Marie Claire

Le suicide, cet inconnu

En finir, ce philosophe anglais y a pensé. Une expérience bouleversa­nte qui l’a poussé à s’interroger sur le sens de la vie dans un essai sensible et incisif.

- Par Fabrice Gaignault

Marie Claire : Question directe : avez-vous écrit ce livre afin d’exorciser un désir de mettre fin à votre existence ? Simon Critchley : Cela a fait partie du processus. J’ai traversé une période très douloureus­e à la suite d’une rupture amoureuse et je me suis posé cette question : la vie vaut-elle d’être vécue ? Apparemmen­t, oui, en ce qui me concerne, puisque je suis là pour vous répondre. Le livre est né de là.

Les lettres d’adieu que vous publiez montrent à la fois une déterminat­ion sans faille et un choix énigmatiqu­e.

Ces lettres, la manière de se tuer, les lieux choisis, les symboles laissés ont une importance capitale. La façon de mourir donne un sens à la vie passée, ce qui effraie les survivants, qui se sentent fragilisés dans leur façon de considérer leur propre existence. Est-ce en partie pour cela que tant de gens fuient les discussion­s sur ce sujet ?

Les gens ne veulent pas savoir, c’est une question qui les terrifie car elle les met face à leurs propres sables mouvants. Parler du suicide n’est pourtant pas contagieux, cela n’entraîne pas de contaminat­ion. On devrait se confronter à nos propres terreurs, c’est ainsi que nous pouvons progresser. Le suicide est encore trop souvent considéré comme quelque chose d’interdit, qui va contre la loi publique ou religieuse.

Oui, le suicide est toujours illégal dans l’Etat de New York, par exemple. Les textes religieux considèren­t que votre vie est un don de Dieu, qui ne vous appartient pas en propre. S’arroger le droit d’y mettre fin, c’est aller contre la volonté divine, donc enfreindre la Loi et ses commandeme­nts.

A l’effritemen­t du religieux a succédé la montée en puissance de la psychiatri­e et de la psychanaly­se qui, dites-vous, ont continué à leurs façons de tenir un discours moral.

Oui, à un instrument de domination sur notre libre arbitre en a succédé un autre, bien plus sournois. L’auteur d’une tentative de suicide est devenu un malade qu’il faut absolument soigner. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. On veut soigner au lieu de comprendre qu’après tout chacun doit pouvoir avoir la dignité de choisir sa vie comme il l’entend. Qui, des hommes ou des femmes, se suicident le plus ?

Les hommes, trois à quatre fois plus. Sauf en Chine, où c’est l’inverse. En revanche, les femmes sont trois à quatre fois plus nombreuses à faire des tentatives. Il n’y a qu’un milieu que le suicide arrange, c’est le show-business, avancez-vous.

Bien sûr, car il est peuplé, pour la plupart, de gens cyniques et sans morale, qui pensent avant tout à leurs intérêts. Courtney Love m’a un jour affirmé, à propos de son mari, Kurt Cobain, que l’industrie du disque avait trouvé son suicide « génial ». Cela leur avait fait entrevoir les profits faramineux qu’ils allaient tirer d’une fin si « culte ». Pour eux, la pire chose qu’il puisse arriver à une rock star est de vivre vieux. (Rires.)

Lettres de suicide, de Simon Critchley,

éd. Max Milo, 16 €.

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