Marie Claire

rencontre Natalia Vodianova : une symphonie russe

“Je suis flexible et, en même temps, très résistante. Je plie mais je ne casse pas.”

- Par Nicolas Rey. Photos Van Mossevelde+N. Réalisatio­n Anne-Sophie Thomas.

J’arrive dans le studio. Natalia Vodianova est facile à remarquer. Elle vérifie ses photos sur un écran d’ordinateur. Gravement. Les bras croisés. Elle ne sourit pas. Derrière elle, une vingtaine de personnes sont au garde-à-vous. On ne rencontre pas l’une des plus belles et des plus puissantes femmes au monde en survêtemen­t infâme. La veille, j’avais donc fait l’acquisitio­n, boulevard Haussmann, d’une chemise, d’un pantalon et d’une veste noire. A la dernière photo, Natalia fait signe qu’elle approuve le shooting. Les vingt personnes derrière elle applaudiss­ent comme si la jeune femme venait de trouver un vaccin contre le VIH. On me présente Natalia. Je lui explique dans un anglais approximat­if que ma grand-mère était russe et que, dans mon enfance, elle me préparait du bortch avec des pirojkis. Natalia me sourit. Je lui demande comment elle trouve la force de vivre à Paris. Elle me répond que Paris est sa ville préférée. « Et hormis Paris ? » je demande. « Les lacs et les rivières », elle me rétorque. « En revanche, je déteste la mer et l’océan », ajoute-t-elle, mystérieus­e. L’interview peut commencer.

Nicolas Rey : Quel est, d’après vous, le plus beau mot de la langue française ? Natalia Vodianova : Espiègle.

Pourquoi ?

Ça c’est une autre question.

En tout cas, je trouve que c’est un très bon choix. Je crois qu’on va bien s’entendre ! Enfant, vous avez vécu dans la pauvreté. Est-ce que le fait d’avoir été pauvre rend plus fort par la suite ? Evidemment. Plus sensible à la souffrance des autres, plus fière. Ça m’a rendue très résistante. Je ne me laisse pas abattre facilement. Je suis capable d’endurer plus que d’autres. Ce que ça m’a apporté, c’est audelà de la force.

Le sexe dans l’amour, c’est 20 % du couple,

30 % du couple, 50 % ou 100 % du couple ?

Le sexe dans un couple est très, très important. Mais il y a tellement d’autres aspects qui entrent en compte dans une relation. L’endurance, le compagnonn­age, le confort, l’équilibre, les intérêts similaires, les goûts communs, les tempéramen­ts, la complément­arité. Mais tout ça sans le sexe, ce n’est que de l’amitié. Je dirai donc que le sexe c’est 80 % du couple.

Moi je dirai que le sexe c’est 150 % du couple.

Vous dites ça parce que vous êtes écrivain.

Non. Je dis ça parce que je suis français ! Que pensez-vous de Vladimir Poutine ?

Je ne fais pas de politique. Je peux juste être le reflet de ce que ressentent les gens de mon pays, et la plupart adore le Président. C’est difficile pour moi de juger, parce que je ne vis pas là-bas, mais de ce que j’entends et de ce que je sais, c’est de manière certaine un leader très protecteur et attentionn­é.

Il paraît que la première fois que vous avez rencontré Antoine Arnault, vous ne l’avez même pas remarqué. Alors que pour lui, ça a été immédiatem­ent le coup de foudre.

C’est ce qu’il dit, oui. J’étais concentrée sur mon travail, donc c’est vrai que je ne me souviens pas l’avoir remarqué à ce moment-là.

Ensuite, vous lui avez très vite présenté vos grands-parents, votre mère, vos enfants et même la nourrice, qui a fait une crise cardiaque !

C’était un test. En Russie, on a un personnage récurrent de vieux contes de fées qui s’appelle Ivan. Ivan combat toujours le mal, c’est un type simple, qui a l’air d’un perdant au début mais qui, en fait, est le plus fort, le plus persévéran­t. C’est le meilleur, et le héros de toutes les histoires. A un moment, Ivan doit sauter dans un chaudron plein d’eau bouillante s’il veut gagner l’amour de sa princesse, et bien sûr il le fait. Antoine a dû faire la même chose avec ma famille, et il l’a fait avec courage, humour et grâce. C’est l’une des personnes les plus gracieuses que j’ai jamais rencontrée­s.

Que pensez-vous de la dictature de la maigreur dans le milieu du mannequina­t ?

Je ne suis pas une grande combattant­e de la maigreur parce que je suis mince, je suis née comme ça et je suis bien comme ça. Cela ne m’empêche pas de dénoncer la dictature de la maigreur et toutes les sortes de préjugés sur le corps. Je pense que les femmes sont belles dans toutes leurs formes. On ne devrait pas dire à des filles qu’elles devraient maigrir pour travailler, parce que ce n’est pas vrai, personne n’est obligé de perdre du poids pour entrer dans des vêtements, ce sont les vêtements qui doivent s’adapter à une mannequin, et c’est tout.

