Marie Claire

La chronique de Lauren Collins

Correspond­ante à Paris du New Yorker.

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J’ai pris un train pour la première fois quand j’avais 18 ans. Non, je n’ai pas grandi dans la jungle, ni au XVIIIe siècle, mais aux Etats-Unis, un pays dans lequel il existe de grandes étendues non desservies par les chemins de fer. Maintenant – comme la fi lle de parents végétarien­s qui craque pour une entrecôte saignante –, je suis, si ce n’est ferrovipat­he, du moins fermement ferroviphi­le.

Je me contrefich­e de l’Hyperloop, le projet de transport électromag­nétique hyper-rapide d’Elon Musk. C’est le feeling que j’adore, la sensation paresseuse de me déplacer d’un endroit à un autre en regardant les champs en mosaïque, en grignotant un sandwich médiocre, en feuilletan­t un magazine encore plus médiocre (ce qui n’est pas toujours possible pour ceux d’entre nous qui sont malades en voiture). Je suis bercée par l’entêtant « Ta, tala ! » qui résonne dans les haut-parleurs, comme 94 % de mes compatriot­es

adoptés, qui se disent, selon un sondage, « attachés » ou « très attachés » à la signature sonore de la SNCF. Pourquoi, alors, ne sont-ils pas plus compatissa­nts envers les cheminots, qui au cours de la grève ont vu leur niveau de soutien baisser en dessous de 45 % ? La Société nationale des chemins de fer français, fondée en 1938 afi n de faciliter la circulatio­n dans l’ensemble de l’Hexagone à des prix abordables, est plus ou moins synonyme des vacances. (« Ta, tala ! ») Et si ses employés bénéficien­t d’avantages absurdes et peuvent consacrer tout leur temps après l’âge de 52 ans aux loisirs, leur dévouement à la vie douce provoque en moi une certaine admiration. C’est peutêtre en Américaine qui a trop vu les déprédatio­ns d’un néolibéral­isme déchaîné que je veux défendre ce qui n’est pas forcément défendable. Moi, je salue quiconque arrive, à notre époque, à s’accrocher à ses avantages.

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