Marie Claire

Story Thomas Langmann, l’héritier maudit

- Thomas Langmann à Cannes, en 1985. Il a alors 14 ans.

Problèmes conjugaux, financiers et judiciaire­s : mais qu’est-il arrivé au fils de Claude Berri qui, en produisant “The artist”, récompensé par cinq oscars il y a six ans, semblait enfin avoir conjuré le sort qui s’acharnait sur l’une des plus grandes famille du cinéma français ?

« Pour la première fois depuis vingt ans, je n’ai pas pu aller à Cannes. » En cette fin d’après-midi d’orage, fin mai, la voix de Thomas Langmann est lasse. Il est retranché, seul, dans son magnifique appartemen­t parisien du quartier des Invalides, yeux cernés, rideaux baissés. Il avait arrêté de fumer, mais les cigarettes s’enchaînent à nouveau alors qu’il raconte que les organisate­urs du festival lui ont conseillé d’éviter la Croisette, où un collectif féministe l’attendait de pied ferme. Héros il y a six ans, le producteur multioscar­isé de The artist ( 70 millions d’entrées) est aujourd’hui un paria. La presse a révélé que sa femme, Céline Bosquet, avait déposé plainte contre lui le 30 mars 2018 pour « messages malveillan­ts réitérés » dans le cadre d’une procédure de divorce qui, depuis un an, vire à l’hystérie. Une première plainte pour harcèlemen­t avait déjà été déposée, en août 2017, par la femme de 33 ans, alors qu’elle venait de quitter le domicile conjugal, enceinte de trois mois, avec leur fils Ethan, 21 mois. « A l’époque, Céline Bosquet s’était installée à Nice, chez ses parents, et m’a empêché de voir mon fils durant deux mois, explique-t-il. Si c’est du harcèlemen­t d’insister pour voir ses enfants, alors j’assume. » Mais à l’heure de l’affaire Harvey Weinstein, de #BalanceTon­Porc et de #MeToo, Thomas Langmann, 47 ans, mesure le poids de telles accusation­s. Le 2 mai, à la suite de la dernière plainte déposée par son épouse, il a passé trente heures en garde à vue. Il sera jugé le 2 août prochain. D’ici là, le fils de Claude Berri et d’Anne-Marie Rassam, neveu de Carole Bouquet et de Maurice Pialat, qui a grandi à l’ombre du cinéma français (Romy Schneider, Delon, Coluche, Deneuve, Gainsbourg, Depardieu passaient dîner) est soumis à un contrôle judiciaire strict : il n’a le droit qu’à trois communicat­ions FaceTime par semaine avec Ethan et sa soeur, Ella-Jane, née en février. Des restrictio­ns auxquelles il ne se plie pas, ce qui lui a valu une troisième plainte de Céline Bosquet. Peut- être pas la dernière : « J’irai déposer plainte à nouveau demain et après-demain, et s’il le faut tous les jours, jusqu’à ce que je sois entendue », le menaçait- elle le 29 mars dernier. A en croire le témoignage de l’ex-présentatr­ice des journaux télévisés du week- end de M6 aux policiers, Thomas Langmann aurait renoué « avec ses addictions aux drogues dures, impliquant un rythme de vie incompatib­le avec celui de jeunes enfants, ainsi que des fréquentat­ions douteuses qu’il n’hésitait pas à faire venir au domicile conjugal ». Contactée par Marie Claire, la jeune femme confirme : « Quand on s’est marié, en 2013, je croyais vraiment qu’il voulait changer de vie. A 42 ans, je pensais qu’il avait fait une croix là-dessus. »

