Testés, nos enfants sont tous contaminés
Soumettre nos enfants, à la rédaction de Marie Claire, à un test, le ToxSeek, conçu pour détecter dans l’organisme les molécules toxiques : c’est l’idée que nous avons eue pour tenter d’évaluer l’impact du grand bain chimique dans lequel ils évoluent quot
« On a trouvé du glyphosate dans mes cheveux », cette information glissée par Delphine Batho, députée des Deux- Sèvres et présidente de Génération Ecologie, lors d’une interview pour marieclaire.fr aura été le déclic. En février 2017, l’association Générations Futures a analysé les résidus de pesticides dans
(1) les cheveux de sept personnalités du monde de l’écologie (dont le ministre Nicolas Hulot). Toutes étaient contaminées. Malgré les promesses du président de la République, le glyphosate, pesticide dont 9 000 tonnes sont déversées chaque année dans nos cultures, classé cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé, n’a pas été interdit. Les lobbys de l’industrie des pesticides, qui rapporte deux milliards d’euros par an en France, ont remporté une nouvelle bataille dans la guerre qui les oppose aux militants écologistes mais aussi aux nombreux scientifiques et citoyens inquiets. Ont-ils au moins lu, avant de la jeter à la poubelle, la tribune « Faites passer la santé de nos enfants d’abord », du scientifique Baskut Tuncak ? Le rappor
(2) teur spécial des Nations unies sur les produits et déchets dangereux s’y alarmait du fait que « nos enfants grandissent exposés à un cocktail toxique d’herbicides, d’insecticides et de fongicides. » Dans leur nourriture, leur eau, leurs parcs et cours de récréation… Cette exposition dans l’enfance serait « une “pandémie silencieuse”, responsable de maladies et de handicaps ». Quand j’ai soumis, à Marie Claire, l’idée de tester les enfants de la rédaction, à l’instar des politiques, même les plus sceptiques ont tout de suite accepté. Poussées par la curiosité, l’angoisse, l’envie de les protéger. Eux et tous les autres. Les six enfants, âgés de 4 à 18 ans, sont devenus, après prélèvement de deux mèches de cheveux, les pionniers d’un nouveau test tout juste mis à disposition du public, ToxSeek 3). Et nos lanceurs d’alerte.
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« Nous avons déjà pratiqué des tests sur des travailleurs de la vigne, des riverains des champs agricoles, des politiques, explique François Veillerette, de Générations Futures. Sur les analyses de cheveux, on était sur 150 molécules. Ce nouveau test permet, lui, un screening très large : 1 800 polluants organiques et 40 métaux et métaux lourds. C’est vertigineux, ça ouvre des horizons. »
Vertigineux, c’est le sentiment produit par la lecture des analyses de nos jeunes cobayes : entre 40 et 62 molécules chimiques ont été dépistées chez chacun d’entre eux. Pesticides, conservateurs, polluants plastiques, parabens, médicaments… « Ces produits, même à faible dose, ont un effet de perturbateur endocrinien et présentent des risques cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques et/ou neurotoxiques », alertent leurs rapports d’analyses toxicologiques. « On n’est pas dans la toxicité aiguë mais chronique, explique Matthieu Davoli, cofondateur de ToxSeek. Ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais la fréquence d’exposition à des polluants toxiques. En analysant une mèche de cheveux de 3 cm, nous dépistons les polluants auxquels nous avons été exposés les trois derniers mois. L’objectif est d’identifier les sources fortes d’exposition pour les extraire de nos vies. »
Alors qu’il feuillette les rapports, derrière les noms mystérieux des molécules se dessinent en creux le mode de vie et l’environnement de nos enfants : Isaure, 13 ans, aime les cosmétiques, Violette, 8 ans, est trop exposée à un anti-moustique, Octave, 5 ans, cumule des pesticides, Sasha, 4 ans, a des parents fumeurs adeptes de barbecue… Au magazine, nos réactions sont à la hauteur des découvertes : amusées quand on devine que l’uranium naturel dépisté chez Marpessa, 12 ans, provient de l’obus de la guerre de 14 transformé en vase sur sa table de chevet ; chez Isaure, des céramiques anciennes qui décorent son appartement ; et chez Violette, de celles qu’elle fabrique en activité périscolaire. Inquiètes quand la molécule alerte de Sasha, 4 ans, la furanacrylic, est encore inconnue au bataillon toxicologique, ou quand de nombreux insecticides sont dépistés chez plusieurs de nos jeunes lanceurs d’alerte. Et stupéfaites quand on découvre que Marpessa et mon