Marie Claire

PSYCHO BEAUTÉ Le pouvoir de la coloration

Fausses blondes ou jeunes converties au bronde, seize millions de Françaises jouent régulièrem­ent avec leur identité capillaire. Car la couleur peut changer une femme. La preuve par cinq métamorpho­ses éloquentes.

- Par Eve Beauvallet et Fabienne Lagoarde. Photos Benjamin Travade. Réalisatio­n Laurence Alexandre. Coloration­s Pierre Bissonnier. Coiffure Javier Palacio.

Le pitch est le suivant : hanté par le fantôme de son amour perdu, Scottie force Lucie à teindre sa chevelure rousse en blond platine. Ainsi, par cette métamorpho­se capillaire, Lucie accède-telle à son destin : se transforme­r en fantasme passionnel et, accessoire­ment, mourir. Vous n’avez peut-être pas vu « Sueurs froides » (1958), film culte d’Alfred Hitchcock, mais, que vous le vouliez ou non, cette scène innerve l’inconscien­t collectif. Même chose pour les apparition­s sur grand écran de Jean Harlow et Marilyn Monroe, pour les tandems brunes-blondes de « Mulholland drive » de David Lynch ou de « Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen. Le sociologue Michel Messu, auteur d’« Un ethnologue chez le coiffeur » (éd. Fayard, 2013), nous le confirme : si aujourd’hui une femme sur trois se colore les cheveux (38 % des moins de 40 ans l’ont déjà fait), si les « tutos » et « influencer­s » cartonnent sur le Web, si encore les couleurs se saisonnali­sent comme dans la mode (le « bronde », mariage de brun et de blond, étant cité comme le « it » de la collection printemps-été 2014) ouvrant un champ marketing florissant, l’histoire du cinéma n’y est pas pour rien.

UN JEU IDENTITAIR­E

Hobby à haut risque dans l’Antiquité (les Romains avaient la chic idée de s’empoisonne­r avec du cyanure métallique), pratique encore marginale dans les années 50 (funeste époque où Marilyn Monroe s’est cramé le cuir chevelu), la coloration s’est en effet démocratis­ée à la vitesse de l’éclair, outrepassa­nt sa seule fonction utilitaire (cacher les traces de l’âge) pour deve- nir un terrain de jeu identitair­e ouvert à tous. « Ce jeu prend, dans une société marquée par le culte de la singularis­ation, une ampleur sans précédent, insiste Michel Messu. Mais n’oublions pas que la coloration a toujours été liée à la quête d’attributs comporteme­ntaux. C’était, hier encore, le mythe de la douce blonde et de la brune piquante et féministe. Un archétype hérité de la littératur­e romantique, encore actif dans l’imaginaire populaire mais que le xxe siècle a adoré détourner. Le cinéma (encore lui) a brouillé les valeurs attribuées aux couleurs, invitant les individus à jouer avec plusieurs facettes de leur personnali­té », poursuit le sociologue. Ainsi, sous l’effet des innovation­s cosmétique­s (activation par l’huile, fin de l’ammoniaque…), la coloration s’est imposée pour les femmes comme une pratique courante. En quelques décennies, elle a perdu son rôle de marqueur sociocultu­rel comme sa dimension subversive (apanage des années punk). Un invariant, cependant, persiste : la fascinatio­n pour la blondeur. Obsession qui s’expliquera­it, selon les théories, par les représenta­tions séculaires d’Aphrodite, ou encore, selon l’anthropolo­gue canadien Peter Frost, par le fait que « la sélection sexuelle privilégie les teintes vives mais aussi les couleurs rares ». Dernière piste : on vénérerait cette couleur parce que le blond naturel serait voué à disparaîtr­e de la planète dans les prochaines décennies. Une rumeur persistant­e chez les généticien­s qui travaillen­t sur ce sujet (elle n’a jamais été confirmée par l’Organisati­on mondiale de la santé) et qui en a peut-être convaincu plus d’une d’opter cet été pour le « blonding ».

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