Marie Claire

Benjamin Biolay Melvil Poupaud Chanteurs de charme

- Par Catherine Castro et Fabrice Gaignault – Photos Louis Canadas

L’un chante, l’autre aussi, ce que l’on savait moins. Nés la même année, ils ont aussi aimé la même femme, à moins qu’ils ne l’aiment toujours. Séducteurs notoires, amis à la mort, ils reprennent sur scène leurs chansons d’amour préférées. Sur les filles, sur leurs filles, sur ce que signifie être un homme et sur leur rapport au temps qui passe, ils jouent un peu aux mecs, mais laissent affleurer leur sensibilit­é.

Descente en duo au studio d’enregistre­ment de SaintGerma­in- des-Prés, où Benjamin Biolay et Melvil Poupaud répètent. Bouteilles de vin rouge entamées, effluves marocains… dans la pièce de repos et de parlotes, le décor de musicos est presque trop parfait. Les compères, sapés « Blues Brothers » version slim, sont là pour évoquer leur tournée de reprises qui ne laissent pas de marbre le public féminin. Deux beaux organes, quasi jumeaux ( janvier 1973), 45 ans donc au compteur, deux filles prénommées Anna et une femme sublime à leur palmarès amoureux, Chiara Mastroiann­i. Une amitié qui a mis du temps. Longtemps rivaux sur le chapitre « Femmes je vous aime » ? Ces tontons flingueurs de la séduction nous confient être en mood « Rangé des voitures ». Voire. Cuisinés par deux enquêteurs, l’un sournoisem­ent gentil et complice, l’autre plus frontaleme­nt cogneuse, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud baissent la garde et révèlent, sous le capot estampillé « Hommes à femmes », une très subtile alchimie amicale où les grandes réponses n’effacent pas les vannes et les confidence­s ultra- complices.

—Comment est né le projet « Song Book » ?

Benjamin Biolay : De manière très empirique. Sur mon dernier album, il y a une chanson sur la classe ouvrière que je voulais faire de manière fellinesqu­e, et j’ai demandé à Melvil de chanter en italien. Ensuite, il est venu parfois me rejoindre sur scène avec sa basse. On se connaissai­t déjà pas mal. Et puis c’est venu. Mais je ne me souviens pas du déclic. —Vous vous connaissez depuis combien de temps ? B.B. : Une bonne dizaine d’années. Je suis quelqu’un qui prend bien son temps avec les potes.

Melvil Poupaud : Nos filles sont devenues copines. Et donc j’entendais beaucoup parler de Benjamin.

—Vous chantez quoi ? B.B. : Des reprises de chansons françaises. Et comme on est multi-instrument­istes, il y a un petit côté orchestre de poche, mais pas avec un petit son. M.P. : C’est vraiment un panorama assez large. Que des trucs qu’on aime.

—L’admiration, chez vous, est de quel côté ? M.P. : Musicaleme­nt, j’ai toujours admiré Benjamin. Et aussi sa façon d’être décontract­é. Comme les

grands joueurs de foot, tu as l’impression que c’est super-facile. A son niveau, il n’y en a pas beaucoup.

B.B. : Melvil a fait, très jeune, des films mythiques. Et j’ai découvert un très bon musicien. J’aime aussi ses dessins. Et sa façon de penser. C’est un mec culte. En plus, il a pris des risques, il n’a jamais fait acteur pour le pognon. —Vous vous êtes foutu sur la gueule pendant les répétition­s ?

M.P. : Non, on a eu des divergence­s, mais on s’est jamais accroché.

B.B. : Je peux être très autoritair­e, mais on s’est jamais embrouillé. Je ne fais pas la musique comme ça.

—La musique c’est un méga piège à filles ! B.B. : Je ne sais pas. Chez moi la musique c’est tellement sérieux. J’ai constaté que c’était mieux d’avoir une guitare et de savoir en jouer. C’est aussi un truc très solitaire. —Une ascèse ? Vraiment ? B.B. : Oui. Après les concerts, tu as rencontré le sous-préfet, départ du bus dans une heure… A peine le temps de se doucher. Pas question d’after.

—Vous avez un public plutôt féminin… B.B. : Ça s’équilibre. Au début, oui, ce qui ne me dérangeait pas. On a surtout un public de curieux.

