Marie Claire

TENDANCE Pourquoi les stars écrivent

Succès faramineux du livre de Marc Lavoine, par exemple. Déferlemen­t de confession­s de personnali­tés, pas toujours de très bon goût, trustant les premières places des ventes… Enquête sur un phénomène éditorial qui, derrière sa part d’ombre, met en lumière

- Par Catherine Castro et Fabrice Gaignault. Calligraph­ie Yohanna My Nguyen.

C’était une autre époque. Il n’y a pas si longtemps, Pascal Bruckner, Alain Finkielkra­ut, Michel Onfray, Naomi Klein, François Cheng, Michel Serres, Stephen Hawking… tous ces maîtres à penser (petits et grands) caracolaie­nt en tête des ventes dans la catégorie « Essais et documents », genre prédestiné à la réflexion. Bien sûr, des célébrités de la chanson, du cinéma ou de la télé se sont toujours faufilées dans les meilleurs classement­s : souvenez-vous des tables des libraires en 1996, quand les palettes de « Initiales BB », mémoires de Brigitte Bardot (éd. Grasset), écrabouill­aient les piles d’intellos stars. Phénomène nouveau : certaines variétés de créatures télévisuel­les à la mise en lumière aussi éphémère que l’existence d’un papillon trustent sans discontinu­ité le haut du podium. Les librairies deviendrai­ent-elles les têtes de gondole du Paf ? « Les stars envahissen­t les librairies », titrait récemment le supplément littéraire du « Figaro ». Dans son papier, l’écrivain et journalist­e Mohammed Aïssaoui soulignait : « Un coup d’oeil sur le classement des meilleures ventes de “Livres hebdo” (bible de la profession, ndlr) dans la catégorie “Essais” donne la nette impression que les stars prennent d’assaut les librairies. On ne voit qu’elles. Parmi les sept premières, trois vedettes du petit écran et deux stars de la chanson ». Leurs noms : Sophie Davant, avec « Ce que j’ai appris de moi, Journal d’une quinqua » (éd. Albin Michel), Françoise Hardy et ses « Avis non autorisés… » (éd. des Equateurs), Marc Lavoine et « L’homme qui ment » (éd. Fayard), Ingrid Chauvin pour « A coeur ouvert, La douleur d’une mère » (éd. Plon), le médecin et animateur Michel Cymes, avec « Hippocrate aux enfers, Les médecins des camps de la mort » (éd. Stock). Plus bas dans le classement, on trouve les « 500 questions que personne ne se pose » de Laurent Baffie (éd. Kero), le mal en point Michel Delpech avec « Vivre ! » (éd. Plon)… sans oublier Jean-Pierre Darroussin pour « Et le souvenir

que je garde au coeur » (éd. Fayard), récit autobiogra­phique en forme d’hommage à son père, comme celui de Marc Lavoine.

DES AUTEURS « VUS À LA TÉLÉ »

