Allô ! papa gonzo
Pas évident de grandir auprès d’une légende littéraire adepte des extrêmes : le fils de Hunter S. Thompson raconte une vie de famille très agitée où affleurent douleurs et, malgré tout, amour. Saisissant.
1 Gonzo : néologisme inventé par l’écrivain et jour
naliste américain Hunter S. Thompson (1937-2005) pour exprimer sa façon très personnelle de considérer l’enquête : un mélange de faits vrais, d’extrapolations subjectives, de pas de côté parfois totalement délirants. L’auteur de Las Vegas Parano mettait en pratique sa théorie en usant d’une écriture rapide, quasi épileptique, traversée de fulgurances stylistiques. Et fit tout pour que son existence fut le copier-coller du versant professionnel. Cet amateur de sensations fortes qui lui permettaient de se sentir en vie, usa et abusa toute son existence de drogues dures, d’alcools brûlants, de compagnonnages abrasifs et d’armes, de préférence chargées. Avant de décider, un jour de février 2005, que la plaisanterie avait assez duré. Il se tira une balle dans la tête.
C’est dans cet environnement traumatisant que grandit comme il peut Juan, le fils unique, témoin dès l’enfance, des folies et sautes d’humeur du paternel, jamais en retard d’une réaction ou d’un fait d’armes inattendu. Ce père qui avait fait de l’adage « Ne jamais expliquer, ne jamais s’excuser » sa philosophie de vie… Juan a survécu, c’est bien le mot, comme il a pu, au milieu de ce perpétuel cataclysme, à fois fascinant, attachant et terrifiant. Il a choisi de raconter, en empruntant avec un talent certain l’une des armes de son père, l’écriture, une enfance et une jeunesse brinquebalées entre les horions, les beuveries, les cris de sa mère battue, et des nombreuses jeunes femmes qui allaient succéder à celle-ci. La manière qu’a Juan F. Thompson de tendre la main à son père, par-delà la mort, en essayant de le peindre au plus juste sans se jeter sur les écueils de la commisération facile, est tout simplement poignante. Au fil des pages, les rôles s’inversent : le fils devient le père de cet enfant terrible des lettres américaines et pardonne – en partie – au géniteur génial et atroce une enfance souvent dérobée. Vivre à l’ombre d’un grand homme, c’est chercher longtemps son propre chemin vers la clarté et la sérénité. Et c’est ce qui advint à Juan F. Thompson. Pleurant à la cérémonie de dispersion des cendres paternelles dans le ciel d’Aspen au moyen d’un canon offert par Johnny Depp. Gonzo jusqu’au bout.
Fils de gonzo de Juan F. Thompson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, éd. Globe, 22 €. 2