Si vous étiez directrice de casting, est-ce que vous accepterie­z de me prendre comme mannequin ?

Non. Vous n’êtes pas mannequin, vous êtes écrivain. C’est sans doute très intéressan­t, mais pas pour présenter des vêtements.

Vous souvenez-vous du moment où vous êtes tombée amoureuse d’Antoine ?

Je suis toujours en train de tomber amoureuse de lui, ce n’est pas fini. Il me surprend encore, je trouve toujours des choses nouvelles que je chéris chez lui. Dans un sens, je l’ai aimé dès que je l’ai vu ; mais d’un →

autre côté, ce sentiment continue d’évoluer avec les années, comme les racines d’un arbre qui s’enfoncent de plus en plus profondéme­nt dans la terre. C’est une union incroyable qui me submerge. Mon amour pour lui est plus fort chaque jour.

Depuis l’affaire Harvey Weinstein, on évoque davantage le harcèlemen­t sexuel. En avez-vous été victime ?

C’est fou, on en parlait l’autre jour avec Antoine. Il me demandait la même chose, il me disait que c’était incroyable que ça ne me soit jamais arrivé et je lui ai répondu : « Ben non, ça ne m’est jamais arrivé. Je ne sais pas, je ne suis peut-être pas assez attirante… »

Vous avez 35 ans et cinq enfants. Ce n’est pas fréquent dans votre milieu. Pourquoi ?

Au contraire, ça devient de plus en plus fréquent, mais au moment de ma première grossesse c’était encore très nouveau, et je me souviens avoir eu ce bébé en même temps que Liya Kebede a eu le sien. Au moment où nous sommes revenues travailler sur des shootings ou des castings, on a voulu montrer que ce n’était pas un obstacle. Nous étions des pionnières, en quelque sorte.

Vous êtes l’égérie de Shalimar de Guerlain. Je rêve de le porter. Mais un homme peut-il porter un tel parfum ?

Les parfums n’ont pas de genre sexuel. J’ai beaucoup d’amis qui mélangent plusieurs parfums pour femmes et hommes, indifférem­ment des sexes.

Vous avez une soeur autiste. Vous avez créé une cité pour enfants. Racontez-moi votre engagement. Parlez-moi de votre fondation. Naked Heart Foundation n’a pas été, à la base, créée pour des gens comme ma soeur, mais c’est devenu la partie la plus importante de mon travail depuis six ans. Je n’ai jamais eu honte d’avoir une soeur autiste, mais j’étais constammen­t exclue. Les enfants à l’école, les gens de l’immeuble nous détestaien­t parce que ma soeur criait fort la nuit, les murs étaient fins, elle laissait couler l’eau dans la salle de bain quand on était absents et inondait les voisins. Les aires de jeux étaient une manière de m’échapper de tout ça. Celles que j’ai financées sont grandes, pleines de couleurs, elles permettent aux enfants et à leur famille de s’échapper de la réalité.

Votre mère n’a jamais voulu placer votre soeur ?

Non, jamais. Si nous étions rejetés, considérés comme bizarres par la société, c’est parce que ma mère gardait ma soeur à la maison, alors que d’habitude ce genre d’enfant est placé, abandonné en institutio­n dès la naissance. Là-bas, ils sont nourris, propres, mais ils mourront avant l’âge de 10 ans parce que personne ne leur parle, on ne les fait pas sortir, ils sont abandonnés par la société, c’est une honte. J’ai voulu proposer une alternativ­e à ces familles en améliorant le système social, en formant des spécialist­es, des enseignant­s, en travaillan­t avec le gouverneme­nt pour leur apporter plus d’éducation aussi, car on travaille avec des enfants qui ne pouvaient pas aller à l’école. Avec nous, ils sont assis à des tables et étudient les maths, beaucoup ne peuvent pas parler mais utilisent du matériel pour communique­r.

Vous rêviez de faire du cinéma, vous en avez fait, mais j’ai l’impression que le cinéma vous a un peu déçue. Je me trompe ?

Je n’ai pas été vraiment déçue, cette passion m’avait toujours attirée, mais j’ai dû faire des choix : je ne pouvais pas, en même temps, poursuivre ma carrière d’ac- trice et mon projet caritatif, et ce dernier était beaucoup plus important pour moi. Et puis j’ai cinq enfants, et donc très peu de temps. C’est l’histoire du beurre qu’on étale : si on fait trop de choses, on ne fait rien de bien.

Vous avez déclaré dans L’Express :

« Je n’aime pas du tout mes rides. » Moi je trouve ça très beau, les rides.

On aime les rides des autres, pas les siennes. Quand je regarde ma grand-mère, je trouve ces rides magnifique­s, mais je n’aime pas les miennes.

Vous avez aussi déclaré : « Aucun homme ne me verra jamais en pyjama. » Pourquoi ?

Aucun homme ne me verra en pyjama parce que je pense que ce n’est pas sexy. Je ne préfère pas prendre de risque.

Votre plus grande qualité ?

Je suis flexible et, en même temps, très résistante. Je plie mais je ne casse pas.

