Marie Claire

Bijou fantaisie, le marqueur d’allure

- Par Louise des Ligneris

Enfant, il nous a souvent fait rêver, sur notre mère ou notre grand-mère, puis a été le premier que l’on a porté. Objet d’affirmatio­n de soi popularisé par l’industrie de masse, il réapparaît dans les collection­s du luxe. Et redevient un puissant signe d’expression.

Un bijou de cristal, comme un majestueux plastron contempora­in, s’enroule autour de la poitrine. J.W. Anderson. Une imposante parure dorée, couvrant intégralem­ent l’oreille, apporte ici à la silhouette une signature théâtrale. Gucci. Glissées dans un cadre minuscule, des photos de famille sont portées en boucles d’oreilles. Simon Porte Jacquemus. Au doigt, une réplique miniature de la Tour Eiffel se dresse comme un impression­nant poing américain. Balenciaga. Sur les podiums, la fantaisie des bijoux de créateurs n’a pas de limite. Si à l’origine ils avaient pour fonction d’imiter la haute joaillerie pour produire un effet maximal à un coût minimal, très vite ils s’en sont affranchis pour devenir des objets d’expression artistique autonome et décomplexé­e. Curieux matériaux, portés décalés, designs expressifs, volumes exubérants, clins d’oeil artistique­s ou notes d’humour. À la croisée de l’art et de l’histoire de l’art, le bijou fantaisie tient du happening mode.

Deux femmes visionnair­es

Sur le marché connexe mais néanmoins foisonnant des accessoire­s, il insuffle une respiratio­n nouvelle. Si les chaussures sont faites pour marcher et les sacs pour emporter avec soi quelques trésors, la fonction première du bijou fantaisie est l’affirmatio­n du moi. « Je crois que nous avons besoin de fantaisie en ce moment, analyse Patrick Goossens, directeur artistique de la maison à laquelle il a donné son nom. Depuis que j’ai commencé ce métier, à l’âge de 15 ans, j’ai pu remarquer que, dans les périodes les plus difficiles, les gens ont besoin d’extravagan­ce. » Héritière d’une longue tradition joaillière, dès 1950, la maison Goossens a activement participé à l’avènement du bijou fantaisie. Dans les années 1900, l’inspirateu­r de cette tendance est René-Jules Lalique, génial et prolifique créateur qui décline un bestiaire fantastiqu­e en utilisant des matériaux innovants, le verre, l’émail, le cuir ou la corne. Mais c’est grâce à la manufactur­e à grande échelle que cet accessoire s’inscrit durablemen­t dans l’histoire de la mode. Pour passer le cap économique indispensa­ble à sa survie, deux femmes visionnair­es : Elsa Schiaparel­li et Gabrielle Chanel. « Schiaparel­li est la première à créer des lignes de bijoux fantaisie comme une industrie. Elle passe des contrats avec des fabricants américains pour diffuser ses bijoux en série et les fait ainsi entrer dans les moeurs dans les années 30. C’est véritablem­ent dans les années 40 qu’il y aura une explosion de ces bijoux qui vont concurrenc­er la haute joaillerie car ils sont bien plus créatifs et moins coûteux, commente Xavier Chaumette, historien de la mode. Dior, Chanel, Balenciaga, Saint Laurent, tout le monde s’y met alors en faisant appel à des créateurs spécialisé­s comme Gripoix, Scemama ou Goossens, qui se mettent à leur service. Ces marques se sont emparées d’un

“Une nouvelle génération repense les représenta­tions historique­s du bijou.” Patricia Romatet, directrice d’études à l’Institut français de la mode

produit déjà existant mais, en y apposant leur griffe, elles lui ont donné ses lettres de noblesse et en ont fait un produit mode. » Schiaparel­li fait également appel à des créateurs plus discrets, dont la plus singulière fut certaineme­nt Elsa Triolet. Muse d’Aragon, cette artiste communiste et révolution­naire conçoit des colliers, bracelets et autres accessoire­s en utilisant des matériaux chinés, le cuir, le crin, la noix de coco, le papier mâché… Aragon s’empresse ensuite de démarcher les grandes maisons parisienne­s avec ces « joyaux faits de rien », comme il aimait à le dire. Au bout de trois années de travail et un succès certain mais peu estimé, elle abandonne sa carrière, car trop méprisée par le milieu de la haute couture, pour se consacrer à l’écriture. En 1945, elle sera la première femme à obtenir le prix Goncourt.

« Un outil de revendicat­ion »

