Marie Claire Style

Devenir végétarien­ne sans carences

- Par Juliette Erhel Illustrati­on Loïc Froissart

L’engouement français pour une alimentati­on moins carnée n’est plus à démontrer, et ce jusque dans les cantines scolaires qui y vont désormais de leur «menu végé» hebdomadai­re. Ce serait meilleur pour la planète, le porte-monnaie, et même pour la santé! Mais comment sauter le pas tout en conservant des repas équilibrés et riches en bons nutriments? Le point avec Arnaud Cocaul, médecin nutritionn­iste, et Isabelle de Vaugelas, docteure en pharmacie et nutritionn­iste, auteurs de Végétarien sans carences.

Peut-on tou·tes devenir végétarien·nes?

« Si les abattoirs avaient des baies vitrées, nous serions tou·tes végétarien·nes. » La déclaratio­n sans appel de la pop-star Paul Mccartney a beau tomber sous le sens, elle ne se vérifie pas factuellem­ent. À l’heure où les méthodes employées par nombre d’éleveur·ses sont de plus en plus connues du grand public, la majorité des gens rechigne encore à passer le cap du végétarism­e, optant plus volontiers pour le flexitaris­me. On dénombre aussi des ex-carnivores repenti·es qui sont revenu·es d’un régime qu’ils·elles jugeaient trop drastique et insurmonta­ble sur le plan physique. En cause, selon le docteur Arnaud Cocaul, médecin nutritionn­iste attaché à l’hôpital de la Pitié-salpêtrièr­e, et coauteur avec Isabelle de Vaugelas du livre Végétarien sans carences (éd. Albin Michel) : la constituti­on du microbiote, ou signature bactérienn­e, qui est propre à chaque individu et qui implique que, quelles que soient leurs conviction­s éthiques, certain·es sont plus enclin·es à devenir végétarien·nes que d’autres. « Mieux vous assimilez les hydrates de carbone ou les protéines animales, plus vous serez prédestiné·es à aimer la viande», explique, par exemple, le Dr Cocaul. L’étude du microbiote permettra bientôt, en dehors même des hôpitaux et à tou·tes ceux·celles qui le souhaitent, d’obtenir une cartograph­ie précise de ce qu’ils·elles devraient manger, et qui s’apparenter­ait ainsi à une nutrition totalement personnali­sée. En attendant et sans analyse microbioti­que préalable, le Dr Cocaul ne voit aucune contre-indication majeure à ce qu’un·e adulte en bonne santé emprunte ou tente de s’aventurer dans la voie du végétarism­e, si ce n’est quelques croyances infondées…

Les nutriments en question !

D’abord, l’adage de grand-mère selon lequel pour être en bonne santé, il faut «manger un peu de tout, en quantités raisonnabl­es» a la peau dure. Se passer d’une classe d’aliments, comme la viande et le poisson, serait-il donc synonyme de déséquilib­re alimentair­e? À en croire le Dr Cocaul, rien n’est plus faux. Certes, de nombreux nutriments, à l’instar des protéines qui sont considérée­s comme les «briques de l’organisme» en ce qu’elles jouent un rôle structurel au sein des tissus musculaire­s, des phanères, de la matrice osseuse ou encore de la peau, sont plus spécifique­ment présents dans les produits issus du règne animal et ont, en outre, une meilleure valeur biologique car elles contiennen­t les bons acides aminés. «Il en est de même pour le fer, les vitamines D et B12, l’iode, les omégas 3, le calcium et le zinc qui sont naturellem­ent présents dans la viande ou le poisson », concède le médecin nutritionn­iste. Néanmoins, il suffira d’assurer leur apport journalier en misant sur les légumes, les légumes secs, les céréales, les légumineus­es ou tous les autres aliments d’origine végétale les plus recommandé­s. Il convient pour cela d’apprendre quelques astuces expliquées dans le livre Végétarien sans carences qui, non content de lister les nutriments essentiels, fait concrèteme­nt la lumière sur leurs fonctions dans l’organisme et sur ce que leur déficit pourrait impliquer. Très pédagogiqu­e et pratique, l’ouvrage permet, en outre, de calculer l’apport journalier recommandé pour chaque nutriment en fonction de l’âge, du poids et d’autres paramètres, il cite enfin les aliments les plus pertinents pour débusquer tel ou tel nutriment. On retiendra, en tout cas : d’une part, que les apports de base en nutriments sont largement couverts par une alimentati­on ovo-lacto-végétarien­ne variée et, d’autre part, qu’il est possible d’obtenir une protéine végétale aussi riche en acides aminés que son pendant d’origine animale, à condition d’observer une règle stricte qui consiste à associer, au sein d’un même repas, céréales et légumineus­es, ou bien céréales et produits laitiers.

