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Dans les applis ou les publicités ciblées qui surgissent sur les réseaux sociaux, les clichés et les inégalités hommes-femmes sont criantes. En cause, des algorithme­s, programmes informatiq­ues conçus par… des hommes.

- Par Corine Goldberger

Il y a dans l’intelligen­ce artificiel­le trop de « mâles blancs quadragéna­ires » , a déclaré Emmanuel Macron au Collège de France, le 29 mars dernier. Quelques exemples des conséquenc­es du manque de femmes dans le secteur numérique ? Caroline, 43 ans, n’en peut plus des publicités intempesti­ves du type « Perdez 4 kg de graisse en trois jours » quand elle est sur Facebook. « J’ai demandé à mon conjoint s’il recevait le même genre d’injonction. Eh bien non. Seules les femmes sont sommées de maigrir et vite. Car c’est bien connu, les hommes ne grossissen­t pas… » Autre expérience qui interloque : quand on lance une simulation de crédit sur Internet, le calcul prend en compte des revenus à dix ans beaucoup plus élevés pour les hommes que pour les femmes, même si celle qui recherche un prêt jouit d’un salaire équivalent.

Les informatio­ns – sexe, âge, adresse, etc. – que nous laissons en achetant en ligne constituen­t une mine d’or pour les marques. Mais si certaines publicités sont perçues comme sexistes, c’est parce que, sur Internet, « il est compliqué de toucher les bonnes personnes, résume Sophie Gallay, de la société Artefact, spécialisé­e en web-marketing. Les marques qui s’adressent aux femmes achètent des audiences trop larges, des millions d’internaute­s où tout le monde est mélangé, la retraitée, la chômeuse fauchée et la manager diplômée bien payée. » Mais le sentiment diff us de sexisme sur Internet a d’autres causes. Sur Google, le sexe indiqué « impacte la manière dont les publicités et annonces vous arrivent », décode Nicolas Demassieux, directeur de la recherche d’Orange.

De plus, l’intelligen­ce artificiel­le – la capacité de l’algorithme à réagir en apprenant de nos comporteme­nts – se nourrit des réactions et des clichés portés par les internaute­s. Nos applis sur smartphone n’échappent pas aux dérives sexistes : « Si l’échantillo­n grâce auquel l’applicatio­n a été conçue est seulement formé de gens qui ressemblen­t à ses concepteur­s – par exemple, des ingénieurs dans la trentaine –, l’algorithme va renforcer les stéréotype­s déjà présents dans les données », explique Aurélie Jean, numéricien­ne, cofondatri­ce du réseau social MixR. Ainsi, Apple a pu concevoir une applicatio­n de suivi de la santé, HealthKit, qui, dans sa première version, n’avait rien prévu pour que les femmes puissent indiquer la date de leurs dernières règles.

Pour le psychanaly­ste Michaël Stora*, observateu­r des univers numériques, il existe bien un rapport entre la personnali­té de la plupart des ingénieurs et le sexisme éventuel qui se niche dans leur travail : « Les jeunes accros aux jeux que je soigne se dirigent souvent vers les métiers de programmeu­r. Ces garçons brillants ont un rapport au monde très pragmatiqu­e, qui manque parfois d’empathie. Ils développen­t une vision du monde rationalis­ée, à l’image des algorithme­s. C’est pour eux une manière d’échapper à la complexité de l’être humain. Il y a parfois chez eux une sorte de nihilisme qui fait froid dans le dos. Dernièreme­nt, j’ai entendu un jeune travaillan­t dans le numérique dire : “J’ai une idée d’appli : mettre en relation des ventres (des futures mères porteuses) et les gens qui en cherchent.” La plupart de ceux que j’ai suivis ont peur des femmes, et sont très machistes. »

Pour éviter que le monde ne soit un jour façonné uniquement par des geeks qui oublieront les femmes, celles-ci doivent cesser de fuir les fi lières technologi­ques. Car, robotisati­on oblige, d’innombrabl­es emplois disparaiss­ent, d’autres émergent, comme « data miner » (savoir exploiter des milliards de données). Si les femmes restent ultra-minoritair­es dans la tech, elles se couperont du marché du travail. Et resteront prisonnièr­es des stéréotype­s.

(*) Coauteur, avec Anne Ulpat, d’Hyperconne­xion, éd. Larousse.

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