Marie Claire

La rencontre d’après minuit

accompagné d’Anne-Sophie Stefanini, la femme qui partage sa vie, éditrice et elle-même auteure.

- Patrick Besson

Ils vivent à 200 m d’ici sans téléviseur, la chambre Antoine-Blondin de ce quatre-étoiles de Montmartre est devenue la garçonnièr­e officielle du couple, et son salon télé pendant la coupe du monde de football, alors que l’écrivain terminait son prochain livre,

Le milieu de terrain*, dont le héros est devenu entraîneur.

“Ma nuit la plus dingue, c’était chez les trotskiste­s, à Montreuil. C’est lié à l’alcool (…). Mais ce n’est pas intéressan­t, l’alcool.”

Le foot comme surface de création littéraire ? « C’est un univers d’une richesse dramatique passionnan­te, répond Besson : « “Dallas”, à côté, c’est “Blanche-Neige.” » Ce soir, l’écrivain fait des heures sup. D’habitude, il s’endormirai­t « à 23 h 20 ». Au téléphone, il m’a avertie : « On devrait créer un mouvement des gens qui n’aiment pas la nuit. » Patrick Besson préfère le jour. « On y voit, les gens sont plus aimables, moins tendus, tout est ouvert. » Tout est mieux, même le sexe, dit-il. « Les choses importante­s, il faut les faire le matin. » Il démarre ses journées à 6 heures, abandonnan­t la nuit et ses after vaseux aux noctambule­s. « La nuit, c’est peut-être fait pour les gens qui n’aiment pas boire seuls. Moi je ne bois pas, alors… » Et danser ? « La danse est un art. Les gens qui dansent sans être danseurs, ça me fait autant de peine que les gens qui écrivent sans être écrivains. » La « bête littéraire qui peut mordre » (c’est ce qu’écrivait Annick Geille en juin dernier sur atlantico.fr dans “Qui a peur de Patrick Besson ?”) n’aime peut-être pas les fêtes, mais certaines de ses chroniques dans « Le Point », et avant dans « Marianne », « Le Figaro » ou « VSD », relèvent plus de la « demolition party » que de la critique objective. OK, il s’est livré il y a quelques mois, dans sa chronique hebdomadai­re du « Point », à un plaidoyer inattendu « Pour Læticia Hallyday », alors attaquée de toutes parts au moment de la succession de Johnny : « Il est temps que les Français rangent la guillotine qu’ils ont dans la tête. » Il nous rassure : « Je suis un vrai gentil. » Ne pas hurler avec la meute a un avantage, parfaiteme­nt maîtrisé par l’écrivain : se détacher du lot, être entendu et lu. Ses détracteur­s raillent sa méchanceté. « Le méchant, c’est celui qui va à l’encontre du beau, du juste, du profond, de l’exact. Pas celui qui va gentiment démontrer qu’une personne, qu’un artiste, quel qu’il soit, nuit à l’atmosphère, aux lecteurs. “Je t’abattrai sans haine comme un boucher”, dit la Bible ! » Patrick Besson, boucher sans haine… Il jure ne tirer aucune jouissance de sa méchanceté plumitive. Il pense juste qu’il a raison. On insiste : franchemen­t, ses entreprise­s de démolition doivent bien lui procurer du plaisir ; sinon, pourquoi consacrer autant d’énergie à l’exercice ? Soudain, la nuit caniculair­e fraîchit, l’atmosphère de la rencontre chute brutalemen­t en dessous de zéro. « Vous êtes intrusive. » Changement de cap radical, la littératur­e sauve de tout, même de l’embarras. Patrick Besson égrène les anecdotes littéraire­s de l’air las du prof usé par la débilité de ses contempora­ins. Céline a écrit « Voyage au bout de la nuit » à côté, au coin des rues Lepic et Durantin, Hemingway écrivait debout, comme Tolstoï. « Les fantômes sont là : Céline, Balzac, Blondin… vous les sentez ? » On avance l’un des nôtres, celui de Marguerite Duras, qui faisait son lit avant de se mettre au travail. Besson, lui, écrit couché, au lit ou sur un canapé, comme Pouchkine, qu’il aime particuliè­rement. Il aurait bien pu rejoindre l’armée des spectres littéraire­s qui le cernent. Il a 17 ans, c’est la nuit, il veut mourir, des médicament­s feront l’affaire : « Je venais de lire “L’école des indifféren­ts” de Giraudoux, et je me suis dit : “Je ne pourrai jamais écrire aussi bien, ce n’est pas la peine.” » Relire Giraudoux après l’a tellement déçu qu’il se réjouit de s’être raté. Le seul psychiatre qu’il ait jamais consulté lui a alors donné un conseil qui lui sert encore : « Si au lieu de vous poser toutes ces questions vous essayiez, au début de la journée, d’arriver jusqu’à la fin ? » On discerne chez lui une ombre tapie derrière le masque de l’écrivain prolifique. Le silence l’inquiète. « J’ai beaucoup de mal à dormir seul. Je n’aime pas la solitude, sauf quand j’écris. A l’armée, on était vingt par dortoir, je dormais vachement bien. Pourtant il y avait du bruit, des mecs qui ronflaient. » Il aime le bruit, le son des voix, les lumières, le vrombissem­ent des voitures. Le protègent-ils de la solitude des nuits noires ?

(*) Ed. Grasset, sortie le 10 octobre.

13 questions d’après minuit —Dormez-vous ?

Oui, je m’endors tous les soirs à 23 h 20.

—Votre boisson et nourriture nocturne ? L’eau. Manger la nuit ? Non !

—Vivez-vous sous une bonne étoile ? Oui, j’ai un ange gardien super-balèze.

—Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?

Oui, elle était slave, très affectueus­e.

—La nuit efface-t-elle les soucis ?

Non, c’est le matin, l’ardoise magique. En se réveillant, on efface et on écrit de nouvelles choses, soit avec un stylo, soit avec l’outil qu’on a choisi pour vivre.

—Sur votre table de nuit ?

Mon téléphone, un verre d’eau, une petite radio. —La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?

A 14 heures, il n’y a pas très longtemps, j’étais fatigué.

—Des carburants d’après minuit, alcool, drogue, sexe, Xanax ?

Non, rien de tout ça. Le sexe ? J’aime bien le jour.

—La nuit la plus dingue ?

C’était chez des trotskiste­s à Montreuil. C’est lié à l’alcool, j’ai eu une hépatite virale après. Mais ce n’est pas intéressan­t, l’alcool. Ni les drogues, d’une façon générale.

—Boule à facettes ? Villers-sur-Mer, 1974. Et, plus récemment, Frédéric (Beigbeder, ndlr) mixait au Raspoutine ; là, j’ai dansé, c’était bien.

—Le parfum de la nuit ?

La nuit, c’est l’été, donc c’est le parfum de l’été.

—Le plus trash la nuit ?

Un jour, Eric Neuhoff et moi dînions avec une amie qui venait de perdre son mari. On avait trop bu, surtout elle, avec le mélange d’alcool et de médicament­s. C’était au Ritz. Elle fait le chèque, et le mec ne peut pas lire le barbouilla­ge sur le chèque. J’ai fait le chèque à sa place. C’est mon expérience la plus trash, on était deux jeunes mecs avec cette dame âgée.

—Les mots de la nuit ?

J’ai l’impression que la nuit beaucoup de gens parlent, mais peu écoutent. Chacun parle un peu tout seul.

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« En se réveillant, on efface et on écrit de nouvelles choses, soit avec un stylo, soit avec l’outil qu’on a choisi pour vivre. »

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