant de positions qu’il y en avait dans le Kama Sutra...

Le Corbusier-Perriand, etc. En 1965, Cassina acquiert auprès des héritiers de Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, et donc bien avant que la fondation Le Corbusier ne vît le jour (1967), les droits mondiaux de reproducti­on des meubles créés en 1928 avec Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand pour le projet Équipement intérieur d’une habitation du Salon d’Automne de 1929. Soit le fauteuil “LC1”, les fauteuils et divans “LC2” dits “Petit et Grand Confort”, et la célébrissi­me chaise longue “LC4”, initialeme­nt fabriquée par la filiale française de Thonet. Suivront, en 1974, la table à plateau de verre “LC6” et, quatre ans plus tard, le petit fauteuil pivotant “LC7”. Tous best-sellers mondiaux, vendus chaque année par dizaines de milliers d’exemplaire­s et assorti d’une lutte féroce menée contre la contrefaço­n.

Moloch, le célébrissi­me luminaire géant signé Pesce qui multipliai­t par 4 la taille originelle de la lampe d’architecte norgéviden­ne “Luxo L1” jusqu’à atteindre 2,30 m de hauteur fut le fruit du travail les designers Francesco Binfaré, Gaetano Pesce et Alessandro Mendini. Ils étaient réunis autour de Cesare Cassina, dans le laboratoir­e Bracciodif­erro, filiale Cassina fondée en 1972 et basée à Gênes. Sa mission: l’expériment­ation éditoriale de meubles pour l’avant-garde.

Paquebots Dès la fin de la Seconde Guerre, Cassina participa aux travaux de modernisat­ion des liners “Conte Biancamano” et “Conte Grande”, menés par Gio Ponti avec Nino Zoncada et Gustavo Pulitzer-Finali. Suivront les fleurons des flottes d’armateurs transalpin­s comme Linea C (futur Costa) baptisés “Anna C.”, “Augustus”, “Raffaelleo” ou “Giulio Cesare”. A bord, Ponti et consorts qui dessinent meubles et sièges produits par Cassina font travailler la crème des artistes italiens – Lucio Fontana, Paolo Venini, Piero Fornasetti, les céramistes Fausto Melotti et Piero Melandri.

Show-rooms La première adresse de vente de Cassina à Milan se trouvait avant-guerre via Solferino, en plein quartier de Brera. En 1932, la maison diffusait principale­ment sa production à La Rinascente et jusqu’à Tripoli, via Rome et Le Caire. L’immense show-room de la via Durini à Milan, architectu­ré par Mario Bellini, sera inauguré le 11 décembre 1968. À Paris, il faudra attendre 2003 avec un espace en angle du boulevard St-Germain conçu par Piero Lissoni, également sollicité pour sa récente rénovation tandis que le nouveau show-room du Marais, rue de Turenne, attendu pour ce mois d’octobre porte la griffe de Patricia Urquiola.

Urquiola (patricia) Née en 1961 à Oviedo, dans les Asturies, Patricia Urquiola, qui fit ses études d’architectu­re à Madrid, travaille à Milan. Designer-star absolue, elle a été nommée directrice artistique de Cassina en 2015.

Wink Rayon fauteuils, Cassina aura su, en 90 ans, innover et surprendre. Exemple avec l’“AEO”, modèle décoiffant créé en 1973 par le collectif Archizoom avec Paolo Deganello, habillé de mille combinaiso­ns textiles interchang­eables et dont le mode d’emploi fit l’objet d’une bédé intitulée “Operazione Seduta” devenue cultissime. Le fauteuil-chaise longue “Wink”, imaginé en 1980 par le designer japonais Toshiyuki Kita, fut lancé sous le slogan de “la machine à s’asseoir”. Ergonomie démente, confort spatial, profil futurisant, “Wink” pétait de couleurs jusqu’à s’habiller de tissus Marimekko. Haut symbole des années 1980, il revient en tendance lourde ces jours-ci, sous une livrée plus neutre, voire pastel.

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(1971).
“637 Utrecht” de Gerrit Rietveld (1971).
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La Kar-A-Sutra, imaginée par Mario Bellini en 1972.
 ??  ?? La Superlegge­ra de Gio Pontin (1957) subit un contrôle qualité... “LC4”, Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand (1928).
La Superlegge­ra de Gio Pontin (1957) subit un contrôle qualité... “LC4”, Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand (1928).
 ??  ?? La bibliothèq­ue “Valerio” de Franco Albini (1956)
La bibliothèq­ue “Valerio” de Franco Albini (1956)
 ??  ?? “Wink”, Toshiyuki Kita (1980).
“Wink”, Toshiyuki Kita (1980).
 ??  ?? Le show-room milanais de Cassina.
Le show-room milanais de Cassina.
 ??  ?? “Beam Sofa System”, Patricia Urquiola (2016).
“Beam Sofa System”, Patricia Urquiola (2016).

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