Marie Claire Style

LA SAISON VUE PAR Jessica Michault

À la tête d’ODDA Magazine, la critique de mode et fondatrice du podcast Fashion Your Seatbelt nous donne son sentiment sur les présentati­ons automne-hiver 2021-2022.

- Propos recueillis par Vicky Chahine

Quel bilan tirez-vous de ces dernières semaines de la mode ?

En vingt ans de carrière, c’est la première fois que j’ai le sentiment d’être déconnecté­e du milieu de la mode. En travaillan­t à distance, on perd toute la connexion et la vibration d’un défilé, comme si on regardait une pièce de théâtre sur un écran, même si lorsque l’on n’est pas placée au premier rang, on voit souvent mieux les vêtements via le digital. Mais quand je pense aux débuts de Matthew M. Williams chez Givenchy ou Kim Jones chez Fendi, je suis triste qu’ils n’aient pas eu « leur » moment. Ces premiers défilés, c’est une étape importante dans la vie d’un créateur. Côté format, certaines maisons ont fait le choix d’une ambiance cinématogr­aphique, comme Dior où les vêtements deviennent l’un des éléments mis en scène, plus classique comme Chloé avec un défilé en ligne. D’autres, comme Prada, ont choisi un mélange des deux. La présentati­on qui a cartonné en termes de relais sur les réseaux sociaux ? Le drive-in de Coperni, qui a proposé un vrai défilé tout en intégrant la distanciat­ion sociale. Et puis, le format digital a permis d’entendre les créateurs, comme la discussion avec Miuccia Prada qui ne donne jamais d’interviews ou Jonathan Anderson chez Loewe qui a décrypté avec intelligen­ce et talent sa collection.

Cette saison, la mode semble s’être prise d’affection pour le réseau social privé Clubhouse, comment expliquer cet engouement ?

C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de débriefing­s post-défilés sur Clubhouse. C’est un réseau de discussion­s vocales accessible grâce à un système de parrainage­s, sur lequel tout le monde peut s’exprimer sans barrière. On peut ainsi se retrouver à poser des questions en direct à des personnali­tés comme Bill Gates et Elon Musk, certaines discussion­s pouvant attirer jusqu’à cinq mille personnes. C’est une façon d’avoir un contact personnel, authentiqu­e, intime, un peu comme si on se parlait dans le noir. Moimême, j’ai passé des heures à échanger en ligne pour partager mes réflexions avec des gens du monde entier. J’ai même modéré une discussion avec le directeur artistique Milan Vukmirovic et Sissy Vian, rédactrice de mode du Vogue japonais.

Quel est le rôle du défilé aujourd’hui ?

C’est devenu un outil marketing destiné au grand public plus qu’aux profession­nels de la mode. D’ailleurs la plupart des acheteurs passent commande avant le défilé. Quand je travaillai­s pour le Herald Tribune avec Suzy Menkes au début des années 2000, je me souviens que la critique de mode pouvait avoir un impact sur les ventes, mais plus maintenant. Après la pandémie, je pense que le format va évoluer pour revenir au bon vieux temps des défilés intimes des années 50, avec un évènement physique pour quelques profession­nels triés sur le volet et un format digital pour les autres. Au vu des grandes maisons qui quittent le calendrier officiel, on peut d’ailleurs se demander quel poids auront à l’avenir les fashion weeks.

Le format vidéo a-t-il facilité l’émergence d’une jeune génération ?

Habituelle­ment, on enchaîne six à huit défilés par jour. On prend rarement le temps d’aller à l’autre bout de la ville découvrir la propositio­n d’un nouveau talent, sous peine de rater la présentati­on Chanel ou Louis Vuitton. Cette digitalisa­tion offre une démocratis­ation de la mode et une chance pour les talents émergents. Avec les fashion weeks digitales, j’ai pris le temps de regarder toutes les vidéos et j’ai découvert des choses que je n’aurais pas eu l’opportunit­é de voir en temps normal. Comme la propositio­n géniale d’Andreas Aresti, créateur de Lourdes, qui faisait ses premiers pas dans le calendrier parisien, mais aussi Victoria/Tomas, qui a proposé un format intelligen­t pour expliquer sa mode réversible, quelque chose qu’elle n’aurait pas pu faire en présentiel.

Avez-vous le sentiment que ces dernières saisons, la fashion week parisienne s’est imposée par rapport à ses consoeurs italienne et anglaise ?

La plateforme de la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM, ndlr) en France a opté pour le parti pris de mettre en avant une richesse que l’on ne sent pas ailleurs. On y trouve des interviews, des articles, des décryptage­s, soit une véritable culture de mode. Les autres capitales essaient, elles, de trouver leur place. Coincé entre le Brexit et le confinemen­t complet, Londres manque également de grandes maisons à son calendrier. On le voit bien à Milan, où des noms comme Dolce & Gabbana, Prada, Versace ou encore Fendi portent la fashion week, entraînant avec eux les plus petites marques.

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Jessica Michault.

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