—J’ai remarqué, Melvil, que tu croisais tes jambes. Il y a cette idée que c’est efféminé…

B.B. : Si la virilité c’est se gratter les couilles, les jambes écartées en regardant Laurent Gerra à la télé, alors je ne suis pas du tout viril ! M.P. : J’approuve. Je ne me suis jamais vraiment pensé sur le dossier de la virilité. D’ailleurs, je m’en fous.

—Et les femmes viriles ?

B.B. : C’est ultra- excitant. Une actrice française que je trouve un peu virile, c’est Adèle Haenel. Je l’adore.

M.P. : Parfois je regarde des meufs qui ressemblen­t à mon grand-père, et elles me font triper. C’est plutôt une question de style. Une façon de se tenir, sobre et virile. On est trop figé dans des stéréotype­s.

B.B. : En fait, je m’en tape de savoir si je suis viril ou pas. Je suis parti tôt de chez moi, j’ai dû créer mon modèle masculin sans mon père. Quand on me chambrait en me traitant de tapette dans la rue, je m’en foutais, à 15 ans j’avais la taille que j’ai aujourd’hui, et je pouvais avoir un regard dur. Alors on ne me faisait pas chier. —Est-ce que vous avez grandi avec cette incantatio­n : « Il faut être un homme, mon fils » ? M.P. : Je me le suis dit à un moment.

B.B. : Moi aussi. Il y a des moments, quand c’était un peu dur d’être loin de mes parents, où je me disais : « Tu es un homme, il faut que tu te reprennes. »

M.P. : C’est un point commun entre nous. J’ai eu une quête quasi esthétique de l’image du père, que je ne voyais pas beaucoup. J’ai toujours eu dans la tête ce que devrait être un homme. Comme un rôle d’idéal.

B.B. : Gainsbourg, je le trouvais super-viril dans ses provocs, alors qu’en fait il avait tous les stigmates de la féminité. Il n’avait rien du « macho man ».

—Vous avez déjà été macho men dans votre vie ? M.P. : On me serine avec ça, je ne comprends pas pourquoi. Je ne me suis jamais imaginé comme ça.

B.B. : On m’a sorti, en Argentine : « C’est cool, t’es hypermacho ! » J’ai répondu : « De quoi tu parles ? Pas du tout ! – Mais si : tu tiens la porte des femmes, t’es galant… » Je ne pige pas en quoi c’est macho. —Benjamin, tu as été élevé par une mère qui avait quel genre de caractère ?

B.B. : Elle aurait pu foutre, tranquille, une tarte à Colin Powell.

M.P. : La mienne aussi, dans le fond, c’était une Ma Dalton, elle a eu du courage d’élever seule deux garçons. Elle ne s’écrasait jamais. Elle devait toujours se bagarrer pour se défendre. —Vous êtes protecteur­s avec vos femmes ? M.P. : Il y a un côté misogyne dans ta question. Ma meuf n’a pas besoin d’être protégée. Je peux être protecteur avec elle comme avec Benjamin ou un pote. B.B. : Prend Jeanne Moreau, si tu la faisais chier, tu ne mesurais plus qu’un centimètre, elle te démontait. Je l’ai vu trasher un journalist­e qui lui avait manqué de respect, genre : « Alors, Miles Davis c’était un bon coup ? » Elle te l’a explosé en moins de deux. M.P. : Notre tournée, c’est aussi une histoire de protection mutuelle.

B.B. : Je donnerais ma vie pour Melvil.

—Vous avez chacun une fille qui, curieuseme­nt, s’appelle Anna.

B.B. : Ouais, et on n’a pas fait exprès. La mienne a 15 ans, la sienne 16.

“Ma mère, elle aurait pu foutre, tranquille, une tarte à Colin Powell.” Benjamin Biolay

M.P. : Elles se connaissen­t. Elles ont beaucoup de tendresse l’une pour l’autre, avec des caractères forts.

—Votre rapport à elles, c’est leur montrer un modèle d’homme acceptable ?

B.B. : Tu ne dois pas leur cacher qui tu es. Avec tes faiblesses. Il ne faut pas qu’elles découvrent post mortem toutes tes conneries, et que tu tombes de ton socle comme une merde alors que tu n’es plus là.

M.P. : Il faut être dans l’honnêteté, quitte à ce ne soit pas toujours glorieux, et surtout pas dans l’idéalisati­on, du style : « Papa est tellement génial ».