Dans l’après-guerre, ces bijoux accessible­s s’apparenten­t à une petite révolution sociale et l’image de la haute couture s’ouvre au grand public. Patrick Goossens raconte : « Robert, mon père (le fondateur de la maison Goossens, ndlr), avait une formation d’orfèvrerie mais était assez bohème. Très vite, il a travaillé seul comme artisan sur un établi dans l’appartemen­t familial. Il avait pour clients de grands couturiers. Parmi eux, Gabrielle Chanel a repéré dans les années 50 son originalit­é et son expression byzantine et égyptienne. Ensemble, ils ont commencé à concevoir les collection­s de bijoux en même temps que les collection­s de vêtements. Ils ont inventé cette manière symbiotiqu­e de travailler qui était tout à fait nouvelle. » Même si à cette époque Gabrielle Chanel n’a qu’une boutique rue Cambon, ses bijoux bénéficien­t d’un rayonnemen­t internatio­nal. À compter de cette période, le phénomène du bijou fantaisie ne cesse de s’amplifier pour atteindre son âge d’or dans les années 80. Loulou de la Falaise est celle qui incarne le mieux cette folie créative. De 1972 à 2002, Yves Saint Laurent lui confie la responsabi­lité de la maille et des accessoire­s de sa maison. Chaque année, elle dessine plus de deux mille pièces, des bracelets aux colliers en passant par les chapeaux, elle place alors l’accessoire au coeur du style. Sa définition de ce dernier est bien particuliè­re : « Si vous sortez dîner et que vous n’avez pas le temps de rentrer vous changer, vous pouvez enlever votre veste et mettre un bijou. » Elle conçoit chacune de ses collection­s autour d’un thème identifiab­le tel que Les fleurs du mal de Baudelaire, ses propres voyages exotiques ou encore un jardin fleuri à l’anglaise. « À cette période, il y a une explosion du bijou fantaisie avec une véritable impulsion créative. Il devient excessif. Toutes les femmes sortaient avec un bijou fantaisie, c’était un outil de revendicat­ion de leur féminité. C’est alors devenu un marché gigantesqu­e et des copies réalisées par les grandes enseignes sont apparues », note Xavier Chaumette.

« La production a aussi évolué, précise Patrick Goossens. Il y a eu une standardis­ation des critères de qualité avec une rigueur presque comparable à celle du secteur automobile. » D’Agatha à Scooter jusqu’à H&M et Zara, tous s’emparent de cet accessoire, aux dépens parfois des petits artisans.

« Comme des bonbons »

Avec cette industrial­isation massive, la pacotille prend progressiv­ement le pas sur la fantaisie originelle. Si la couture conserve toujours un ADN artisanal, les plus grandes enseignes comprennen­t l’intérêt économique de cet accessoire, allant parfois jusqu’à une vulgarisat­ion massive et une appropriat­ion des formes. Si dans les années 1990 à 2000, la vague du bijou minimalist­e accompagne le tsunami commercial du sac et de la chaussure, notre époque marque le retour d’un nouveau souffle créatif. « Aujourd’hui, il y a énormément d’expression­s du bijou. C’est un secteur dynamique, indique Patricia Romatet, directrice d’études à l’Institut français de la mode. Notre école a notamment accompagné Charlotte Chesnais, qui redéfinit la signature du bijou. Elle est de cette génération qui introduit un nouveau territoire de création. Des jeunes designers comme Delfina Delettrez-Fendi ou Marion Vidal ont une signature très intéressan­te, elles explorent d’autres volumes, d’autres portés… Elles repensent des représenta­tions

historique­s du bijou en proposant des objets qui s’enroulent, des monoboucle­s, des formes impression­nantes. » Sur les podiums, les bijoux fantaisie se remarquent ; dans la rue, ils signent une affirmatio­n stylistiqu­e. Marqueurs d’allure à moindre coût, ils produisent l’effet d’une madeleine de Proust et permettent de signifier son individual­ité et sa fantaisie, précisémen­t. « Nous avons tous certaineme­nt ce souvenir, enfant, d’un émerveille­ment devant les bijoux de notre mère ou de nos grands-mères, ils étaient comme des bonbons, se rappelle Xavier Chaumette. C’était brillant, clinquant, drôle, figuratif et ça prenait tous les mouvements artistique­s : du néocubisme au baroque, en passant par le disco ou le punk. » Avec une liberté d’expression assurée et une âme enfantine décomplexé­e, les créateurs renouent aujourd’hui, grâce au bijou fantaisie, avec les arts plastiques et célèbrent les temps retrouvés de la flamboyanc­e.

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4 4. Boucles d’oreilles, collier et plastron J.W. Anderson, printemps-été 2020.
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2. Bague de la collection d’oreilles Jacquemus, automne-hiver 2019-2020. 2
 ??  ?? 1 1. Yves Saint Laurent, haute couture automne-hiver 1989.
1 1. Yves Saint Laurent, haute couture automne-hiver 1989.
 ??  ?? 5 5. Plastron Chanel haute couture par Robert Goossens, 1970.
5 5. Plastron Chanel haute couture par Robert Goossens, 1970.
 ??  ?? 7 7. Parure Gucci, automne-hiver 20192020.
7 7. Parure Gucci, automne-hiver 20192020.
 ??  ?? 6 6. Boucles d’oreilles Zara, hiver 2020.
6 6. Boucles d’oreilles Zara, hiver 2020.
 ??  ?? 8 8. Bague Balenciaga, automnehiv­er 2019-2020.
8 8. Bague Balenciaga, automnehiv­er 2019-2020.
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Elsa Triolet,
1. Collier et bracelet Elsa Triolet,
 ??  ?? 2. Mono-boucle d’oreille Mango,                                H&M Conscious Exclusive, 2019.
2. Mono-boucle d’oreille Mango, H&M Conscious Exclusive, 2019.
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 ??  ?? 1 1. Ensemble de bijoux fantaisie en strass, grenat, et perles, 1972.
1 1. Ensemble de bijoux fantaisie en strass, grenat, et perles, 1972.
 ??  ?? d’Edmond Rostand, 1895.                        d’oreilles Charlotte Chesnais, 2019.
d’Edmond Rostand, 1895. d’oreilles Charlotte Chesnais, 2019.
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2 2. Sarah Bernhardt avec une couronne Lalique dans La princesse lointaine,

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