Marie Claire

« Etre habité par quelqu’un, se sentir habiter le coeur d’un autre. C’est un miracle, pas fréquent. »

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Marie Claire : Le réalisateu­r, de « Floride », Philippe Le Guay, confie que Jean Rochefort, qui y tient le rôle principal, n’a pas été convaincu tout de suite pas le scénario. Et vous ? Sandrine Kiberlain : Oui, Jean m’a demandé : « Mais pourquoi fais-tu ce film ? Ce rôle est navrant ! » Je lui ai expliqué : « Parce que c’est Philippe Le Guay, parce que c’est toi. Ça va être super, mais il faut effectivem­ent que le rôle soit moins navrant. » Vous connaissie­z déjà Rochefort ? Oui, nous sommes amis depuis longtemps. C’est Jean-Paul Belmondo qui m’a présentée à Jean. A mes débuts, les deux se sont pris d’affection pour moi. Belmondo me trouvait « particuliè­re », il m’a fait jouer un petit rôle, en 1992, dans « L’inconnu dans la maison » de Georges Lautner. Plus tard, j’ai présenté Jean à mon père. A quelle occasion ? En 1996, mon père a écrit une pièce en secret, « Le roman de Lulu », signée David Decca, qu’il m’a envoyée par la poste. Je commence à lire, trouve ça vraiment bon. Et à la quatrième page, je crois deviner qui se cache derrière ce pseudo. Si c’était lui, c’était un cadeau sublime mais bizarre, gênant. Pourquoi ? Lulu, mon personnage, est une jeune actrice qui vit avec Roman, un homme deux fois plus âgé qu’elle. C’était un texte super-fort, il fallait qu’on monte ce projet. J’ai tout de suite pensé à Jean pour le rôle du père ou celui de Roman. Ça ne s’est pas fait, mais Jean a fourni une ou deux idées qui ont fait rebondir la pièce. Mon père et lui sont devenus très proches. Quel rôle teniez-vous dans votre famille ? C’était compliqué, enfant, j’étais observatri­ce, passive. Plus tard, comme je n’arrivais pas trop à me faire voir en n’étant que moi, je jouais des personnage­s, j’amusais la galerie. On en revient toujours à la même rengaine : on devient actrice pour être aimée ? Comme il manque un truc, on en rajoute pour être remarquée. Et pour quelqu’un qui fait tout pour être vue, la démesure du grand écran c’est pas mal. On se dit que c’est une solution. Ceci étant dit, il faut y arriver. Parlons des cachets des actrices : est-ce que, dans le cinéma français, elles sont, comme aux Etats-Unis, moins payées que les acteurs ? A notoriété égale, à rôle équivalent, on est payées moins que les acteurs. Et si en plus j’ai une valeur plus « rassurante » qu’un acteur en face de moi, je ne devrais pas être payée comme lui mais plus que lui. Et ça, ça n’arrivera jamais. Mais il y a des acteurs – c’est le cas du père de ma fille – qui disent : « C’est normal que ma partenaire soit payée comme moi. » Des acteurs qui ont la classe. Certains trouvent élégant de mettre le nom de la femme avant celui de l’homme sur l’affiche. Il y en a pas mal, des hommes qui ont cette classe-là. Je suis un petit peu archaïque dans ma tête. Archaïque dans la question de relations entre les hommes et les femmes ? C’est un peu la baston là-dedans. (Elle désigne son crâne.) Je suis féministe et, à travail égal, il est normal d’être payée pareil qu’un homme ; et en même temps, j’aime bien m’appuyer sur un homme, ça me plaît d’être protégée. Je trouve qu’on manque de ça, parce qu’on veut le beurre et l’argent du beurre. L’homme et la femme devraient être payés pareil, mais l’homme devrait être le mec qui assure pour le bien-être de sa famille. Un mec doit rester un mec, et une femme, une femme. C’est archaïque, débile et contradict­oire, c’est un puits sans fond. C’est très honnête de le dire. Et je suis sûre que beaucoup de femmes pensent comme vous, sans oser le formuler. Il m’est arrivé de gagner plus qu’un mec, et ça ne devrait pas menacer la place du mec. On a toutes envie, j’en ai envie, d’être indépendan­tes, de ne pas avoir à demander du fric à son mec pour acheter une robe à sa fille. Mais je veux avoir besoin de lui. Savoir que si je suis dans la merde, il y a mon homme. C’est complexe ce truc. Dans « Libé », vous disiez que vous auriez rêvé de vous appeler Mia. Vous avez pensé à changer votre nom au début de votre carrière ? Non, hors de question. Moi c’est moi, mon nez c’est mon nez, et mon nom aussi. Enfant, je voulais être quelqu’un d’autre. Comme j’étais amoureuse d’un type qui s’appelait Richard Stern, je voulais m’appeler Mia Stern. Mon nom c’est mon nom, même si Mia c’est beaucoup plus beau. Imaginez : « Mia Kiberlain », ça rigole pas ! Dans votre discours aux césars, vous avez eu ces mots : « Je pense à tous les metteurs en scène qui m’ont choisie, regardée, aimée. » N’est-ce pas épuisant de dépendre de ce regard pour exister ? Non, je dirais même que c’est mon fonctionne­ment : si je suis choisie par quelqu’un que j’admire, je vaux quelque chose. Il faut être solide ou inconscien­t pour attendre un truc pareil. Mais ça vaut le coup, parce que le jour où vous entendez : « C’est toi que je veux », c’est tellement bon.

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