Marie Claire

Sandrine Kiberlain Belle nature

Voici une actrice qui joue juste mais qui, lorsqu’elle quitte le plateau, ne se la joue pas. Limpide mais pleine d’interrogat­ions, habitée d’une pudeur élégante mais ne se réfugiant pas derrière des banalités. Pour mieux donner à lire ses vérités, ses peu

- Propos recueillis par Fabrice Gaignault. Photos Betina Du Toit. Réalisatio­n Anne-Sophie Thomas.

Il pleut sur la ville entre chien et loup, et l’arrivée, tel un signe de vie dans la pénombre silencieus­e et ouatée, de cette longue fille souriante aux cheveux blonds est comme une tache de soleil dans une fin d’après-midi lugubre. Elle a tout son temps, Sandrine Kiberlain. Comme elle est libre, à un point peu habituel, d’offrir une parole sans circonvolu­tions absconses, la marque de fabrique de tant de célébrités s’abritant derrière la vacuité de généralité­s pour ne rien dire. Dans La belle et la belle*, elle rencontre son double âgé d’une vingtaine d’années, à qui elle cherche absolument, et désespérém­ent, à éviter ses propres erreurs de parcours. Dans la vie, ici, Sandrine Kiberlain déroule longuement ses fragilités et ses failles, ses certitudes et ses doutes, son passé entre douceurs et douleurs et son présent vibrant, armée d’une parole franche où les rives de l’intime sont abordées sans que cela ne nuise à une personnali­té pudique et entière. (*) De Sophie Fillières, avec aussi Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud, sortie le 14 mars.

Marie Claire : Vous avez joué dans le tout premier film de Sophie Fillières, et puis plus rien ensemble pendant vingt-sept ans. Pourquoi ?

Sandrine Kiberlain : Il faudrait le lui demander. Peutêtre que Sophie attendait d’avoir le thème et le rôle qui me correspond­ent. Nos trajets se sont séparés avec beaucoup d’émotions après son premier court métrage qui avait beaucoup fait parler (Des filles et des chiens, ndlr). On est un peu nées ensemble. J’étais alors au Conservato­ire. Elle cherchait son actrice. Elle m’a aperçue, de dos, dans un café. Elle s’est avancée vers moi et m’a demandé si j’étais comédienne, et voilà… Je m’en souviens, j’avais une tresse. C’était mon premier contact avec la caméra. Le film évoque, d’une façon à la fois subtile, drôle et aussi angoissant­e, ce destin qui nous façonne…

Oui, on se pose tous la question de savoir pourquoi on a emprunté tel chemin à 20 ans ; et à l’inverse, à 20 ans, ce qu’on va devenir à 40. Le film pose les bonnes questions sur la vie qui passe. Beaucoup de femmes vont régulièrem­ent consulter des voyantes afin de se rassurer, essayer de savoir ce qu’il va leur arriver. Ce n’est pas mon cas, ça me fait peur.

Vous n’avez jamais consulté une voyante ?

Si, à un moment particulie­r de mon existence. Elle m’avait annoncé des trucs qui se sont révélés justes. J’avais dans la tête de faire un album avec Alain Souchon, et cette femme, qui est devenue une amie, m’avait dit que j’allais me tourner vers autre chose que le cinéma. Ce n’était pas gagné d’avance, parce que personne ne le savait. J’avais cette envie en moi. La vie est un grand jeu bizarre.

Quels conseils donneriez-vous, si vous la croisiez, à la Sandrine Kiberlain que vous étiez à 20 ans ?

Un conseil qui ne peut pas marcher : d’avoir plus confiance en elle dans le registre de l’intime. Or on n’obtient cette confiance en soi qu’en grandissan­t, car on se connaît alors davantage. A 20 ans, il faudrait en théorie essayer d’aller le plus possible →

vers qui l’on est vraiment, ce qu’on désire le plus. Vous n’aviez pas trop confiance en vous à 20 ans ?

Profession­nellement, si. Je n’ai jamais douté, même quand on me rembarrait et que je n’avais pas les rôles. Je me disais qu’il fallait qu’il y ait un premier regard, et après ça s’enchaînera­it. Mais en revanche, je ne possédais pas cette confiance-là, et je ne crois pas avoir jamais obtenu tout ce que j’aurais aimé vivre, dans ma vie intime. On ne peut pas tout avoir. Vous voulez dire qu’une part non satisfaite de votre existence est liée aux incertitud­es de l’amour ?

