Anais Mak, de Jourden
En 2012, après le Studio Berçot, c’est à Hong Kong, sa ville natale, que la créatrice lance sa marque, qui dévie le classicisme.
2 Interview Vous détournez les codes bourgeois : vos jupes années 50 côtoient des clous, de la transparence. Pour faire naître la puissance sous une apparente innocence ? L’innocence est la forme la plus pure de l’honnêteté. J’aime la subtilité mais je suis très directe. Je ne me demande pas si je veux créer de la dureté ou de la douceur, mais on me dit souvent que les deux affleurent. J’utilise les techniques traditionnelles – la broderie, le plissé, les volants – pour leur faire dire quelque chose de nouveau : la difficulté d’accéder à la féminité, la compétition qu’elle implique parfois. Je suis fascinée par les différents rôles que les filles aiment jouer au quotidien. Les marques créent toujours une vision d’une femme d’un certain type dans un certain rôle, mais nous changeons de rôle cent fois par jour.
Vous dénudez les épaules, structurez des ouvertures : chez vous, le sex-appeal est ponctuel, chirurgical…
S’il est une chose pour laquelle je ne suis pas douée, personnellement, c’est être sexy. Ça n’a jamais été une priorité. Ce qui a pu manquer à ma façon de m’habiller, j’ai voulu l’injecter dans mes vêtements. Ce sex-appeal chirurgical dont vous parlez est le reflet d’une expérimentation, ma première.
Quels sont les chocs esthétiques qui vous ont construite ? Au lycée, je regardais les défilés Balenciaga de Nicolas Ghesquière sur mon iPod pendant les cours. Avec Miuccia Prada, ce sont mes plus grandes idoles. Si on sort de la mode, les paysages de Hong Kong sont déterminants. C’est une ville hybride, avec ses gratte-ciel, ses bureaux ultramodernes et sa partie plus chaotique faite de vieux bâtiments habités par des communautés locales. Ces deux mondes coexistent. Cette particularité esthétique m’a poussée à juxtaposer des éléments qui de prime abord dissonent. Or c’est là que naît l’harmonie. J’ai aussi été marquée par les petits night-clubs d’ici, où des femmes de la cinquantaine très expressives chantent de vieux airs cantonais. Elles ont des robes à paillettes, beaucoup de maquillage, les cheveux colorés, des talons vertigineux. Elles s’habillent pour faire plaisir à ceux qui passeront, veulent être appréciées, cela m’émeut.
En quoi le mouvement prodémocratie hongkongais a inspiré Tropical Melancholia, votre collection pre-fall ?
Le début du mouvement était émotionnellement très fort pour tout le monde (« Révolution des parapluies » en 2014, ndlr). Pour la première fois, des voix s’élevaient ensemble pour changer les choses, exiger de Pékin un vrai suffrage universel. Participer à ces manifestations était bouleversant. Cette rébellion, cette jeunesse nourrissent mon travail. Mon métier est un moyen de communiquer, dans l’espoir que quelqu’un vous entende.