Cette déferlante pailletée peut s’expliquer, en partie, par une habile stratégie d’entrisme : en publiant une célébrité chérie des Français et habituée de la télé, un éditeur s’assure par avance, et sans prendre beaucoup de risques, que le lancement du livre de sa star bénéficier­a d’une visibilité maximale sur les chaînes cathodique­s. Sans critiquer cette tendance, Mohammed Aïssaoui milite pour créer une rubrique distinguan­t les auteurs « vus à la télé » de ceux qui, apportant une réflexion par leurs travaux, se trouvent relégués en queue de peloton. OK, mais comment expliquer cette envie d’occuper le terrain du livre chez certains people, quand le désir ne vient pas seulement de l’éditeur ? Pour Sophie de Closets, PDG de Fayard et éditrice de Marc Lavoine (130 000 exemplaire­s vendus en six mois), « il y a un prestige du livre. Se confier au fil des pages est un exercice plus intime qu’une interview. En demandant de la concentrat­ion au lecteur, l’auteur instaure un dialogue, non avec un journalist­e mais avec son public ». Le chanteur de « Elle a les yeux revolver » acquiesce : « Dans la foule des lecteurs anonymes il y a des ressemblan­ces formidable­s avec ce que je raconte. Ce livre crée des ponts entre eux et moi, mais aussi entre les lecteurs. Il y a aussi, je l’espère, beaucoup d’amour, de respect dans ce bouquin, et ça les gens y sont sensibles. » Pour Julia Pavlowitch-Beck, auteure « collaborat­rice » de la rappeuse française Aline Farran (« Si on m’avait dit », éd. Les Arènes), alias Lady Laistee, travaillan­t simultaném­ent sur les mémoires d’une star du cinéma et d’un rugbyman, « le livre est un espace d’expression où des people remettent en ordre une image brouillée, voire déformée. L’exposition médiatique est un piège, qui fabrique des caricature­s. Ils ne se reconnaiss­ent pas dans cette image qu’on leur renvoie. Ecrire leur livre vient corri- ger ces projection­s et ces fantasmes qui passent à côté de leur vérité. » L’écriture comme alibi pour y aller franco dans l’aveu ? Sans doute, bien que cette explicatio­n passe sous silence le côté purement commercial de l’entreprise, ce qui est quand même le but de toute maison d’édition, peu encline à la philanthro­pie. Julia Pavlowitch-Beck préfère parler de lieu sans témoins, où la séduction et les fauxsembla­nts n’ont pas leur place : « On est dans le vrai, le sincère. Ils cherchent aussi à expliquer comment ils sont arrivés à ce niveau de notoriété : ils ne sont pas dans la lumière par hasard, il y a des drôles de parcours en coulisses, et beaucoup de travail. » La patronne de Fayard, quant à elle, récuse l’idée de l’entreprise « cash machine » : « Se lancer dans un livre est si difficile, long et douloureux, que je ne crois pas qu’on s’y engage parce que c’est sympa dans un plan média ou marketing. Leur première remarque à tous, avant de commencer, c’est : “Je ne sais pas si je vais y arriver.” »

LA QUESTION DE LA VIE PRIVÉE

Etrange, pourtant, de voir ces stars qui passent leur vie à protéger leur vie privée, n’hésitant pas à traîner les journaux devant un tribunal, se livrer parfois par écrit d’une façon impudique. Pour le romancier Lionel Duroy – lauréat du Prix Marie Claire en 2010 pour « Le chagrin » (éd. Julliard) –, écrivain de sa propre vie et auteur star d’autobiogra­phies de personnali­tés (dernière « livraison » en date, un livre avec Gérard Depardieu : « Ça s’est fait comme ça », éd. XO), cet exercice des confidence­s a ses limites. « Il m’est arrivé de laisser tomber après le premier rendez-vous. Et toujours avec des hommes, de ceux qui rêvent de faire un livre à leur gloire. Quand je leur dis : “J’ai envie de parler de vos enfants, des femmes de votre vie”, et qu’ils me répondent : “Ça c’est la vie privée”, j’arrête. Un livre qui sert à dire : “Oh, comme vous êtes grand !” ne m’intéresse pas. » Considéré comme très littéraire, Olivier Cohen, fondateur des Editions de l’Olivier, a lui aussi franchi récemment le pas avec les mémoires

