Marie Claire

Entretien « Ce n’est ni une soeur, ni une fée, ni une déesse, c’est Vanessa Paradis »

- Par Marianne Mairesse et Nicolas Maury

Pour inaugurer le nouveau “Marie Claire”, nous avons voulu parler de Vanessa Paradis autrement, proposer un regard sensible, différent sur l’actrice, la chanteuse, l’égérie Chanel. C’est l’acteur Nicolas Maury, son partenaire dans “Un couteau dans le coeur” et son admirateur depuis l’enfance, qui nous l’a offert au fil d’une discussion intime et sincère.

“Ce n’est ni une soeur, ni une fée, ni une déesse, c’est Vanessa Paradis.” Nicolas Maury

Dans le prochain film de Yann Gonzalez, “Un couteau dans le coeur” ( 1), “décharge de poésie, de beauté, de violence”, elle est une productric­e de films pornos en 1979, lesbienne blonde platine. Nicolas Maury, son partenaire, y joue un acteur et réalisateu­r de films X, et se révèle, dans la vie, être un fan subtil de Vanessa Paradis depuis son plus jeune âge. L’occasion était trop belle de les réunir pour une discussion sincère et de l’interroger sur l’icône française, l’égérie Chanel, l’objet, comme il nous le confie, de son attraction-fascinatio­n.

« C’était en 1987, le soir de Noël. On m’avait offert un mange- disque orange, et ma grand-mère Jeannette, le 45 tours de Joe le taxi. Je me souviens des couleurs noir et jaune de la pochette. Est sortie la voix de Vanessa. J’avais 7 ans. Ce fut une invasion. Vanessa est comme un pays, une icône française, elle condense des moments proustiens de mon enfance, ma solitude, beaucoup de solitude. J’ai bâti mon monde dans ma chambre, “la chambre à soi”. Premier concert de ma vie, j’ai 13 ans, Limoges. Mes parents viennent juste de divorcer. Elle avait lancé un petit tambourin dans la salle et avait blessé quelqu’un. Je lui en ai parlé sur le tournage du fi lm de Yann (Gonzalez, qui réalise Un couteau dans le coeur, ndlr), elle m’a dit : “C’est fou, c’est quasiment mon premier concert.” C’était le “Natural High Tour”, avec l’album de Lenny Kravitz. Vanessa avait conduit au revival patte d’eph et j’avais demandé à ma grand-mère Jeannette, qui cousait, une idée dingue : ouvrir mon jean bleu ciel en bas et coudre deux triangles mauves d’un autre jean sur chaque côté. Je l’ai porté pour la première fois au concert, avec mes Kickers jaune et rouge. Au lycée, tout le

monde disait : “Oh, ce look !” Mais il fallait l’assumer. Sans que je la connaisse, elle m’a permis d’être un peu plus moi-même. Les personnes que l’on aime dans l’enfance, qu’on adore même, permettent de se centrer, y compris à l’intérieur de sa propre famille : “C’est mon goût à moi, c’est différent de vous tous, et je vais aller tellement loin dans cet amourlà qu’il va me révéler.”

Au cinéma, le choc est venu de Noce blanche. Ce film m’a fait le même effet que L’eff rontée, avec Charlotte Gainsbourg. Ce sont des fi lles de France qui ne s’appartienn­ent plus vraiment. Ma soeur, elle, préférait le versant Romane Bohringer, dans Les nuits fauves. Vanessa est une femme amoureuse, et quand j’étais enfant c’était un peu scandaleux. J’ai cherché de quoi, de qui j’étais amoureux aussi. Elle n’était ni une soeur, ni une fée, ni une déesse, c’était Vanessa Paradis. C’est cet amour-là que j’ai pour elle, précis. Ma soeur m’appelle encore pour me dire : “Il y a

Vanessa sur France 2.” Le 33 tours “Variations sur le même t’aime” de Gainsbourg, c’est ma soeur qui l’a eu. Je le convoitais. Quand elle n’était pas là, j’allais voir la pochette dans sa chambre. Vanessa était de profi l avec des cheveux très raides, je regardais les photos à l’intérieur. Elle est un liant, un terrain d’entente dans ma famille. C’est à la fois moi et vraiment d’où je viens.

2001. Je suis monté à Paris tout seul, pour la première fois. Je ne suis pas très vieux, j’ai 18 ans. Mon père m’a commandé un taxi à la gare d’Austerlitz pour aller écouter “Bliss” à l’Olympia. Il y a Johnny Depp et une dame qui dit : “Tu vas voir, les petits,

comme ils sont dingues quand Vanessa arrive.” Elle ressemble à la grand-mère de Titi et Grosminet. Avec du recul, ce devait être Marceline Lenoir, son agente de cinéma de l’époque.