—Ça ne va pas être compliqué de croiser les copines de vos filles lorsqu’elles auront 20 ou 25 ans ? La trouille des meufs, c’est de se dire que les mecs de 40 ou 50 ans vont vers des jeunettes.

M.P. : Aucune trouille à avoir en ce qui me concerne ! Je vais de plus en plus vers des filles de ma génération. Je ne suis pas attiré par les très jeunes filles. Bon, ça m’arrive, comme à tout le monde, de mater un cul dans la rue, mais ça s’arrête là.

B.B. : J’ai toujours été avec des filles de mon âge, avec qui j’ai des repères, genre : « Ah, tu te rappelles, les Bisounours, comme c’était le bon temps ! » Les filles de 45 ans sont méga bonnes.

M.P. : Benjamin et moi on a eu de la chance, on a été gâté, mais ce qui m’attire aujourd’hui chez les femmes ce n’est plus la même chose. Ce qui m’excite, c’est la relation, la connaissan­ce de plus en plus grande de la personne avec qui je vis. Le sexe ne devient qu’un prolongeme­nt de ce rapport-là. —Les femmes peuvent vous rendre dingues ? M.P. : Je ne sais pas, j’ai arrêté tout ça.

Sérieux ?

B.B. : Moi aussi, j’ai arrêté ces conneries.

—Des moines trappistes, quoi…

B.B. : Le truc artistique, ça mange le cerveau, il n’y a pas beaucoup de place pour qui que ce soit. En ce moment, je sais que je ne rate pas grand- chose en passant ma vie en studio. —Vous avez tous les deux aimé la même femme, Chiara Mastroiann­i…

M.P. : Oui, bien sûr. A dix ou quinze ans d’écart. Chiara et moi, on était des bébés de 16 ans.

B.B. : On l’aime toujours, d’ailleurs. Le début de notre amitié passe par Chiara.

—Vous êtes très différents. Vous êtes-vous posé la question de savoir ce qui la relie à vous ?

B.B. : On a la même admiration pour Chiara. Elle est tellement lumineuse, et drôle ! On l’adore tous les

deux, mais ça relève de l’intimité. Parler de quelqu’un qui n’est pas là, ce n’est pas mon truc. —Vous êtes de sacrés séducteurs, quand même ? M.P. : Je me suis jamais considéré comme tel. Jamais ! Ça me saoule la séduction.

—C’est quand même le grand truc du séducteur de nier qu’il l’est.

B.B. : Imagine que j’ai eu cent femmes dans ma vie… M.P. : Il en a eu bien plus ! (Rires.)

B.B. : Je te cite un chiffre au hasard. Eh bien, il y en a peut- être qu’une que j’ai vraiment cherchée. Je n’ai jamais eu besoin de faire : « Salut, comment ça va ? tu t’appelles comment ? », des trucs de boulets. A l’époque ou je sortais en boîte, je me mettais dans un coin et j’attendais que ça arrive.

M.P. : Moi aussi. Je n’ai jamais supporté d’avoir l’impression d’abuser, de profiter d’une position d’acteur. Je déteste ça. J’ai l’impression de faire un abus de pouvoir.

B.B. : Après tout, tu vois par toi-même quand la fille veut se taper le chanteur. La séduction, c’est un bien grand mot, ça peut être un plan crado à deux balles. Bon, en même temps, si je flashe à la folie sur une fille, je suis capable de louer un avion et de faire écrire dans le ciel des conneries comme : « Marie-Françoise, je t’aime ! »

M.P. : Tu oublies que c’est un jeu tout ça ! Et il faut que ça reste ludique.

B.B. : Aujourd’hui, avec tout ce qui arrive, la séduction demande beaucoup d’usages et de précaution­s, genre : « Bonjour, madame… » Il ne faut pas y aller franco. Si une fille me dit : « Voulez-vous coucher avec moi ? », faut voir, peut- être on en reparle. (Rires.)

M.P. : Et elle te fait signer un papier sur lequel elle a écrit tout ce qu’elle a le droit ou pas de te faire au lit. (Rires.) Bon, nous on bosse beaucoup, on n’a pas le temps de penser aux meufs. Le temps est précieux pour nous, on a vieilli. Non, on n’a pas vieilli, on refuse de vieillir, mais on n’a plus de temps à perdre en conneries comme la séduction.

“Le début de notre amitié passe par Chiara. On l’aime toujours.” Melvil Poupaud

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