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« Pendant la séance photo, il a mis son doigt dans ma bouche, j’ai pensé que c’était bizarre mais j’ai laissé faire. A partir de là, il m’a demandé de me déshabiller. Il a sorti son pénis de son pantalon et a commencé à prendre des photos de moi en train de le tenir. Puis il m’a ordonné de lui faire une fellation. […] Il s’est branlé sur mon visage. Il m’a dit de garder les yeux ouverts, et son sperme a giclé dedans. » Ce témoignage de l’Américaine Charlotte Waters, ex-modèle devenue aide-soignante, sur son expérience avec le photographe Terry Richardson, a été publiée en 2014 sur le site Vocativ. Soit quatre ans avant que Condé Nast International annonce, dans un discret communiqué interne, révélé le 22 octobre par le journal The Telegraph, ne plus souhaiter travailler avec le sulfureux photographe →
Avant Charlotte Waters (en 2010), Jamie Peck, éditorialiste à The Guardian, rapportait au site The Gloss une expérience similaire survenue l’année de ses 19 ans, durant laquelle celui qui aime se faire appeler « Oncle Terry » l’aurait contrainte à le masturber devant l’objectif. Une liste de victimes à laquelle on peut rajouter les noms de Sarah Hilker ou de Liskula Cohen et qui, jusqu’alors, n’avait jamais fait trembler le photographe. Lequel, hier comme aujourd’hui, continue de nier ces accusations, plaidant des relations entre adultes évidemment consentants. A l’heure où, dit-on, la parole des femmes se libère à la suite de l’affaire Harvey Weinstein, le cas Terry Richardson vient cruellement souligner à quel point exprimer les violences que l’on a subies ne suffit souvent pas à arrêter les responsables. « A l’époque, plusieurs mannequins avaient même pris la défense de Richardson en disant que les filles qui se rendaient à ses séances savaient très bien à quoi elles s’attendaient », rappelle le sociologue Frédéric Godart. Comment expliquer, alors, le récent boycott de cet intouchable de la mode, coqueluche des plus grandes stars, parmi lesquelles de nombreuses féministes revendiquées telles que Lena Dunham, Lady Gaga et Beyonce ? « Selon moi, il y a deux facteurs principaux, répond l’auteur de Sociologie de la mode 2). Tout d’abord une
( évolution globale des valeurs, ce qui était trash et transgressif il y a dix ans est maintenant devenu inacceptable. Ensuite, la force de frappe des réseaux sociaux : de fait, il est beaucoup plus compliqué aujourd’hui qu’hier d’étouffer la parole d’une personne qui a décidé de parler. » Et celle qui a braqué les regards sur le milieu de la mode en pleine affaire Weinstein se nomme Cameron Russell. Après avoir confié, sur son compte Instagram, le viol par un photographe dont elle avait été victime à tout juste 15 ans, cette mannequin américaine a enjoint les femmes à s’approprier son hastag #myjobshouldnotincludeabuse (« La maltraitance ne fait pas partie du métier ») et appelé les professionnels de la mode à ne plus travailler avec ces prédateurs souvent connus de tous. Car au-delà du cas Richardson, il semble qu’une remise en question de ces dynamiques mortifères soit à l’oeuvre dans la mode. « On peut notamment le noter via l’initiative de LVMH, qui a travers une charte publiée en septembre dernier s’est engagé à ne plus faire poser de modèles de moins de 16 ans et à faire en sorte que celles âgées de 16 à 18 ans soient accompagnées d’un membre de leur famille, analyse Frédéric Godart. Cette volonté de protéger les mannequins jeunes, donc les plus fragiles et les plus susceptibles d’être victimes de ces abus, est un énorme changement. Et que cette décision vienne d’Antoine Arnault, un décideur marié avec une mannequin, Natalia Vodianova, qui sait donc très bien ce qu’il se passe sur certains shootings, ne doit rien au hasard. » En espérant donc que ces initiatives, aujourd’hui indispensables, ne soient pas simplement là pour faire joli sur la photo. – v.c. 1. En 2014, seule l’édition américaine de Vogue avait officiellement mis fin à sa collaboration avec Terry Richardson. 2. Ed. La Découverte.