La sorcière mal aimée de Rungano Nyoni
Fable mordante, son film décrit le calvaire d’une enfant accusée de sorcellerie. Le moyen pour cette jeune réalisatrice de dénoncer les coutumes patriarcales sur le continent africain.
J’ai quelquefois peur de passer pour un tyran, mais c’est mieux que d’être une petite nature. » Pour le public français qui ne connaît pas encore Rungano Nyoni, voici une belle entrée en matière. Cette citoyenne britannique originaire de Zambie a conçu il y a quatre ans un projet périlleux : restituer la réalité des camps de sorcières en Afrique. Le résultat, assez sidérant, est le portrait d’une fille de 9 ans, Shula, accusée de sorcellerie, maltraitée, exploitée, qu’on suit pas à pas dans I am not a witch.
« Au Ghana, ces femmes sont devenues le symbole du patriarcat. Ce sont souvent des personnes âgées et des enfants. On les exhibe comme des attractions touristiques. J’ai rencontré un chef de camp qui vivait dans un palais avec dix sorcières à son service. » D’où le parti pris de cette fable aux accents mordants et surréalistes, parfois comiques. Rungano Nyoni n’est pas du genre à se lamenter sur la condition de ses personnages. Elle préfère explorer la limite entre les lois collectives et l’émancipation potentielle des individus. La petite Shula doit-elle accepter passivement son destin ? Ou se rebeller et fuir, au risque d’être métamorphosée en chèvre – une menace que ses pairs font peser sur elle ?
« Je viens d’une famille de femmes fortes, explique la réalisatrice de 35 ans. Ma grand-mère conduisait des camions et s’est mariée à un Espagnol, alors qu’à l’époque les unions interraciales étaient proscrites. Elle a toujours défié les règles. » Rungano aussi. A 9 ans – l’âge de son héroïne –, elle quitte sa Zambie natale et s’installe à Cardiff, au Pays de Galles, avec ses parents. A 17 ans, en voyant La pianiste de Michael Haneke, elle décide de faire du cinéma : « J’ai été subjuguée par ce film. Isabelle Huppert résumait ce que j’étais, alors que je n’avais rien de commun avec son personnage. » Elle se rêve un temps actrice, mais réalise vite son premier court métrage – My great hapiness –, où déjà une enfant noire en robe blanche cherche son chemin dans un centre commercial. « Je n’ai pas de souvenirs avant 15 ans » , constate Rungano Nyoni, l’air navré. C’est peut-être ce qui la pousse à puiser son inspiration dans les coutumes anciennes ou du côté de ses origines. La Zambie est fondée sur une société matriarcale : « Le pouvoir s’y transmet de femme en femme », précise-t-elle. Toute cette force, la cinéaste s’en vante autant qu’elle la redoute, vivant parfois mal son caractère abrasif. Le prix de l’intensité.
I am not a witch de Rungano Nyoni, avec Maggie Mulubwa, en salles le 27 décembre.