Un dealer au pied de l’immeuble

Quatre ans plus tard, un évènement – le placement en garde à vue du producteur, le 30 mai 2017 – aurait précipité leur rupture. Ce soir-là, un vendeur de drogue est arrêté au pied de son immeuble parisien. En garde à vue, Thomas Langmann reconnaît l’avoir rencontré à trois reprises. « J’ai été relâché le lendemain matin sans qu’il y ait de suite », nous précise-t-il. Il juge « déplacé et impudique » de s’étendre sur le sujet. Mais s’inquiète de savoir que sa fille Lou, 15 ans, puisse lire des informatio­ns mensongère­s sur les réseaux sociaux. Alors il concède sa vérité : « J’ai consommé de l’héroïne pendant plus de vingt ans, et j’ai réussi à m’en sortir. Je prends de la méthadone depuis dix ans et je fais tout pour me soigner. » De fait, dans le jugement du 22 septembre dernier, qui statue sur la garde d’Ethan, la juge aux affaires familiales – qui souligne certes un « climat familial préjudicia­ble à l’enfant » – n’accable pas Thomas Langmann. Elle confère même, à l’automne 2017, l’autorité parentale conjointe aux deux parents, estimant que le père, qui a également un droit de garde, n’a à aucun moment « fait preuve visà-vis d’Ethan d’une attitude contraire à son intérêt ». Reste que cette séparation ultra-tendue a fait rejaillir de vieilles histoires, de celles qui écornent depuis longtemps la réputation du producteur. En 2004, son coup de boule à François Samuelson, l’agent de Benoît

Magimel, qui s’était désisté au dernier moment pour jouer dans Mesrine. Et surtout les violences sur la mère de sa fille aînée, qui lui valurent en juin 2008 quatre mois de prison avec sursis. « Evidemment, on ne tape pas une femme », reconnaît-il. Cette dernière, en septembre dernier, a d’ailleurs rédigé une attestatio­n en sa faveur, replaçant cette affaire de violence dans un contexte « d’échec d’une histoire d’amour passionnel­le » . Mais rien n’y fait, le passé rattrape, avale Thomas Langmann. Dans sa plainte, Céline Bosquet, qui raconte être harcelée de SMS, dit qu’elle en a très peur. Et ce jour-là, face aux policiers, elle va encore plus loin : « S’il m’arrive un accident, il faudrait regarder du côté de Thomas Langmann. » La jeune femme redoute-t- elle sincèremen­t son ex-mari ? Elle n’a, en tout cas, pas fait appel du jugement qui autorise ce dernier à passer du temps avec leurs enfants. Elle évoque ensuite « ses mauvaises fréquentat­ions », même si, la plupart du temps, il reste seul. Les somptueux murs de son appartemen­t sont peuplés de fantômes. Des oeuvres d’art et des photos de famille s’alignent à perte de vue, et au milieu trônent deux oscars. Le sien et celui de son père, mort en 2009. Son père, justement, dernier nabab du cinéma français, réalisateu­r de Tchao Pantin et de Jean de Florette, producteur de L’ours ou de Bienvenue chez les Ch’tis… Image adorée et écrasante, jamais protectric­e. Thomas a grandi au milieu d’une tribu d’hommes dévorés par le cinéma : comme son père, ses oncles maternels ont sacrifié au septième art leurs jours et leurs nuits. JeanPierre Rassam, légendaire producteur de Godard, Bresson, Polanski, englouti par ses addictions, est mort en 1985, laissant un fils, Dimitri, à Carole Bouquet. Et Paul, distribute­ur en Europe de Forman, Cimino, Soderbergh, Coppola père et fille.

Seul dans des clubs de billard

Paul dort chez Thomas quand il vient à Paris. Il est l’un des seuls à connaître intimement les souffrance­s de son neveu, à se souvenir de ce petit garçon si proche de sa mère quand elle a sombré dans la folie. Maniaco- dépressive, Anne-Marie Rassam a multiplié les séjours à l’hôpital Sainte-Anne. Thomas avait 8 ans et ne pouvait pas la voir. Un jour de 1997, elle a fini par se jeter par une fenêtre du domicile de la mère d’Isabelle Adjani. Claude Berri s’est alors plongé dans le travail et a envoyé Thomas à Londres, seul dans un appartemen­t avec beaucoup d’argent de poche. Adolescent paumé, mégalomane, flambeur, autodestru­cteur. « Il était livré à lui-même, dormait le jour et vivait le soir dans des clubs de billard, racontait, en 2013 au Nouvel Observateu­r, sa tante Arlette ( première compagne de Pialat), qui le rapatria à Paris. J’essayais de lui donner des repères, des repas réguliers, avec l’impression, souvent, que ça ne servait à rien. Thomas n’en a toujours fait qu’à sa tête. » Il passe ses nuits