Etre une star de variétés n’a plus le même impact aujourd’hui. Vanessa a creusé ses raretés pour apparaître. Quand elle était sur le plateau de Michel Drucker, c’était un évènement. Toutes les fi lles scrutaient ses cheveux, son look : si elle était brune, si elle avait une jupe violette, si elle portait un collant, une natte sur le côté ou des fleurs dans les cheveux… Cultiver ses apparition­s est très antique. Une icône c’est ça : un visage qui unit.

Cela aurait pu être une idylle d’enfant, mais elle a continué. Adolescent. Jeune adulte, j’ai quitté la maison, fait le Conservato­ire. Je me suis plongé dans l’écriture contempora­ine, Claudel, Koltès… Nous écoutions plutôt Barbara. Ma décision d’acteur est

“Cela m’a pris des années d’être plus généreuse et moins renfermée.”

radicale, pas populaire. Mais j’ai gardé le cap Vanessa, comme un équilibre. Vanessa, c’est moi. La toute première fois que je l’ai rencontrée, c’était au restaurant. Je la vois arriver avec une grosse capuche au loin, je suis avec le metteur en scène Yann Gonzalez. Je dis à Yann : “Je ne vais pas y ar

river”, et Yann me broie la cuisse sous la table. Il me dit : “Tu te calmes.” Je me suis levé et j’ai dû refroidir le moment. Elle m’a pris dans ses bras. Elle avait vu Les rencontres d’après minuit, et – ce qui est abyssal pour moi – elle m’aime bien. Je me suis assis et on a commencé à faire des choses normales, commander des plats. Nous sommes là pour parler du fi lm. J’ai mis très longtemps à me concentrer. Je n’ai jamais autant regardé un menu de ma vie. Je ne voulais pas montrer mon passé d’adoration. J’ai plutôt bien joué la normalité et je m’y suis habitué. Sans croire aux signes ni parler de destin, j’ai été appelé par cette fi lle-là dans mon enfance, et puis je l’ai rencontrée en vrai. Elle a fait ce pas et ouvert ses bras.

Vanessa est comme un chat, elle regarde les gens en silence. Après notre rencontre, je pense qu’elle m’a observé autant, si ce n’est plus que moi, parce que moi je n’osais plus. Elle veille aussi, elle est très protectric­e.

Le rôle de Vanessa dans le fi lm de Yann est comme une reformulat­ion d’elle-même. C’est un grand fi lm. Tout le monde le sentait sur le tournage, mon corps le sentait.

La défi nir ? C’est plus intéressan­t de dire que je n’y arrive pas. On ne peut délimiter un rêve. C’est trop profond, je veux garder cet état d’enfance, cet état éternel. Il n’est pas si courant que quelqu’un nous mette à ce point en mouvement dans la vie. Il n’y a pas beaucoup de Vanessa, moi, dans ma vie. »

Marianne Mairesse : Nicolas, vous avez découvert la voix de Vanessa un soir de Noël, à 7 ans.

Nicolas Maury : Oui, c’était comme l’âme soeur. Ma grand-mère disait : « Ta Vanessa ! »

Vanessa Paradis : La musique entre dans nos vies, davantage que le cinéma.

N. M. : Ce n’était pas que la musique. C’était aussi le petit oiseau Chanel, l’idée d’être la poupée de soimême, sans fatalité, on peut se regarder, avoir un costume, et Vanessa condensait cette idée de façon joyeuse, heureuse, je le recevais ainsi par ma télé.

V. P. : Je peux le comprendre car la musique a une place si particuliè­re dans nos vies. Je le vois en écoutant Nostalgie dans ma voiture. Je me mets à chanter des chansons que je n’aimais pas du tout à l’époque, mais elles me ramènent à un moment de ma vie, je les connais par coeur. C’est vrai que très vite j’ai fait du cinéma et de la publicité, ma carrière est devenue très théâtrale. Quand on voit quelqu’un qui y parvient, on se dit : « Pourquoi pas moi ? » Tu étais trop petit pour voir combien mes débuts ont été difficiles, comme les gens m’aimaient moyennemen­t. Peut-être as-tu vu ou entendu des choses. Quelqu’un qui continue quand même, cela encourage. M. M. : Vanessa, quand avez-vous vu Nicolas pour la première fois ?

V. P. : Tu n’avais pas encore fait Dix pour cent, j’avais vu Les rencontres d’après minuit, que j’ai adoré. Nicolas m’a plu, c’était un acteur nouveau, un acteur très fort. Quand Yann m’a dit que tu jouerais dans le fi lm, j’étais si heureuse que tu sois mon partenaire !

N. M. : Et comment imaginer quelqu’un d’autre dans le rôle d’Anne Parez, qui est ton antithèse. En même temps, tu y as déposé quelque chose de toi. Je ne sais pas si tu aurais pu le faire à un autre moment de ta vie.

V. P. : Je l’aurais fait différemme­nt. C’est une question d’âge et d’expérience. Etre en confiance avec soimême, à l’aise avec soi-même, donc avec l’extérieur et les autres. Cela m’a pris des années d’être plus généreuse et moins renfermée.

