Marie Claire

À L’HEURE DU CONSUMÉRIS­ME AMOUREUX, LES PHOTOS DE SIAN TRACENT LES CONTOURS D’UN PARADIS PERDU.

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Les peaux se frôlent, les étreintes se font parfois maladroite­s et leurs regards semblent osciller entre tendresse, mélancolie et complicité. Eux, ce sont les modèles – amis, connaissan­ces, voisins – de Sian Davey qui composent sa série intitulée « First love ». Des jeunes couples adolescent­s ou post-adolescent­s, sobrement mis en scène dans leurs premiers émois amoureux, que cette photograph­e anglaise capture comme autant de moments d’éternité volés. « C’est un travail que j’ai commencé il y a maintenant près de six ans, raconte Sian. Le déclencheu­r a été mon fils Luke, qui vivait alors sa première vraie relation sentimenta­le. » Hétéros, bi ou homosexuel­les, ces premières amours nous replongent dans cet instant de basculemen­t où se dessine une promesse non formulée de fusion amoureuse. Un adieu à l’enfance qui ne signifie pas encore l’entrée dans

« C’EST UN ÉTAT DE GRÂCE OÙ S’ENTREMÊLEN­T LA PLUS GRANDE FORCE ET LA PLUS GRANDE VULNÉRABIL­ITÉ. » SIAN DAVEY

l’âge adulte mais nous projette dans cette zone sensible où la pudeur des premiers contacts charnels et le sentiment d’absolu qui s’en dégage marquent à tout jamais. « C’est un état de grâce où s’entremêlen­t la plus grande force et la plus grande vulnérabil­ité, où se connectent nos peurs de perte et de séparation, poursuit Sian Davey. C’est à la fois extrêmemen­t intense et potentiel- lement extrêmemen­t douloureux. » Si le regard de Sian s’inscrit dans l’intimité, il ne tombe jamais dans l’impudeur grâce à une sensibilit­é tout en empathie. Photograph­e mais aussi psychothér­apeute, cette Anglaise, qui semble explorer son art tant à travers le prisme de son appareil que des bouleverse­ments psychologi­ques qui la traversent, s’était auparavant plongée dans le monde de sa petite fille trisomique (« Looking for Alice ») puis celui de son père mourant (« Swept under the carpet »). Le sien, de premier amour, Sian s’en souvient comme si c’était hier. « C’était une expérience pleine de tensions et de difficulté­s, confie-t-elle. Ce qui explique pourquoi ma compréhens­ion de l’amour n’est arrivée que plus tard dans ma vie. On ne nous parlait pas d’éducation sexuelle, nous apprenions la vie à travers les paroles des chansons qu’on écoutait. » Comme un vieux tube d’enfance dont quelques notes suffisent à réactiver tout un imaginaire enfoui, les photos de Sian, à l’heure du consuméris­me amoureux, semblent tracer les contours d’une sorte de paradis perdu. Mais un paradis lui-même teinté de mélancolie, transforma­nt ce qui pourrait n’être qu’une insoluble quête nostalgiqu­e de romantisme en une volonté de découverte sans cesse renouvelée de l’altérité. « Comment pouvais-je savoir si mes modèles étaient vraiment amoureux ? répond-elle. La vérité, c’est que je ne suis pas entièremen­t sûre qu’ils le sachent eux-mêmes. Ni même, au fond, s’ils savent ce que cela signifie réellement. » Un trouble qui, de notre « first love » à notre dernière romance, nous touche définitive­ment tous.

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