LA MODE ET LES ANIMAUX
Biche, chien, tigre, colombe, ours, éléphant… Tout un bestiaire se glisse dans le vestiaire de l’automne-hiver 2021-2022. Préoccupation environnementale ? Prise de conscience de faire partie de la grande chaîne du vivant ? Les créateurs et créatrices ne restent pas insensibles à nos amies les bêtes, allant même parfois jusqu’à s’engager pour leur sauvegarde. Analyse d’un phénomène.
Une biche peinte sur un manteau chez Chloé, un poisson rouge chez Victoria Beckham, un éléphant brodé chez Coach, un ours sur une grosse maille chez Dsquared2, les contours d’un oiseau chez Schiaparelli, des papillons chez Blumarine et Jil Sander, des vaches dans un pré chez Moschino… Pour l’automne-hiver 20212022, la mode a convoqué tout un bestiaire pour animer son vestiaire. Si le thème animalier n’est pas nouveau, il a pris une dimension particulière avec le contexte. Certes, on se souvient du tigre rugissant emblématique de Kenzo qui s’est récemment toqué des abeilles, de l’arche de Noé rassemblée par Alessandro Michele pour une campagne Gucci en 2019 et l’année dernière, de ces animaux défilant aux côtés des mannequins sur le podium de Stella McCartney, acquise à la cause depuis toujours. Mais depuis, il y a eu une pandémie, des confinements et une prise de conscience de la valeur de la nature, incarnée notamment dans la progression de 10 à 15 % des adoptions d’animaux de compagnie (selon le Syndicat national des professions du chien et du chat).
NOS AMIES LES BÊTES SONT REVENUES SUR LE allant jusqu’à poser sur DEVANT DE LA SCÈNE, les couvertures des magazines de mode. Ainsi, en janvier dernier, l’édition italienne de Vogue a érigé au rang de top-modèles un agneau en tête-à-tête affectueux avec un chien, un essaim d’abeilles, un berger belge la gueule ouverte, qui ont fait la couverture du journal afin de montrer « tout simplement que le monde ne tourne pas autour des humains », expliquait son rédacteur en chef, Emanuele Farneti. Quelques semaines auparavant, c’est How to spend it, le supplément lifestyle du très sérieux Financial Times, qui choi- •••
“Intégrer des animaux permet à la mode de se redonner une légitimité, de la valeur. Sans compter que c’est une figure idéale car on ne peut rien lui reprocher.” Justine Hamelin, directrice de style chez Peclers
sissait comme personnalité de l’année un chien avec ce sous-titre explicite : « Comment nos animaux ont sauvé 2020. » Par la place centrale qu’ils ont occupée pendant le confinement, le temps passé avec eux, mais aussi un peu l’opportunité qu’ils offraient de s’aventurer hors de chez soi en toute légalité. Ce qui est vrai pour Monsieur et Madame Tout-le-monde l’est aussi pour les créateurs et les créatrices de mode qui s’affichent déjà depuis quelques années avec leurs bêtes à poil sur les réseaux sociaux.
Le chien de Marc Jacobs @nevillejacobs aimante près de 200 000 followers et le caniche de la it-styliste Lotta Volkova ne quitte pas sa maîtresse, la suivant dans ses pérégrinations, des galeries d’art parisiennes à ses escapades milanaises. Quant à l’influenceuse française Marie Papillon, très proche de la chanteuse Angèle, elle a lancé deux modèles de doudounes en collaboration avec la marque Dualist: l’une pour elle, l’autre pour Bibi, son croisé carlin et king-charles qui squatte toutes ses vidéos. Même Choupette aura survécu à Karl Lagerfeld: deux ans après la mort du créateur, son compte Instagram @choupetteofficiel compte plus de 83500 abonné·es. « On observe un changement de civilisation. Le confinement nous a permis de réaliser que l’on faisait partie du monde du vivant. On s’identifie désormais à l’animal, car il partage les valeurs que l’on recherche. Il n’est plus simplement décoratif comme cela a longtemps été le cas en Occident », constate Justine Hamelin, directrice de style chez Peclers. Et sa condition évolue : un plan du gouvernement prévoit désormais jusqu’à trois ans de prison pour l’abandon de son animal.
LA MODE A AUSSI DÉVELOPPÉ UN PEU PLUS
accompagnant ENCORE SON TROPISME BESTIAL, comme toujours la société. Parmi ses sacs best-sellers, Loewe compte le modèle emblématique Elephant, édité fin mars en shuka, un tissu traditionnel masai au Kenya, vendu au profit d’une association de défense des éléphants. Thom Browne a rendu permanente sa collection de luxueux sacs en veau grainé façon arche de Noé. Pour la collection masculine printemps-été 2021, Virgil Abloh a, lui, imaginé un bestiaire cartoonesque avec des pandas, des souris et des homards accrochés sur ses vestes de costume. Quant à Lacoste, dont le plus célèbre ambassadeur se déplace sur quatre pattes, il poursuit sa célébration de
la nature à travers un nouveau partenariat avec National Geographic, qui a donné naissance à une collection durable et recyclée, dont les imprimés s’inspirent de quatre espèces fascinantes, du zèbre de Grévy à la grenouille vénéneuse, racontées sur une étiquette créée pour l’occasion. «Ona beaucoup attaqué la mode sur les questions environnementales et sociétales. Intégrer des animaux lui permet de se redonner une légitimité, de la valeur. Sans compter que c’est une figure idéale car on ne peut rien lui reprocher », décrypte Justine Hamelin. L’hiver dernier, Acne Studios a sorti une collection à l’effigie des portraits de chiens de l’artiste Lydia Blakeley, mais aussi une campagne avec des membres de l’équipe posant près de leur animal de compagnie. Depuis plusieurs saisons, Gucci aime mettre en scène cheval, canard, chien et autre porcépic dans ses campagnes. Et si, à l’image du phénomène mini-moi, ces enfants habillés en miroir de leurs parents, certain·es ont envie de s’assortir à leur compagnon à poil, Moncler propose une collection capsule avec le spécialiste canin Poldo Dog Couture. À condition d’être prêt·e à débourser plus de 300 € pour promener son chien dans une doudoune siglée comme la sienne.