Marie Claire

La piscine au lait

- Par Nicolas Rey*

Un souvenir d’enfance pour commencer. Je devais avoir 7 ans et mes parents habitaient dans un lotissemen­t à Gasny, au 1, allée Circulaire. Les voisins d’à côté avaient pour mômes deux adorables fillettes de mon âge dont j’étais secrètemen­t amoureux. Je me souviens bien de leurs visages parce que mon père les avait prises en photo et qu’elles demeurent dans son album de famille. Le jour de leur anniversai­re, car elles étaient jumelles, les fillettes avaient installé une immense piscine gonflable en plein centre de leur jardin. Je suis arrivé en maillot de bain sur le terrain de jeu et, pour faire le fier, avant même de saluer qui que ce soit, j’ai effectué un plongeon dans la piscine. Hélas pour moi, elle était vide. Résultat des courses, je me suis cassé mes deux dents de lait du devant et je saignais de partout. J’étais surtout rouge de honte. Moi qui voulais faire mon effet ! C’est plutôt réussi ! Le père des jumelles m’a conduit à toute allure chez son dentiste. Après une heure d’attente, ce dernier s’est contenté de cicatriser la plaie en me lançant : « Plus de peur que de mal. » Je suis revenu au moment du gâteau d’anniversai­re. Je n’ai rien pu avaler et me suis contenté d’un jus de pomme. Petite consolatio­n dans mon malheur, depuis mon plongeon catastroph­ique, l’une des jumelles s’est transformé­e en une véritable aide-soignante. Elle me tenait la main sous la table et me demandait toutes les cinq minutes si je tenais le coup. « Je m’accroche », je répondais en feignant un sourire crispé avant d’ajouter un très viril : « Je m’accroche, tu sais. »

Alors que les autres enfants s’étaient précipités dans le jardin pour profiter de l’immense piscine gonflable, ma sauveteuse-soignante m’a proposé de venir me reposer dans sa chambre. J’ai accepté tout en sentant les battements de mon coeur s’accélérer. Une fois assis sur son lit, elle m’a demandé ce qu’elle pouvait faire pour moi.

« Tu pourrais bien faire quelque chose mais c’est trop intime, ai-je murmuré.

– Je peux tout entendre, elle a déclaré.

– Je n’oserai jamais demander ça, j’ai dit.

– Demande-moi tout ce que tu veux, a-t- elle insisté.

– J’aimerais…

– Tu aimerais quoi ?

– T’embrasser sur la bouche rien qu’un instant. »

Elle a fermé les yeux, puis elle a tendu vers moi sa bouche toute fraîche. Un baiser magnifique, aussi torride qu’innocent. Voilà. Je ne remerciera­i jamais assez cette piscine gonflable lamentable­ment vide !

Mon second souvenir est un souvenir d’adulte. De jeune papa, pour être plus précis. Mon fils devait avoir 4 ans. J’avais gonflé une petite piscine afin qu’il puisse y barboter. Je me suis installé dedans avec lui et il a trouvé le jeu : s’amuser à m’éclabousse­r sans cesse, le vilain tigre. Et moi j’en faisais de même et je lui prenais les pieds afin de le faire tournoyer sur tous les contours de cette fabuleuse piscine. Et le fait de le faire virevolter comme ça, ça le faisait rire aux éclats, de son petit rire de rossignol que je n’oublierai jamais. Cela reste l’un de mes meilleurs moments avec mon fils Simon.

(*) Dernier ouvrage paru : Dos au mur, éd. Au Diable

Vauvert.

“Maman porte un justaucopr­s en guise de maillot de bain. Ma soeur et moi, les fesses à l’air tout l’été.” Violaine Huisman, écrivaine, prix du roman Marie Claire, 2018.

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Violette Huisman (debout), avec sa soeur Elsa, et leur mère, à Valmondois, en 1982.

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