BETSABE EVIA CABRERA,
Selon l’Unicef, la Bolivie reste le pays d’Amérique latine affichant le plus haut taux d’enfants travailleurs (26 %, contre 11 % en moyenne dans la région). Une spécificité économique et culturelle, le président Evo Morales ayant affirmé que, même si cette loi a un caractère provisoire, visant à éradiquer la pauvreté d’ici 2025, le travail permet aux mineurs de développer une conscience sociale. « Dans notre culture indigène, le travail fait partie de l’éducation d’un enfant, confirme Betsabe Evia Cabrera, coordinatrice pédagogique au sein d’une fondation de soutien à l’enfance, à El Alto, où environ 70 % des enfants travaillent. Si on les percevait comme des jeunes qui construisent leur avenir plutôt que comme des pauvres gamins, le travail pourrait être quelque chose de positif. »
UN SALAIRE POUR S’ACHETER DES CAHIERS
A condition qu’eux-mêmes soient conscients qu’ils accomplissent un travail. Betsabel Forra, 8 ans, vient de terminer la dernière leçon de l’année à l’école du soir qu’elle fréquente à La Paz : « Quand ma mère est morte, mon père, chauffeur de minibus, n’a pas pu s’occuper de moi. » Betsabel fait partie des milliers d’enfants devenus domestiques en échange d’un logement, de nourriture et, dans le meilleur des cas, d’un maigre salaire et d’une éducation. « Je me réveille à 5 heures pour préparer le petit-déjeuner, nourrir les animaux, nettoyer la maison et cuisiner. J’ai assez de temps pour étudier et jouer. Parfois, mon parrain me donne 10 bolivianos (1,30 €). » Aider sa famille est normal, elle ne se voit pas comme une bonne. Non déclarée, elle ne pourrait pas faire valoir ses droits, même si elle le souhaitait. Pour l’historienne Aurélie Leroy, chargée d’études au Centre tricontinental, le gouvernement bolivien n’a pas les moyens d’effectuer des contrôles dans l’espace privé, où l’exploitation des enfants est banale. Ni de mettre en application les mesures définies par le Code de l’enfance. Un sénateur bolivien reconnaissait récemment qu’en zone rurale, les défenseurs des droits des enfants n’ont pas les moyens d’agir sur le travail, ils sont submergés par la question de la violence contre les enfants. Brandon Ventura a commencé à travailler à l’âge de 7 ans, quand son père a abandonné sa famille. Dans son village dans la montagne, les exploitants de coca trouvent de la main-d’oeuvre bon marché. En période de récolte, Brandon passe douze heures par jour dans le champ, deux fois plus longtemps que ce qu’autorise la loi. « Je n’aime pas ce travail, il est très dur », confie l’enfant, qui ramasse 7 livres de coca par jour, payées 4 bolivianos (0,50 €)/livre. « Il y a trop de moustiques, et à la fin de la journée j’ai très mal aux épaules. » Le salaire du petit garçon lui permet d’acheter ses cahiers. « Je donne l’argent à ma mère et garde 1 boliviano pour m’acheter du popcorn. » Brandon est opposé au travail des enfants, mais « comment laisser sa mère souffrir dans la solitude ? » « Sans la mobilisation des jeunes de l’Unatsbo, ce code n’aurait sûrement jamais vu le jour, souligne le chercheur Manfred Liebel, spécialiste des droits de l’enfant à l’Université libre de Berlin. Pour la première fois, ils le disent, leur statut d’enfants travailleurs est pris en compte et respecté. Mais qu’en est-il des moins de 10 ans, qui restent illégaux, donc sans droits reconnus ? Qui peut recevoir leurs plaintes ? » Pour le chercheur, cette loi « pourrait permettre de lutter contre l’exploitation des enfants, de restaurer leur dignité, de leur donner des perspectives ». Mais reste à la mettre en pratique, dans un pays où 80 % du travail est non déclaré. Alors que la nuit tombe sur Plaza Mayor, Ruben rentre chez lui, les pièces tintant dans ses poches. Après la douche, il regarde des dessins animés, avant de monter dans la chambre sous les toits qu’il partage avec toute la famille. Son père lui a dit qu’il ne pensait pas faire travailler son petit frère ; ce poids supplémentaire de responsabilité, Ruben l’assume. « Il aide toujours la famille, dit sa mère. Chaque fois qu’on est dans le besoin, il offre d’acheter le repas pour nous. Je ne refuse jamais. » Il y a quelques jours, son fils lui a fait une promesse : « Maman, je vais continuer à travailler. Je veux acheter une voiture et, un jour, amener mes frères et soeurs à l’université. »