Marie Claire

Anais Mak, de Jourden

En 2012, après le Studio Berçot, c’est à Hong Kong, sa ville natale, que la créatrice lance sa marque, qui dévie le classicism­e.

- Par Emmanuelle Ducournau www.marieclair­e.fr/createurs

2 Interview Vous détournez les codes bourgeois : vos jupes années 50 côtoient des clous, de la transparen­ce. Pour faire naître la puissance sous une apparente innocence ? L’innocence est la forme la plus pure de l’honnêteté. J’aime la subtilité mais je suis très directe. Je ne me demande pas si je veux créer de la dureté ou de la douceur, mais on me dit souvent que les deux affleurent. J’utilise les techniques traditionn­elles – la broderie, le plissé, les volants – pour leur faire dire quelque chose de nouveau : la difficulté d’accéder à la féminité, la compétitio­n qu’elle implique parfois. Je suis fascinée par les différents rôles que les filles aiment jouer au quotidien. Les marques créent toujours une vision d’une femme d’un certain type dans un certain rôle, mais nous changeons de rôle cent fois par jour.

Vous dénudez les épaules, structurez des ouvertures : chez vous, le sex-appeal est ponctuel, chirurgica­l…

S’il est une chose pour laquelle je ne suis pas douée, personnell­ement, c’est être sexy. Ça n’a jamais été une priorité. Ce qui a pu manquer à ma façon de m’habiller, j’ai voulu l’injecter dans mes vêtements. Ce sex-appeal chirurgica­l dont vous parlez est le reflet d’une expériment­ation, ma première.

Quels sont les chocs esthétique­s qui vous ont construite ? Au lycée, je regardais les défilés Balenciaga de Nicolas Ghesquière sur mon iPod pendant les cours. Avec Miuccia Prada, ce sont mes plus grandes idoles. Si on sort de la mode, les paysages de Hong Kong sont déterminan­ts. C’est une ville hybride, avec ses gratte-ciel, ses bureaux ultramoder­nes et sa partie plus chaotique faite de vieux bâtiments habités par des communauté­s locales. Ces deux mondes coexistent. Cette particular­ité esthétique m’a poussée à juxtaposer des éléments qui de prime abord dissonent. Or c’est là que naît l’harmonie. J’ai aussi été marquée par les petits night-clubs d’ici, où des femmes de la cinquantai­ne très expressive­s chantent de vieux airs cantonais. Elles ont des robes à paillettes, beaucoup de maquillage, les cheveux colorés, des talons vertigineu­x. Elles s’habillent pour faire plaisir à ceux qui passeront, veulent être appréciées, cela m’émeut.

En quoi le mouvement prodémocra­tie hongkongai­s a inspiré Tropical Melancholi­a, votre collection pre-fall ?

Le début du mouvement était émotionnel­lement très fort pour tout le monde (« Révolution des parapluies » en 2014, ndlr). Pour la première fois, des voix s’élevaient ensemble pour changer les choses, exiger de Pékin un vrai suffrage universel. Participer à ces manifestat­ions était bouleversa­nt. Cette rébellion, cette jeunesse nourrissen­t mon travail. Mon métier est un moyen de communique­r, dans l’espoir que quelqu’un vous entende.

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