LA FEMME SUR LE SABLE
Je n’ai jamais su courir après les filles, encore moins les rattraper. Alors quand vient la fin de l’été, je fais du jogging par procuration, grâce à une jeune femme que je crois retrouver sur le bassin d’Arcachon. La joggeuse idéale existe, et je l’ai rencontrée. En contrebas de la dune du Pilat, je la croise. Mais le plus souvent cette fille me dépasse. C’est un mirage sorti du sable que vient mouiller l’océan à l’heure où je questionne cette injustice qu’est la fin du mois d’août et des vacances. Elle porte une casquette et un bandeau-éponge blanc, un bustier rose qui lui découvre le nombril et les épaules. Un short bleu roi brillant annonce la longueur de ses cuisses athlétiques, et des petites chaussettes à pompons dégagent délicatement ses chevilles halées. Elle court avec des baskets blanches qui la lancent sur un coussin d’air marin quand, pauvre de moi, je pèse si lourd sur la terre à marée basse. Elle court comme à Los Angeles, avec ce walkman Sony jaune années 80 attaché à la hanche. Elle court sur une chanson de Christopher Cross – « Sailing » – que je suis le seul à entendre, elle court sur cette plage sans témoins, elle court, surtout, comme dans un songe dont la respiration rythme les mouvements de ses cheveux blonds ramenés en arrière. Car la joggeuse idéale n’est pas que bronzée, elle n’est pas que sublimement déterminée, à l’heure où je ne suis que doutes et conjectures sur le temps qui passe. Elle est la joggeuse idéale car sa queue de cheval, tel un pinceau dans l’air, dessine à chaque foulée cette ellipse en 8 qui promet que rien n’est jamais fini. Avec sa chevelure qui bat la mesure juste en face du banc d’Arguin et du Cap Ferret, le temps ne s’arrête pas, il ralentit et raconte un mélo couleur curaçao. Chaque saison, sur cette plage, cette fille réglée comme une montre m’écrit dans le sable un poème en prose. Elle reviendra l’an prochain, après avoir fait le tour de la Terre. Je la croiserai, elle me dépassera. Elle reviendra à l’été finissant. L’été des derniers jours d’août, ces jours doux et d’or qui nous interdisent, par un mystère cruel et tendre, d’avoir bien plus que 17 ans.