Marie Claire

Prison : écrire pour mieux se réinsérer

- Par Elsa Guiol et Manon Quérouil-Bruneel. Photos Stéphane Remael.

De sa sortie, elle s’était longtemps fait une fête, décomptant chaque jour dans sa tête comme un calendrier de l’avent. Mais à mesure que la liberté approchait, Melinda perdait pied. Dans la solitude de sa cellule, les angoisses s’enchevêtra­ient. Inextricab­les. Il y avait la peur de ne plus savoir vivre hors les murs, celle d’être marquée du sceau indélébile des taulardes, sommée de toujours se justifier. La peur, enfin, d’être incapable de redevenir la mère de ses quatre enfants, élevés loin d’elle. Une « petite année » avait suffi pour brouiller le souvenir de leurs visages, de leur odeur et de leur rire. Une fois dehors, Melinda a buté sur chaque geste du quotidien. La prison colle à la peau jusque dans le langage : elle ne disait pas « chambre » mais « cellule », proposait de servir la « gamelle » et tenait toutes ses affaires rangées « sur un mètre →

carré, pas plus ». Moins d’un an après sa libération, elle est de retour derrière les barreaux, à Sequedin. Sans diplôme ni expérience profession­nelle, souvent isolées socialemen­t, souffrant pour beaucoup d’alcoolisme, de toxicomani­e ou de troubles psychologi­ques, comment éviter que ces femmes récidivent et leur permettre de ne pas faire de leur liberté retrouvée une nouvelle prison ? Depuis plus de sept ans, la Fondation M6 a fait de l’univers carcéral une priorité, et développe des « projets tournés vers l’emploi, la lutte contre l’illettrism­e, ou la culture comme vecteur de resocialis­ation ». Et cette année, la Fondation M6 et l’Education nationale ont lancé la deuxième édition du concours d’écriture « Au-delà des lignes… » – dont Marie Claire est partenaire – au sein d’établissem­ents pénitentia­ires, en partenaria­t avec l’administra­tion pénitentia­ire et ses directions interrégio­nales de Lille, Rennes et Paris. Un concours d’écriture auquel participe, entre autres, la prison de Sequedin. « Avec 35 % de personnes en difficulté de lecture dans les prisons françaises (dont 11 % en situation d’illettrism­e), la mobilisati­on autour de l’illettrism­e est devenue un enjeu majeur contre la récidive », expliquet-on à la Fondation M6.

Catherine Renaux est enseignant­e à la prison de Sequedin. Des femmes comme Melinda, elle en voit depuis des années. Chaque jour, dans une petite salle au rez-de-chaussée, elle les accueille et tente de les préparer au retour à la liberté. Il faut la voir les motiver, leur donner envie d’apprendre encore, enseigner le français à celles qui ont tout oublié ou n’ont même jamais appris. La voir utiliser l’écriture comme une échappatoi­re, un moyen de panser ses plaies. Elle les encourage, les pousse à noircir quelques pages. De n’importe quoi – peu importe que ce soit des mots, des phrases… « Enseigner en prison, c’est apprendre à ne mettre aucun frein dans sa façon de faire. Il faut

prendre en compte l’état d’esprit de chaque élève, et il peut changer tous les jours », glisse-t-elle humblement.

« Avec ces femmes, on repart de zéro. Pour construire un projet de réinsertio­n qui tienne la route, il nous faudrait un parc locatif, des places dans des structures adaptées et des formations profession­nelles qui proposent autre chose que le nettoyage

ou la cuisine », constate Olivier Boudier, directeur de l’antenne de Sequedin du Service pénitentia­ire d’insertion et de probation, chargé de prévenir la récidive. Parce que minoritair­es en prison, les femmes (4 % de la population carcérale) se voient systématiq­uement proposer des formations stéréotypé­es, moins variées que celles des hommes. Elles souffrent aussi davantage de l’éloignemen­t géographiq­ue avec leur famille, peu d’établissem­ents disposant d’un quartier pour femmes. Cette année, à Sequedin, elles sont dix-sept à avoir participé au concours. Les lauréats se verront proposer un accompagne­ment à la réinsertio­n. Résultats le 29 juin. — e.g. et m. q.-b.

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Melinda, incarcérée à Sequedin, dans le Nord.
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Pour Catherine Renaux, enseignant­e à la prison de Sequedin, l’écriture est une échappatoi­re, qui aide à panser ses plaies.

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