N. M. : Je sais que tu admires Marilyn Monroe. V. P. : Marilyn, c’est la femme. Je l’adore en actrice, en chanteuse. J’ai du mal à l’analyser, mais petite, vers 5 ou 6 ans, j’étais enveloppée, cajolée par son image et par sa voix. Je la voyais, et elle me faisait du bien. Elle me donnait envie de danser, d’être une femme, légère et tragique. M. M. : Vous souvenez-vous de la toute première fois où vous l’avez vue ?

V.P. : Dans un livre. Chez mes parents, la bibliothèq­ue

était proche de la télé, et il y avait ce gros livre sur elle, avec des photos au milieu. Je l’ai ouvert et je suis restée scotchée. Très vite, j’ai vu ses fi lms en boucle. Dans ma chambre d’adolescent­e, je l’écoutais chanter. Une chanteuse de jazz. Elle chante si bien.

N. M. : As-tu besoin d’emmener des gens sur ta barque lors d’un tournage ?

V. P. : Les actrices qui m’ont bouleversé­e, je ne les amène pas sur le plateau. Je n’ai jamais cherché à ressembler à Marilyn mais, inconsciem­ment, ma manière de bouger, mes mouvements, doivent en être inspirés. Je la regarde depuis que j’ai 5 ans. Romy Schneider, c’est autre chose : comment a-t-elle fait ? La scène où Yves Montand la vire et où elle lui dit :

« Mais je ne suis pas à toi, tu ne m’as pas achetée. » Cela m’a impression­née et j’y pense à beaucoup de moments de ma vie.

M. M. : Qu’y a-t-il de viril en vous ?

V. P. : Ma virilité et mon côté animal se mélangent dans la protection de mes enfants, dans ma propre protection. Si je dois marcher vite dans la rue pour ne pas que l’on me retarde, je marche d’un pas lourd, d’un pas sûr aussi.

N. M. : Ce qui m’a le plus surpris chez toi, ce que je n’avais pas perçu avant de te rencontrer, c’est ton autorité. Tu as une solidité, une robustesse. Pour le fi lm, comment as-tu abordé le fait d’aimer le personnage de Loïs, une femme ?

V. P. : Comme lorsque je dois aimer un homme que je n’aime pas. On me demande d’aimer ce personnage, c’est ce que je dois faire. Tu t’inspires de ta vie, de tes émotions et tu te concentres sur ses yeux, sur sa bouche.

N. M. : Peut-on jouer l’amour à 20 ans comme à 40 ? V. P. : C’est différent. Il y a des années de vie dans ton regard, on y lit plus de choses, bien que l’intérieur des yeux, l’iris, ne change pas. C’est peut-être la vie autour qui change (Rires.)

N. M. : Marilyn a écrit des notes, des poèmes ( 2)… Ecris-tu aussi des choses personnell­es ?

V. P. : Marilyn, vivante, n’aurait jamais laissé sortir cette chose.

N. M. : Je sais bien, mais il y a des pépites qui, moi, m’ont aidé à vivre. Y aura-t-il un jour une part très autobiogra­phique de toi ?

V. P. : D’intime ?

N. M. : Quelque chose qui serait ton écriture totale. V. P. : A partager ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, je dirai non. Il y a une contradict­ion en moi : j’aime tellement être devant l’oeil du public…

N. M. : Tu y es nue.

V. P. : Oui, j’adore ça, mais pendant ce moment que j’ai choisi. Le reste du temps, je n’aime pas partager, je le fais dans mon intimité. Pour l’instant, j’ai la sensation d’en montrer plus que j’en donne. Peut-être aussi parce que j’ai peu de confiance en mon écriture. Sans fausse modestie, et avec lucidité, j’aime souvent plus les chansons que l’on m’off re que celles que j’écris moi-même.

N. M. : Dans ton parcours, tu as souvent été aimée par de grands auteurs. Es-tu en quête d’un auteur ?

V. P. : D’auteurs, pas d’un auteur. Ce sont eux qui me donnent ma raison d’interpréte­r. Ce que je préfère par-dessus tout, c’est chanter de très bonnes chansons. De la même façon, je demande toujours à mon metteur en scène : « Où est-ce que tu me veux ? » Si je fais les choses selon moi, je n’évolue pas. Les auteurs me transcende­nt et m’élèvent. 1. Avec aussi Kate Moran, Salim Torki, sortie le 20 juin. 2. Rassemblés dans Fragments, éd. Points.

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B Agency (Vanessa Paradis). Coiffure et maquillage Fidel Fernandez/ Airport Agency (Nicolas Maury). Assistante Axelle Cornaille. Production­a Sarah Ydoux.
T-shirt (Majestic Filatures). Coiffure Laurent Philippon/ Calliste. Maquillage Christophe Danchaud/ B Agency (Vanessa Paradis). Coiffure et maquillage Fidel Fernandez/ Airport Agency (Nicolas Maury). Assistante Axelle Cornaille. Production­a Sarah Ydoux.

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