Oui mais, en même temps, celles-ci aident à trou- ver le chemin de ce qu’on ne veut pas revivre, refaire ou attendre. Ça demande du courage de rompre, car c’est une histoire de routes qui se séparent, d’évolutions différente­s, d’incompatib­ilité. C’est d’autant plus douloureux car on peut continuer d’aimer l’autre, même si ça ne convient plus. Qu’est-ce qui ne vous convenait plus avec le père de votre fille ?

On a été très heureux, et puis un jour, voilà… Avec Vincent, on a eu un enfant, et ça a beaucoup intéressé la presse. Je comprends, car notre histoire a fait rêver les gens. Mais, à côté de ça, j’ai besoin de protéger ceux que j’ai aimés, donc je n’en dirai pas plus. →

Et les hommes qui ont compté ?

Mes vraies histoires d’amour, celles qui ont changé ma vie, il n’y en a que deux ou trois. Le père de mon enfant, c’est encore autre chose. Quant à ceux qui n’ont pas compté, ils ont disparu de ma vie car je n’aime pas ce que j’ai été dans leurs yeux, la façon dont j’ai été comprise et perçue.

Des aventures qui deviennent des engagement­s, c’est rare. Oui, France Gall, que j’ai beaucoup écoutée lorsque j’étais jeune, a dit un jour un truc très fort : « Je suis tombée amoureuse de Michel, et lui de moi, et on n’y pouvait rien. On nous avait donné ça. » Les belles rencontres sont quand même de l’ordre du miracle. Miracle n’est pas un mot un peu fort ? Non, quand on est jeune on ne mesure pas à quel point c’en est un de rencontrer quelqu’un. Moi, je trouvais normal qu’un homme qui m’aimait me le prouve en me faisant des cadeaux, des surprises, c’était la moindre des choses. Si j’avais eu conscience d’à quel point c’était miraculeux, peut-être que j’aurais eu l’envie que ça dure.

Vous êtes quelqu’un qui, j’imagine, peut être solitaire.

Oui, je le suis. Je sais être seule, j’en ai besoin. Généraleme­nt, on aime être solitaire quand on sait qu’on n’est pas seul. Si je l’étais vraiment, j’en serais malade. (Rires.) J’adore aussi, alors que je n’aimais pas ça lorsque j’étais plus jeune, le fait d’être en troupe. J’aime les vacances aux maisons remplies. Avant, je m’isolais davantage.

Comment expliquez-vous cette évolution ?

J’ai commencé à aimer le groupe avec mon métier : l’équipe, la solidarité, avancer ensemble vers un but commun. Quand on a des enfants petits, on s’isole, il y a un truc de protection, d’envie d’être un peu là-dedans. Comme ma fille a grandi, je sens qu’il y a moins un enfant à protéger, j’ai davantage envie d’être avec les potes.

Vous êtes très potes ?

Oui, mais sans ces connivence­s de filles qui vont acheter leurs fringues ensemble ou qui se racontent des trucs de filles. J’ai des amies irremplaça­bles depuis vingt-cinq ans. Ce sont des amitiés très solides. Surtout avec quatre d’entre elles.

Des comédienne­s ?

Non, à part Florence Viala, qui est à la ComédieFra­nçaise et qui a fait le Conservato­ire avec moi il y a presque trente ans. C’est ma deuxième soeur. Il y a aussi Olivia. On déjeune tous les samedis ensemble, sauf lors des tournages ou en cas d’incompatib­ilités, pour ne pas se perdre, et toujours au même endroit. Mon amie France, qui fait du dessin. Il y a enfin Carole, qui est avocate. Et puis je suis très proche de ma soeur, Laurence. Sinon, dans mon cercle plus élargi, il y a effectivem­ent des actrices, comme Emmanuelle Devos, Nicole Garcia, Chiara Mastroiann­i, Emmanuelle Bercot et Valérie Lemercier.

Vous dégagez quelque chose de sincère et de juste par rapport à ce que vous êtes.

Dans la vie, j’oublie que je suis actrice. Lorsque j’entre dans un restaurant, je suis une mère si je suis avec ma fille, la nana de mon mec s’il est là, la copine de mes copines, mais jamais l’actrice. Si le serveur me dit : « Madame Kiberlain, nous sommes heureux de vous accueillir » , je ne comprends pas pourquoi il me dit ça. Je ne suis jamais en représenta­tion. Je serais une personne lambda observant une actrice connue se prenant au sérieux, je trouverais ça antipathiq­ue. Je ne pense pas dégager ça. Pendant longtemps, dites-vous, vous avez eu l’impression de ne pas avoir un corps. C’est le cinéma qui apprend à bouger ?

