Marie Claire Style

Batsheva, la tradition au quotidien

L’ esthétique XIX e siècle avec laquelle Batsheva Hay s’amuse nous interpelle. De son regard presque sociologiq­ue, elle habille les femmes au présent, jusque dans l’intimité de leur cuisine. Rencontre avec une créatrice en vue et hors mode.

- Propos recueillis par Louise des Ligneris

Dans l’univers de votre marque, les lookbooks occupent une place centrale. À chaque collection, vous y racontez une nouvelle histoire. Comment avez-vous développé ce concept?

Avec le photograph­e Alexei Hay, qui est aussi mon mari, nous imaginons tout le storytelli­ng de mes lookbooks. Nous en avons déjà fait une vingtaine. Lorsque j’ai commencé à faire mes premières robes, il a proposé de me prendre en photo avec mes créations. C’était très artisanal, drôle et libre à la fois, car je faisais mon propre maquillage et ma coiffure. C’est comme cela que nous avons raconté les premières histoires autour de mes robes, grâce à ses photos. Ça m’a aidée à construire tout un imaginaire. Puis ma marque a doucement grandi et j’ai pu imaginer d’autres femmes portant mes créations. Et donc, d’autres histoires à raconter au travers de mes vêtements.

Quelle est l’histoire de la collection cette saison?

Mes deux dernières collection­s ont été conçues durant la pandémie. J’ai donc développé toute une histoire autour d’un objet: le livre de cuisine. Pour présenter mes vêtements, nous avons photograph­ié des femmes chez elles. Je voulais les montrer dans l’intimité de leur cuisine, en train de préparer un plat qu’elles allaient déguster après le shooting avec leur compagnon, leur compagne, leur famille, ou bien toutes seules. En détail, on remarque que la plupart des modèles ne portent même pas de chaussures car elles n’allaient pas sortir de chez elles. Et parce que toute cette histoire avait beaucoup de sens, nous avons récupéré chacune de leur recette que nous allons publier dans un véritable livre de cuisine.

Vous portez un regard singulier sur les femmes et la notion même de féminité. Le fait que vous soyez une femme influence-t-il votre approche créative?

Bien sûr, et ce jusque dans les détails. Lorsque j’ai lancé ma marque en 2016, je me demandais sans cesse: «Pourquoi les robes n’ont pas

des poches plus grandes?» Car finalement, mes robes, j’allais les porter. Il y a beaucoup de créateurs dont j’aime le travail mais dont je ne pourrais pas porter les vêtements, ils ne sont pas adaptés à mon style de vie. Lorsque je porte mes robes, ce sont toujours les femmes qui m’arrêtent dans la rue pour me faire des commentair­es. Certaines sont jeunes, avec des styles assez pointus. Mais d’autres sont plus âgées. Je crée en pensant à moi-même, à ce que j’aime porter, et cela interpelle peut-être plus d’autres femmes que les hommes. Mon travail s’adresse directemen­t à elles, toutes génération­s confondues. Et j’ai une approche pratique du vestiaire féminin. C’est un vrai dialogue entre femmes finalement.

Vous avez récemment annoncé une collaborat­ion avec Ella Emhoff, belle-fille de Kamala Harris, avec une collection de pièces en maille. Pouvez-vous nous en dire plus?

À ce jour, nous avons déjà travaillé sur quelques pièces. Mais Ella est encore en train de terminer son année d’études, donc son emploi du temps est bien rempli. Nous échangeons beaucoup nos idées par DMs, par e-mails… Nous avons déjà décidé que cette collection sera disponible en précommand­e afin de ne rien jeter. Aussi, tout sera produit localement à New York. Mais nous devons encore finaliser certaines pièces et les photograph­ier.

C’est un challenge personnel de travailler à quatre mains?

La maille est un support assez nouveau pour moi, donc c’est très enrichissa­nt de collaborer avec Ella qui en a déjà beaucoup fait. Associer mon univers au sien est un vrai challenge. Mais notre collaborat­ion est fluide, nous sommes toutes les deux très intuitives dans nos processus créatifs. Pour le choix des couleurs par exemple, il se fait en un claquement de doigts, c’est toujours assez évident. Nous avons tellement de choses en commun elle et moi qu’il est très facile de travailler ensemble.

Erykah Badu, Natalie Portman, Jessica Chastain, Ella Emhoff… toutes ces figures féministes et de l’intelligen­tsia américaine portent vos créations fleuries. Que cela signifie-t-il pour vous?

Mes vêtements ne sont pas minimalist­es, ils se remarquent. Je pense que l’on s’habille parfois en Batsheva pour signifier sa confiance et sa fierté, ce qui trouve peut-être un écho chez certaines femmes engagées et féministes. Mes vêtements affirment une certaine vision de la féminité et le mouvement #MeToo est devenu viral au moment même où je lançais ma marque. Certain·es journalist­es ont même cité Batsheva dans des articles du type : « Le dressing

parfait pour le mouvement #MeToo». C’est amusant car mon esthétique est très traditionn­elle. Dans un sens, on pourrait dire que ce n’est pas féministe de s’habiller ainsi, avec des références du passé. Mais en fait, c’est presque une rébellion de s’habiller de cette manière dans notre monde contempora­in.

Si l’on se tourne vers l’avenir de votre jeune maison, fondée en 2016, la pandémie vous a-t-elle fait reconsidér­er beaucoup de choses?

En effet, j’ai changé par mal de choses cette année. Les magasins ont longtemps été fermés donc j’ai dû augmenter mes ventes en direct avec les clientes. Je me concentre aussi beaucoup plus sur le concret, c’est-à-dire des temps courts. Lorsque je lance des créations, elles doivent pouvoir être mises en vente dans les semaines suivantes car on ne sait plus ce que les prochaines semaines nous réservent. Je ne m’attends pas à ce que les choses reviennent à la normale, comme elles l’étaient avant, mais je suis une assez petite entreprise pour pouvoir gérer ces nouvelles contrainte­s plus facilement. D’un point de vue créatif aussi, mon regard est différent. Peut-être que les gens vont vouloir célébrer les jours meilleurs à venir et faire la fête. Alors peut-être que je vais vouloir faire des robes qui brillent, pour aller danser. Enfin… pour le moment, je fais plutôt des robes confortabl­es, pour être bien chez soi. Mais on ne sait jamais, j’ai une certaine liberté d’improvisat­ion créative. Je vis les moments au jour le jour, comme tout le monde.

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Batsheva Hay.
 ??  ?? Ci-dessus et ci-dessous: collection Batsheva automne-hiver 2021-2022.
Ci-dessus et ci-dessous: collection Batsheva automne-hiver 2021-2022.
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