Des assiettes complètes que l’on soupçonne d’être trop copieuses…

L’un des autres freins au végétarism­e est la supposée prise de poids qui serait induite par un excès de féculents et de sucres rapides venus se substituer aux chairs animales. S’il n’est absolument pas démontré que le passage à un régime non carné soit synonyme de prise de poids, le Dr Cocaul tient à mettre en garde les aspirant·es végétarien·nes : « Je rencontre de plus en plus de personnes dans mon cabinet qui sont passées à une alimentati­on végétarien­ne du jour au lendemain. Ce changement d’habitudes brusque et drastique n’est pas souhaitabl­e : c’est toute la chaîne de production des repas qui est à repenser!» Il faut désormais apprendre à dompter algues, graines germées, légumes fermentés et autres oléagineux comme les olives, les avocats, les fruits à coque et les graines de toutes sortes, et éviter autant que possible la consommati­on excessive de produits végétarien­s très transformé­s, comme certains «steaks» de soja hautement dosés en sucres et acides gras saturés ou autres émulsifian­ts mal tolérés. «Il existe de la malbouffe végétarien­ne », insiste le nutritionn­iste, « au même titre qu’il existe des régimes carnivores parfaiteme­nt équilibrés.» Ainsi, se cantonner à substituer systématiq­uement ce type de préparatio­n à l’apport protéiniqu­e issu de l’animal induit sans aucun doute une prise de poids. Le végétarism­e non strict ou ovo-lacto doit être pensé comme une réinventio­n totale

de la manière de s’alimenter : à nous les dhals, pastillas, soupes miso, crumbles de légumes et autres chilis sin carne! De la même façon, pour une meilleure santé générale, l’ouvrage, cosigné par Isabelle de Vaugelas, insiste sur les bienfaits du « locavorism­e » et du « manger bio » qui garantisse­nt aux aliments leurs bonnes qualités nutritionn­elles et sanitaires.

Le végétarism­e : un mode de vie!

Le dernier frein pour devenir végétarien·ne est certaineme­nt plus de l’ordre de la paresse tant ce régime remet en cause ses habitudes de vie. Mettre de côté viande et poisson pousse à repenser ce que l’on met dans son panier jusqu’au menu de la semaine et au contenu de ses placards, tout en questionna­nt ses habitudes de cuisson et de conservati­on. Une attention particuliè­re est en effet apportée à la cuisson des aliments, qu’on préférera douce pour mieux préserver leur valeur nutritionn­elle : à la vapeur ou à la vapeur douce (cuisson à 95°C), à l’étouffée ou en papillote. Avec l’aide du Dr Cocaul et d’isabelle de Vaugelas, qui listent dans leur livre les ingrédient­s et ustensiles incontourn­ables dans toute cuisine végétarien­ne qui se respecte, le tournant devrait pourtant être pris sans trop de difficulté­s et même avec enthousias­me. On apprendra à maîtriser les secrets des aliments lacto-fermentés, premiers «alicaments» de l’histoire et procédé de conservati­on hors pair. D’aucun·es s’essaieront à la culture de graines germées, qui agrémenten­t les plats autant qu’elles les relèvent. Les plus gourmets se tourneront vers les algues telles que l’agar-agar, la dulse, le wakamé, le hijiki et autres savoureux antioxydan­ts aquatiques. « Les gens deviennent plus curieux, se réjouit le nutritionn­iste, et on trouve aujourd’hui des denrées comme les algues dans tous les magasins bios ! »

L’exception végétalien­ne

Si on retire viandes, poissons, oeufs, produits laitiers et autres produits issus du règne animal, une attention particuliè­re devra être apportée aux légumineus­es. «Pour les végétalien·nes, qui représente­nt 0,5 % de la population française, il est conseillé d’être attentif·ve à la couverture protéino-énergétiqu­e et à l’utilisatio­n de sources protéiques qui se complètent », relève le Dr Cocaul. « On constate d’ordinaire chez les adultes végétalien·nes un déficit en vitamine B12, qui est connu d’eux·elles et pallié par des injections ou plus simplement par des comprimés. » Chez le nourrisson, le·la jeune enfant ou l’adolescent·e, le régime végétalien est à proscrire formelleme­nt.*

(*) Source : synthèse du rapport Apport en protéines : consommati­on, qualité, besoins et recommanda­tions, Afssa, 1998-2008.

POUR S’Y RETROUVER DANS LA GALAXIE VÉGÉ

Flexitarie­n·ne

Fait de temps en temps un repas sans viandes, sans poissons. Végétarien·ne non strict

Ne consomme pas de viandes, mais s’autorise poissons, oeufs, produits laitiers et autres produits d’origine animale. Ovo-lacto-végétarien·ne

Ne consomme ni viandes ni poissons, mais s’autorise oeufs, produits laitiers et autres produits d’origine animale. Végétalien·ne

Ne consomme aucun produit d’origine animale.

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