Marie Claire

« Les femmes doivent avoir le choix. Travailler ou non doit rester une décision intime »

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En novembre 2013, Dominique Bertinotti, alors ministre déléguée à la Famille, stupéfiait la France en révélant au journal « Le Monde » son cancer du sein. Pendant dix mois, elle a enduré en secret ses traitement­s, tout en défendant la loi sur le mariage pour tous. Aujourd’hui conseillèr­e d’Etat, elle revient sur son expérience, car déstigmati­ser le cancer reste pour elle un acte militant. Marie Claire : Vos traitement­s sont terminés depuis un an et demi, comment allez-vous ? Dominique Bertinotti : Je vais bien. Je suis toujours sous surveillan­ce. Les résultats des traitement­s ont été très positifs. J’essaie donc de ne pas vivre avec la perspectiv­e d’une potentiell­e récidive. Pendant vos dix mois de traitement, vous n’avez jamais cessé de travailler, ce choix répondait-il à une évidence pour vous ? Oui, c’était fondamenta­l : si, en plus de la maladie, j’avais dû interrompr­e mon travail, cela aurait été la double peine. Travailler faisait partie des traitement­s. J’ai fait mon travail de ministre. Je ne prétends pas à l’exemplarit­é. Mais j’ai démontré aux entreprise­s que ce n’est pas parce qu’on a un cancer qu’on doit être exclue du monde du travail. Bien sûr, cela dépend du métier. Les femmes doivent avoir le choix – de travailler à plein temps, à mi-temps ou de s’arrêter. Il est inacceptab­le que certaines doivent s’arrêter, faute de compatibil­ité avec l’organisati­on de leur entreprise. La société n’a pas à leur dicter leur choix. Travailler ou non doit rester une décision intime. Pourquoi avoir choisi, d’abord, de garder le secret ? Je voulais être une ministre malade, mais pas une malade ministre. Sinon, la société m’aurait d’abord vue comme malade. A la fin de ma radiothéra­pie, j’ai choisi de parler, car j’ai ressenti la terreur avec laquelle la société voit le cancer. Il est urgent de changer cette image, ne serait-ce parce que notre société vieillit et que de plus en plus de personnes vont travailler en se soignant. Le cancer doit être considéré comme une étape de la vie, non comme un coup d’arrêt. J’ai par ailleurs vécu, dans certaines salles d’attente, des souffrance­s de femmes qui n’étaient pas seulement des souffrance­s de maladie. Se soigner est très compliqué quand on est seule avec ses enfants, avec de petits revenus. Ne faut-il pas concevoir un système d’aide ménagère temporaire pour certaines femmes en traitement ? Tout ce qui tient à l’accompagne­ment de la maladie est très inégalitai­re. Or une malade ne devient pas une sous-citoyenne, elle a des droits. Vous a-t-il fallu apprendre à vivre différemme­nt pour concilier votre travail de ministre et vos traitement­s ? Je faisais mes chimios le vendredi, afin d’être opérationn­elle le mercredi pour le Conseil des ministres. Le week- end qui suivait, je ne pouvais pas travailler. Certains matins, il fallait que je puise en moi des tonnes d’énergie. Me brosser les dents, par exemple, nécessitai­t de m’asseoir ensuite cinq minutes –, alors je me levais plus tôt. Puis il y a l’image que vous renvoie le miroir : votre visage sans cheveux, sans cils, sans sourcils… Je ne me suis jamais autant maquillée. La perruque, je l’ai portée pour la première fois un lundi, et le lendemain, je répondais aux questions d’actualité, filmées, à l’Assemblée. C’était le test : soit ça se voyait, soit ça passait. A mon arrivée, un collègue m’a lancé : « T’es drôlement bien coiffée ! » Je me suis alors dit : « Tu peux le faire. » J’évitais les gestes trop larges, par peur que la perruque ne tombe. Mais, là encore, il y a des inégalités : entre le haut de gamme et le premier prix. Peut-être faut-il moduler le taux de remboursem­ent afin que les femmes qui ont de petits revenus soient mieux prises en charge. En revanche, à partir d’un certain niveau de revenus, estce nécessaire ? C’est essentiel d’y réfléchir. Tous ceux qui – sans savoir – m’ont félicitée pour ma coiffure ou mon maquillage m’ont aidée, car leurs compliment­s me soufflaien­t : « Tu es dans la vie.»

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intégrale sur marieclair­e.fr/Bertinotti
Retrouvez l’interview intégrale sur marieclair­e.fr/Bertinotti

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