en boîte, lâche le lycée avant la terminale, enchaîne des petits rôles et des stages sur les tournages de Soderbergh et Coppola. C’est pendant ces années-là, que Thomas et son frère aîné, l’acteur Julien Rassam, sombrent dans les paradis artificiel­s. En 2000, le second se défenestre à son tour, sous les yeux de sa petite amie de l’époque, Marion Cotillard. Tétraplégi­que, il se donnera la mort deux ans plus tard. Vaine tentative de croire que l’on peut tout oublier, mais Thomas Langmann a essayé. D’une générosité sans borne, il invite sa bande de potes, Jean-David Blanc, fondateur d’Allociné, Marc Lavoine, Vincent Cassel, Jean Dujardin, Nicolas Bedos, Pierre Lellouche, mais aussi, jusqu’à l’année dernière, les amis de sa femme, conviés pour des vacances de milliardai­res à Courchevel l’hiver, à Murtoli, en Corse, l’été… Il aide ses proches, ses ex, les vieux amis de son père. Parfois – rarement – il s’épanche : malgré cette vie étourdissa­nte, son mal- être, ses souffrance­s sont toujours-là.

Une centaine de messages malveillan­ts

Même Céline Bosquet en convient : « La vie de Thomas a été horrible. » Quelques années après la mort de son père, quand les problèmes de succession l’opposent à son demi-frère, Darius, le fils que Claude Berri a eu avec Nathalie Reims, « Thomas passait des nuits entières dans ses dossiers. Il était malheureux », raconte celle qui a partagé sa vie durant quatre ans. La première polémique autour de l’héritage de Berri date de 2011, lorsque les deux demi-frères décident de vendre la collection d’art de leur père pour 50 millions d’euros, alors qu’il était initialeme­nt prévu d’en faire don – avec une importante déduction fiscale, mais inférieure, à la clé. Les années passant, les relations entre Thomas et Darius se sont gravement détériorée­s. Le cadet a déposé plainte contre son aîné en juin 2017, juste avant Céline Bosquet. Mais pour le même motif : Darius reproche à Thomas de lui avoir adressé une centaine de messages malveillan­ts. Le parquet de Paris a ouvert une enquête. Happé par ses combats familiaux, rongé par l’absence de ses enfants, le producteur mène encore d’autres batailles. De front, comme toujours. Ses deux sociétés, La Petite Reine et La Petite Reine Production, font l’objet d’une procédure de sauvegarde, première alerte préventive avant la cessation de paiement. Le producteur d’Astérix, pourtant imbattable sur le terrain du cinéma populaire, a multiplié les échecs ces dernières années, au point de mettre son activité en péril. Il a dû, en tant qu’actionnair­e principal, vendre pour 10 millions d’euros de tableaux en 2016 afin de renflouer les comptes courants des sociétés. « Je ne peux plus travailler, cette affaire absorbe tout mon temps. La seule famille qu’il me reste, ce sont mes enfants », lâchet-il soudain, épuisé par la procédure de divorce qui s’éternise. Avant de se ressaisir, quelques minutes plus tard, et d’annoncer qu’il s’apprête à reprendre le chemin des studios pour monter sa comédie musicale sur Edith Piaf avec la chanteuse Zaz. Comme un instinct de survie.

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 ??  ?? 1. L’équipe de The artist – dont Thomas Langmann est le producteur – reçoit cinq oscars à Los Angeles, en 2012. 2. Avec Céline Bosquet à Cannes, en 2013.3. Avec Nathalie Rheims aux funéraille­s de son père, Claude Berri, en 2009. 1
1. L’équipe de The artist – dont Thomas Langmann est le producteur – reçoit cinq oscars à Los Angeles, en 2012. 2. Avec Céline Bosquet à Cannes, en 2013.3. Avec Nathalie Rheims aux funéraille­s de son père, Claude Berri, en 2009. 1
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 ??  ?? 2 1. Avec Lou, sa   lle aînée, à Saint-Tropez en 2010. 2. Avec Claude Berri, son père, en Tunisie, en 1982. 3. Avec son père et son frère Julien Rassam, à Cannes en 1994.
2 1. Avec Lou, sa lle aînée, à Saint-Tropez en 2010. 2. Avec Claude Berri, son père, en Tunisie, en 1982. 3. Avec son père et son frère Julien Rassam, à Cannes en 1994.
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