fils, Marty, 18 ans, ont, à un niveau d’exposition « alerte », deux mêmes pesticides sur les milliers existants : le diazinon et le metolcarb, le second étant retiré du marché aux Etats-Unis et en Europe, mais encore utilisé au Vietnam dans la culture du riz. Comment peuvent-ils être contaminés par les mêmes polluants organiques sans se connaître ? L’énigme n’aura pas été longue à résoudre : comme nous, les parents de Marpessa consomment bio à 90 %. Nous achetons la même marque française de riz biologique, importé d’Asie, dans la même boutique bio. Nos certitudes sur les bienfaits de cette agriculture vacillent. Pour le toxicologue médical Nouredine Sadeg, président du comité scientifique de ToxSeek, cette coïncidence alimentaire est « phénoménale ! C’est une donnée difficile à trouver, les sources sont tellement diverses ». Quant aux interrogations sur les dérives du bio, il tempère : « Un vin bio peut
contenir des traces de pesticides, mais sachez qu’un vin non bio subit 50 à 80 épandages. L’Etat français ne peut pas tout contrôler. Surtout que, pour éviter de dépasser le seuil autorisé, la stratégie consiste à ne plus utiliser un pesticide à forte dose mais un mélange d’une vingtaine à faible dose. Les pesticides touchent aujourd’hui 100 % de la population. Il y a cinquante ans, les quantités produites par l’industrie étaient infiniment plus petites. Le vrai problème existe depuis quinze ans, c’est récent. » Nos enfants, hélas, sont la génération pesticides. « Deuxième pays européen après l’Espagne a en utiliser le plus, 90 % de nos rivières, 60 % à 70 % de nos nappes phréatiques sont contaminées, déplore François Veillerette. La prise de conscience est réelle mais lente. Un beau plan Ecophyto a été lancé en 2008 afin de réduire de 50 % les pesticides avant 2018. Résultat : leur utilisation a augmenté de 12 % ! C’était sur la base de l’engage- ment volontaire, pas une obligation dans la loi… » Il y a pourtant urgence, dans un monde où les sources de contamination se multiplient. « Avant, c’était l’usine qui rejetait des métaux lourds, explique le Dr Sadeg. Aujourd’hui, avec les colorants à base de métaux lourds dans des vernis à ongles, ou le marbre artificiel de nos cuisines, les nouvelles technologies et nos téléphones mobiles, les nanoparticules vendues par millions de tonnes dans le monde entier, on entre dans une contamination large. D’où l’intérêt d’un screening large pour dépister les sources de pollution. » Et ainsi mieux protéger la santé de nos enfants.
« Une partie des maladies chroniques, des troubles du neuro-développement qui surviennent aujourd’hui chez les enfants, confirme l’épidémiologiste environnemental Rémy Slama, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche mé-
dicale, est due à des facteurs environnementaux : particules fines en suspension dans l’air, résidus de pesticides, métaux lourds comme le plomb, ou polluants organiques persistants. » Son étude, menée sur 529 garçons et leurs mères, a montré que l’exposition pendant la grossesse à certains phénols et phtalates est associée à des modifications de la croissance et du comportement entre 0 et 5 ans. « Nous sommes notamment inquiets à propos du triclosan, un biocide utilisé comme antibactérien dans les savons et les dentifrices, que nous retrouvons chez la plupart des femmes enceintes. Il semble diminuer la croissance du périmètre crânien des foetus mâles, il perturbe l’axe thyroïdien, essentiel au développement du cerveau. »
Chez ToxSeek, Matthieu Davoli est pragmatique : « Nous réagissons tous différemment face aux polluants et, pendant la croissance, pour nos enfants, les risques sont beaucoup plus importants. Nous parlons de fenêtres de susceptibilité. C’est bien pour les plus jeunes qu’il faut agir. » « Et pour cela, poursuit le Dr Sadeg, il faut des critères objectifs grâce à la collecte de données. Les tests étant “pseudonomysés”, nous allons créer un forum où les “ToxSeek followers” aideront à remonter les sources de contamination pour enrichir notre base de données. » Du côté des militants écologistes, on se met à rêver : si demain 50 000 citoyens découvrent leur contamination par le glyphosate et se mobilisent, il y a fort à parier que les députés seront plus nombreux que le 29 mai dernier dans l’hémicycle pour voter, cette fois, son interdiction.
1. generations-futures.fr. 2. Publiée dans Le Monde du 6 novembre 2017. 3 Coût : à partir de 190 €, résultats sous vingt jours, toxseek.fr.
(*) Retrouvez les détails sur les molécules citées sur marieclaire.fr.