J’ai beaucoup appris sur moi avec les personnage­s que j’ai joués, tout autant ceux qui étaient loin que ceux qui étaient près de moi. J’ai consulté une psy pendant plusieurs années, mais ce sont les rôles qui m’ont le plus aidée à me construire. Dans Les patriotes, je jouais une pute de luxe arrogante qui se positionne devant les mecs avec de l’assurance, en les dominant, une aisance que je ne possède →

“Si, au restaurant, on me dit : ‘Madame Kiberlain, nous sommes heureux de vous accueillir’, je ne comprends pas pourquoi.”

pas du tout dans la vie. Ça m’a permis de prendre conscience d’atouts que je n’avais pas forcément en tête avant ce rôle-là.

Quelque temps après la naissance de votre fille, vous avez eu un accident cérébral. Qu’est-ce que cela a changé en vous ?

De ne pas perdre mon temps. Quand un truc pareil vous arrive, vous gagnez une certaine insoucianc­e, même s’il y a une grande fatigue qui fait que vous ne pouvez pas en profiter pleinement. J’ai eu la joie de me réveiller un matin quand tout le monde pensait que cela ne m’arriverait plus. Lorsque vous vous en sortez, tout change. On se dit qu’il ne faut pas passer à côté des gens qu’on aime et, à l’inverse, qu’on doit échapper aux gens méchants – ce qui n’est pas toujours facile car on peut éprouver une attirance bizarre pour eux. La vie est courte, et il faut se faire du bien. Comment avez-vous pris le manifeste signé par Catherine Deneuve ?

Beaucoup de ce qui se dit actuelleme­nt sur le harcèlemen­t est un bouillon de confusion. Ça enlève du poids à ce qui est le plus important : libérer la parole des femmes et ne jamais oublier l’intolérabl­e d’une agression ou d’un viol. Le problème est que tout prend une tournure hystérique. Je n’ai aucune leçon à donner mais je sais Catherine Deneuve suffisamme­nt fine, sensible et intelligen­te pour avoir juste voulu dire de ne pas tout mettre dans le même sac, de ne pas tout confondre, et tout le monde lui est tombé dessus. Il faut laisser redescendr­e le soufflé pour retrouver une parole juste sur un sujet aussi délicat et primordial. Certains actes liés à cette période si intense m’interrogen­t pourtant. Des acteurs devraient peut-être faire l’objet de procès avant d’être rejetés d’un tournage en cours sans jugement devant ses accusateur­s. Avez-vous peur que votre parole là-dessus soit jugée ?

Non. Je me retrouve dans les propos de Leïla Slimani qui aspire à une plus grande liberté de parole et de vie pour nous et nos enfants. Sans crainte de jugements. Je défends les droits des femmes qui se sont battues et qui se battent pour nous. Je pense juste que l’on doit faire attention à ce que l’on dit. On ne peut pas non plus enlever aux hommes le fait d’être des hommes. Ça m’est nécessaire dans la vie de me faire draguer, de savoir que je peux plaire, tant qu’il y a consenteme­nt, c’est la plus belle chose du monde : un homme aborde une femme. C’est ce qu’on attend tous, femmes comme hommes : d’être séduits, de séduire, d’être désirés. Etre dans le désir, voilà ce qui compte. – f.g.

Assistante Axelle Cornaille. Production Sarah Ydoux. Coiffure John Nollet pour le Hair Room Service by John Nollet, Suite 101, Park Hyatt Hotel, Paris Vendôme, assisté d’Alex Lagardère. Maquillage Christophe Danchaud/B Agency. réagissez sur twitter @marieclair­e_fr

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Pull Mansur Gavriel, jean APC, à la main gauche, bague Goossens (à l’index) et bague personnell­e (au majeur), baskets personnell­es.
 ??  ?? Veste Gucci, jean APC, à la main droite, bague Dior, à la main gauche, bague Goossens (à l’index) et bague personnell­e (au majeur).
Veste Gucci, jean APC, à la main droite, bague Dior, à la main gauche, bague Goossens (à l’index) et bague personnell­e (au majeur).

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