LE COL EST DANS LE COU(P)!
Accessoire ? Au contraire, cette saison le col joue les stars, se parant de bijoux ou osant un format XXL. Ce faisant, il vient apposer un peu de fantaisie sur nos pulls, nos robes ou nos manteaux trop ternes. Et consacre le règne triomphant du buste à l’ère des réunions digitales.
Elle en avait fait plus qu’un accessoire, un symbole de sa lutte pour les droits des femmes. Nommée à la Cour suprême américaine, Ruth Bader Ginsburg avait tenu à apporter un supplément d’âme à sa robe noire d’avocate. Ses cols, entre armure symbolique et coquetterie engagée, sont entrés dans la postérité, faisant même l’objet d’une séance photo parue dans Time Magazine mettant en lumière son jabot comme son col en dentelle. Est-ce l’écho médiatique que sa mort a provoqué, en septembre 2020, qui a mis un coup de projecteur sur le col? Un coup de pouce peut-être, car les ingrédients étaient là depuis plusieurs saisons. Et perdurent. Si l’on peut désormais s’offrir un pull à grand col ou un modèle amovible chez Zara, H&M et Asos, la version plus luxe arrive aussi en boutique. Présentées en mars dernier, les collections automne-hiver 2021-2022 en ont fait le nouvel accessoire, déroulant un riche vocabulaire autour de cette partie si signifiante dans l’histoire du vêtement. Dior, Louis Vuitton, Paco Rabanne, Vivienne Westwood, Véronique Leroy, Erdem, MSGM, Prada…
LA SAISON PROCHAINE, LE “STATEMENT COLLAR” A AINSI CONNU UNE AUGMENTATION
selon Tagwalk. Chez DE 49 % PAR RAPPORT À L’HIVER 2020, Àcheval Pampa, jeune marque argentine inscrite au calendrier de la fashion week parisienne, on aime depuis toujours les grands cols, déclinés cette saison en tulle et en satin de coton, « car ils évoquent la figure de l’inspirante paisana, la version féminine du gaucho qui a fait fureur à Buenos Aires dans les années 80 ». Le phénomène n’a pas échappé aux bureaux de tendance, comme le confirme Alexandra Jubé, fondatrice du bureau éponyme. « Si la saison dernière, il semblait de bon ton de privilégier la sobriété, l’année passée et l’épuisement moral ont autorisé les créateurs et les créatrices à proposer des choses plus extravagantes, dont ces cols aux angles très dessinés, brodés, bijoutés, pointus, pavés de pièces métalliques… Évidemment, c’est lié à la réappropriation du haut du visage et à l’envie de redessiner cette zone masquée. Plusieurs marques s’en sont emparées, Jil Sander, Simone Rocha, Valentino, mais aussi celles qui influencent l’industrie comme Dior et Louis Vuitton.» Il y en a un qui en a toujours fait, passionné par ce qu’il appelle « un
ingrédient », c’est Guillaume Henry. Chez Carven, qu’il a réveillé entre 2009 et 2014, et maintenant chez Patou où il dessine un vestiaire à la féminité fraîche, infusée de folklore français et de couleurs travaillées. Commercialisé pour le printemps, son large col immaculé en popeline brodé amovible a été « sold out » en une semaine. Pour l’automne-hiver, il l’a enrichi de couleurs, de broderie, de guipure, osant des associations pêchues. «C’est un ornement sans prétention, un bijou modeste qui change une tenue, peut nuancer le côté sportif d’un trench comme le sexy d’une robe. À la fois tendre et imposant, il donne une vibration polie au reste de la silhouette, décrypte
le Français. En 2021, il est hot mais dans les années 50, les filles auraient pu le brûler car il incarnait l’institution, l’uniformisation, l’autorité et même plus loin dans l’histoire, l’aristocratie et la monarchie.» Car le col possède une histoire d’une richesse inouïe. D’abord il peut prendre plusieurs formes: roulé, marin, officier, Claudine… Il peut aussi désigner la classe dirigeante (les cols blancs), les ouvriers
(les cols-bleus), une marque de mépris (les cols rouges). « La plus ancienne trace remonte au XVe siècle, c’est le collet qui apparaît à l’encolure des pourpoints pour protéger le frottement du tissu au niveau du cou. Jusqu’au XVIIIe, la chemise est un vêtement de dessous dont on ne montre que les manches et le col. Ce dernier devait être impeccablement lavé, repassé et amidonné pour témoigner de sa richesse et de sa haute naissance », retrace Denis Bruna, conservateur en chef du département mode et textile du musée des Arts décoratifs à Paris.
pour devenir le ruché, puis AU XVIE SIÈCLE, IL SE FRONCE ET SE BRODE quand il gagnera en volume, il sera rebaptisé fraise, un énorme
disque qui pouvait atteindre jusqu’à 45 cm de diamètre. « Il devient amovible pour pouvoir se fixer mais aussi se laver plus facilement. Il donne de la tenue, de la verticalité aux vêtements. À l’époque, plus le vêtement empêchait le mouvement, plus il signifiait l’appartenance à une classe sociale qui n’avait pas besoin de travailler, poursuit l’historien.
En 1630, la fraise laisse la place au grand col à rabat, remplacé ensuite par la cravate. Au fil du temps, les couleurs, formes et variations décoratives du col revêtiront une importance symbolique et identitaire. Ce n’est qu’à partir de 1950, avec la popularisation du T-shirt, que l’ouverture du col permet de le sortir du carcan.» Et comme la mode est un cycle éternel de tendances portées aux nues, digérées, oubliées, récupérées, modernisées… le col revient en force en 2021, dans une époque où l’on apporte un soin particulier au haut de sa tenue (merci les réunions Zoom), où l’on a besoin d’un grain de folie et où l’on veut paraître habillé sans renoncer au confort acquis ces derniers mois.
Spécialiste historique de la maille aussi délicate que moderne, Molli s’est emparé du col depuis plusieurs saisons pour raffiner ses pulls au tombé impeccable. Volume, matière, travail de points, couleurs de fil… chaque collection joue à l’infini sur les possibilités pour imaginer des mailles aussi simples que sophistiquées. «C’est un détail féminin, facile à porter et moins lassant qu’un imprimé. Il fait toute la différence dans une tenue et pourtant il se mixe très facilement avec un jean ou une jupe noire couture. Très tôt, nous avons proposé des cols amovibles en maille plissée pour enrichir une pièce simple et jouer les associations de couleurs. Dans cette envie actuelle d’une garde-robe “efficace”, un top à col travaillé permet de décliner une multitude de silhouettes comme le ferait une jolie paire de chaussures», explique la fondatrice Charlotte de Fayet. Le col XXL, futur basique de nos penderies ?