Votre plus grand défaut ?

Un peu la même chose. J’ai les défauts de mes qualités : je ne renonce jamais, je ne regarde pas en arrière, je ne connais pas le regret.

Quelle est la chose qu’Antoine vous reproche le plus souvent ?

Il trouve que je prends les choses trop au sérieux. Quelle est la chose qu’il apprécie le plus en vous ?

Ce que je fais de ma vie.

“Je ne renonce jamais, je ne regarde pas en arrière, je ne connais pas le regret.”

Si un jour votre mari rentrait à la maison et vous disait : « Mon amour, j’ai fait une faute monstrueus­e, je viens de te tromper. » Que lui répondriez-vous ?

C’est très français comme question. Je ne sais pas si je lui pardonnera­is. On a un arrangemen­t. Nous ne sommes pas enchaînés. Si un jour ça ne marche plus entre nous au point qu’il me trompe, on sera libre d’aller chercher le bonheur ailleurs. Mais si on se sépare, ce sera en paix, on sera amis.

A quand le sixième enfant ?

On ne sait pas, on est bien comme ça. Je dois prendre soin de moi. On y pensera plus tard.

Avez-vous réalisé votre rêve d’enfant ?

Je n’avais pas de rêve quand j’étais enfant, ce n’était pas un luxe dont je disposais, c’était pour les autres enfants. Mais je pense que les rêves sont si précieux qu’on ne devrait pas en parler, même à nous-mêmes. Je ne peux pas les expliquer, c’est une sensation mais c’est loin d’être explicite.

Quelle est la partie de votre corps que vous préférez ?

Tout ou rien.

Moi, ce sont vos sourcils.

Ah bon, c’est dommage.

Pourquoi ?

Rien. Disons que je pensais que j’avais d’autres qualités physiques que mes sourcils. Si vous aviez un seul conseil de beauté à fournir à une femme, ce serait lequel ? Tout ce qui fait qu’on voit le sang affluer sur le visage. Défi, timidité, sport, sexe, être heureuse : les émotions rendent beau. Plus on fait sortir ses émotions, même le chagrin, et plus on est beau.

Pouvez-vous me dire à quelle senteur vous êtes la plus sensible ?

J’adore l’odeur de la nature, de l’herbe, des arbres, des fleurs, l’air frais, l’extérieur, les montagnes, les champs, je me sens régénérée. Ma grand-mère enlaçait les arbres, elle me demandait de le faire quand j’étais enfant, je trouvais ça bizarre mais maintenant je la comprends : on ressent beaucoup de pouvoir lorsqu’on enlace un arbre.

En tant qu’égérie du maquillage Guerlain, avez-vous appris des astuces ? J’utilise le maquillage pour différente­s choses, parfois pour me mettre en valeur et même pour me transforme­r quand je sors de chez moi. Au réveil, on est une certaine femme, et avec du maquillage on peut devenir une autre femme, on est prête à affronter la journée.

Vos trois produits de beauté indispensa­bles ?

Le mascara, Lotion P50 de Biologique Recherche et Super Aqua – une crème hydratante de Guerlain incroyable, que j’utilise depuis dix ans, crème de nuit et de jour.

Quel est votre geste de beauté essentiel ? Celui qui vous ressemble le plus ?

Je me fais un massage-drainage en appliquant ma crème hydratante. (Elle me la montre.) Ça lutte contre la rétention d’eau.

Aimez-vous votre âge ?

J’ai 35 ans ! Oui, parce que c’est presque comme ce à quoi je m’attendais. A 30 ans je savais ce que je voulais faire. Aujourd’hui je travaille dur mais je me diversifie, j’ai toujours voulu que mon organisati­on caritative soit le centre de ma vie, plus que le mannequina­t ou le reste, parce que pour moi c’est la vraie vie. Je commence à avoir plus d’assurance, je suis bien dans ma peau.

Pour vous, la féminité c’est quoi ?

La femme est toujours forte, elle n’a pas besoin de dominer les autres pour l’être. Elle n’a pas l’esprit de compétitio­n. Voilà sa force.

Quelle est votre drogue favorite ?

L’amour.

Incroyable ! Moi aussi.

Je m’en doutais un peu.

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 ??  ?? Robe Dior. Bague Monete Bulgari.
Robe Dior. Bague Monete Bulgari.
 ??  ?? Blouse et jupe Loewe. Bague Monete Bulgari. Mise en beauté Guerlain avec, pour le teint, Abeille Royale Daily Repair Sérum, Lingerie de Peau Aqua-Nude Clair 2N, Météorites perles de poudre Clair 2, Palette Gold Edition Noël ; pour les yeux, Stylo Yeux...
Blouse et jupe Loewe. Bague Monete Bulgari. Mise en beauté Guerlain avec, pour le teint, Abeille Royale Daily Repair Sérum, Lingerie de Peau Aqua-Nude Clair 2N, Météorites perles de poudre Clair 2, Palette Gold Edition Noël ; pour les yeux, Stylo Yeux...

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