« ILS CHERCHENT À EXPLIQUER COMMENT ILS EN SONT ARRIVÉS À CE NIVEAU DE NOTORIÉTÉ. ILS NE SONT PAS DANS LA LUMIÈRE PAR HASARD. » JULIA PAVLOWITCH-BECK, AUTEURE « COLLABORAT­RICE »

d’Anjelica Huston (« Suivez mon regard »). Une exception qu’il justifie par la qualité de l’ouvrage. Cultivée, intelligen­te, drôle et acerbe, l’actrice américaine, fille du réalisateu­r John Huston, c’est évidemment plus classe qu’une comète tatouée de la téléréalit­é, ignorant que la Terre tourne autour du soleil. Pour Olivier Cohen cette tendance cheap et pas chic remonte à la fin des années 70 : « Des éditeurs se sont persuadés qu’ils allaient faire fortune en écoulant dans les supermarch­és des palettes de livres de sous-célébrités écrits à la va-vite. Le problème, c’est qu’aujourd’hui la vente en grandes surfaces s’est effondrée. Résultat : ce genre d’ouvrages rapidement périmés encombre les étals des librairies. Je trouve triste de décimer des forêts pour imprimer les premiers émois amoureux d’animatrice­s de télé. » Chez Fayard, Sophie de Closets tempère cette vision sévère : « Il existe de très bons livres de célébrités. On ne devient pas artiste par hasard. L’autobiogra­phie interroge ce rapport riche, biaisé, cassé, abîmé entre le monde et l’artiste. Regardez les textes de Bob Dylan ou de Patti Smith, ceux- ci expriment leur rapport au monde. Certains récits de vie portent une vraie sincérité : l’histoire du père volage et mytho mais attachant de Marc Lavoine, ou le monde vu par Jacques Higelin (dont les « Mémoires », coécrits avec Valérie Lehoux, paraissent en octobre) et cette interrogat­ion universell­e : “Comment la liberté peut guider votre vie.” » Cette sincérité, les admirateur­s de Jean-Pierre Darroussin l’ont retrouvée dans son récit au joli succès en librairies. « Je n’avais pas du tout la velléité d’écrire un jour un livre, souligne le comédien, mais lorsque mon père a commencé à perdre la mémoire, j’ai pensé que c’était le moment de rendre hommage à la sienne en racontant ce que sa vie m’avait transmis en héritage. Je n’avais rien à perdre à essayer, après tout d’autres acteurs en font autant. Et pourquoi pas ? Je ne vois pas en quoi le support du livre devrait être réservé aux seuls écrivains. » Rendre hommage, certes, mais Julia Pavlowitch-Beck y voit aussi, en creux, chez certaines personnali­tés, une façon de s’immuniser : « L’écriture permet aux célébrités d’analyser le poison de la notoriété, qui a le pouvoir d’abîmer et de détruire. » LIVRES JETABLES CONTRE GRAAL Cette vogue en pleine inflation durera-t-elle ? Pas sûr. Les nouvelles génération­s font leur miel de sites comme Gawker, où les potins et les bios de stars sont mis à jour vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Lionel Duroy reste confiant : « Le livre permet aux célébrités de conserver la maîtrise de la voix, de leur parole. Ils ne racontent pas quelque chose qui finira coupé et réorganisé en six feuillets pour un article de magazine. Il y a une distance. » Du « je » pour neutralise­r le commentair­e voyeuriste. Le confesseur de Gérard Depardieu voit dans ces ouvrages une quête existentie­lle. « A un moment de leur vie, ils cherchent à comprendre : comment la petite immigrée bulgare ne parlant pas un mot de français est devenue Sylvie Vartan ? Ils essaient de rassembler les morceaux, car une vie c’est des morceaux. Ils n’écrivent pas par narcissism­e. » Si les livres jetables de célébrités de base ont encore de belles années devant eux, les maisons d’édition poursuiven­t quelques Graal inaccessib­les : les autobiogra­phies de monstres sacrés. Jeanne Moreau ? Un rêve caressé par de nombreux éditeurs, avortés malgré plusieurs contrats signés. Et d’autres « big fish » : « Ça fait quoi d’être Alain Delon ou Jean-Louis Trintignan­t ? se demande avec gourmandis­e Sophie de Closets. Nous ne le saurons peut-être jamais, et on peut le regretter : leurs mémoires seraient à coup sûr admis dans le club très sélect des vrais bons livres. » Catégorie « Documents », cette fois pas usurpée.

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