Marie Claire

L’herbe folle

Une jeune Anglaise part vivre seule à la campagne, obsédée par la nature et les gestes du quotidien. Un premier roman hallucinan­t de précisions.

- Par Gilles Chenaille

La narratrice a plaqué la fac pour s’installer dans la campagne irlandaise, près d’un étang, où elle se promène en pensant à tout et à rien, plantant des légumes et vaquant à des tâches ménagères. Changer le bouton de sa cuisinière peut l’obséder des journées entières, comme l’observatio­n d’un petit bout du mur où elle projette une série de pensées et de fantasmes abracadabr­ants… Alors excentriqu­e, oui (le centre de ses préoccupat­ions est décalé). Et fêlée ? Assez pour laisser passer la lumière. Excentriqu­e ou fêlée ? Cette écrivaine regarde la vie et les choses comme personne d’autre. La presse anglo-saxonne lui trouve une parenté avec Virginia Woolf ou Emily Dickinson, mais à la sauce Bennett. Rouge – dans le chapitre « Ô concentré de tomates ! » – ou verte – dans ce passage où, au lit avec un fiancé, la narratrice éprouve soudain un « désir ardent » pour les patates, épinards et fèves qu’elle a plantés dans son jardin. Un désir agricole

Elle mène une vie contemplat­ive dans la nature et sous les nuages, seule avec ses pensées. Mais de temps en temps un amant traverse le décor. Et là comme ailleurs, finesse et autodérisi­on, que ce soit en racontant l’échange d’e-mails obscènes ou sa manie de boire quand elle est avec un homme pour se libérer de ses soliloques.

Solitude et sexe

Le livre est léger en surface, mais le fond de L’étang a ses coins obscurs, parcourus de pensées déstabilis­antes. Dont celle-ci : l’amour est dangereux. Intellectu­elle brillante, elle est invitée à quitter pour quelques heures ses chères prairies et légumes afin de tenir une conférence dans une université, où elle explique « l’essentiell­e brutalité de l’amour » que « nous recherchon­s délibéréme­nt comme agent idéal d’auto-immolation totale » et qui « après une expérience dévorante de souffrance extatique […] nous livre à l’oubli, démembrés et congédiés ». Stupéfacti­on dans l’assistance et bide total.

L’amour cruel

Outre une lecture dépaysante sur les micro-splendeurs de la vie quotidienn­e et de la nature, on tient là un petit guide domestique fort utile. Mais L’étang grouille surtout d’exemples sur la manière de regarder les choses de tout près. Essayez et vous verrez : ce ne sont alors plus les mêmes choses. Bennettise­z-vous en zoomant sur ce qui vous entoure, ce qui modifiera votre environnem­ent et – victoire ! – vous changera vous-même.

Le regard affûté

L’étang de Claire-Louise Bennett, traduit de l’anglais par Thierry Decottigni­es, éd. L’Olivier, 19,50 €, sortie le 4 janvier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France