Le retour des parfums à sillage
Puissants alliages de fleurs, d’épices, de bois et de muscs, ces senteurs affirmées, qui impriment durablement l’imaginaire, sont à nouveau dans l’air du temps. Notre sélection de nouveautés.
Les parfums de caractère ne datent pas d’hier. Dans les années 80, Opium d’Yves Saint Laurent, Obsession de Calvin Klein ou Poison de Dior ont marqué les esprits et connu un succès fracassant, avant d’être détrônés par la vague des senteurs transparentes de la décennie suivante. Aujourd’hui, les fragrances puissantes reviennent en force pour se distinguer dans des boutiques saturées d’odeurs telles que Marionnaud, Nocibé ou Sephora et laisser un souvenir quasi indélébile. « Les marques ont besoin de se démarquer pour que leur parfum émerge face à un nombre de lancements grandissant. Et le triomphe de La Vie est Belle de Lancôme, un gourmand nourri d’ethyl-maltol – un composé déjà utilisé dans Angel de Mugler aux accents de caramel – a relancé cette envie de puissance et de diffusion », commente Delphine Jelk, créatrice de parfum Guerlain. « C’est aussi une réaction du public, à la fois lassé par des fragrances qui se ressemblent, un peu aseptisées pour plaire à toutes les cultures, et influencé par la parfumerie de niche, audacieuse et confidentielle. Et puis le parfum coûte cher, on a envie de s’offrir une empreinte tenace et très signée. » Mais comment hausser le son et la température d’un sillage ? « Plusieurs recettes sont possibles. Les pistes les plus évidentes sont celles de la gourmandise, de l’oriental, de la vanille intense, ou du citron ambroxan pour la fraîcheur. Et je crois au retour des chypres (à base de mousse, patchouli et bergamote, ndlr), mais réinventés en plus vegan et moins sulfureux. Associés à une note fruitée, ils seront les senteurs tapageuses mais élégantes de demain. » En attendant, voici trois familles de sillages raffinés qui marquent les esprits.
Les vanillés réinventés
Ces trois sillages immédiatement identifiables mettent en scène une vanille puissante dans des orientaux ultra-contemporains.
Savoureux
Ce vertige de vanille, de poire, de bergamote et de vétiver, dépaysé par le bois de coco et la fève tonka, crée l’addiction. La Belle de Jean
Couture
Ici, une vanille bourbon, transcendée par un trio de fleurs de jasmin, la fraîcheur du poivre rose et un surdosage de notes boisées, reprend toute sa noblesse.
Vibrant
Cette vanille de Madagascar, aussi belle sur un homme que sur une femme, revisite le genre en s’éclairant de bergamote, de mandarine et de néroli, avant de s’enrober de cèdre et de muscs.
Les insolites précieux
Pour se distinguer, on peut aussi chercher une senteur à la distribution plus confidentielle. « Les précurseurs étaient Diptyque, L’Artisan Parfumeur, Goutal, Frédéric Malle et Serge Lutens. On prenait le temps de la création et les succès se faisaient par bouche à oreille. Cette idée de rareté séduit de plus en plus puisqu’aujourd’hui un parfum sur trois est un parfum de niche. Le chiffre d’affaires a triplé en dix ans », explique Sylvain Eyraud, directeur marketing et communication Fine Fragrance de Takasago. Cette parfumerie a de l’avenir car elle plaît aux millennials, qui cherchent distinction et originalité, et ont besoin de conseils et d’accompagnement. L’incarnation de parfumeurs tels que Francis Kurkdjian les fait rêver. » Ces sillages de créateurs pour nez avertis valent le détour.
Sensuels
Pour évoquer un amour puissant, cette senteur associe fleur d’oranger, iris, lait d’amande, graine d’ambrette et plus de 50 % de muscs. Les pyrazines de l’amande grillée sont même censées provoquer le désir et accélérer le coeur.
Pour suggérer une peau échauffée, cet oriental ambré associe opoponax, géranium, labdanum, et violette sur fond de vanille et de patchouli. Dans la jolie nouvelle marque du parfumeur Aurélien Guichard, ce musc boisé, qu’on suivrait même dans la rue, est conçu autour de graines d’ambrette aux accents de noisette et d’ambroxan. Sur la peau, c’est velouté et attractif.
Et toujours, le chypré enflammé de Francis Kurkdjian. Miel de roses, cumin frissonnant, benjoin, santal et encens… Bien assumé, il est renversant.
Androgynes
Ces notes cuirées daim de belle facture sont éclairées par la mandarine, veloutées grâce à l’osmanthus et à la violette, et réchauffées par l’immortelle. Aussi bouleversant qu’envoûtant.
Pour évoquer « un orage à peine contenu », cette fragrance réinvente la rose, aérienne et cousue de cassis, de géranium et de poivre Timut – aux accents de pamplemousse et de fruits de la passion –, sur fond plus ténébreux de cumin, vétiver, cèdre et cuir.
À base de bois d’oud australien, cette senteur planante et mystique est domestiquée par la rose et la confiture de ciste.
Voici une ode à la naturalité ultracontemporaine. Imaginez une poire juteuse dans laquelle on viendrait de mordre, un jasmin juste cueilli recouvert de rosée, un fond chypré de patchouli et de mousse d’une rare élégance.
Poudrés
La signature poudrée, délicatement vaporeuse, est le fil rouge de la collection, tant attendue, de onze parfums imaginée par Hedi Slimane. Empreints d’un chic très années 70, on adore La Peau Nue, associant absolu de rose, beurre d’iris, poudre de riz et vétiver, et Dans Paris, une bergamote fraîche corsée de coriandre et de vanille.
Les iconiques intensifiés
Cette saison, les parfums à succès exacerbent leur personnalité. Même si la filiation est évidente et que l’air est familier, cette quintessence de la signature originelle garantit un sillage plus assuré, distinctif et tenace. Cela ne dépend pas de la concentration mais de la manière dont les matières premières sont assemblées, en transcendant l’une ou plusieurs des facettes à l’extrême. « J’ai voulu aller à l’essentiel, raconte Olivier Polge, créateur des parfums Chanel au sujet de Gabrielle Essence, au coeur du parfum pour le réaffirmer, au coeur des fleurs pour un sillage plus voluptueux. L’éclairage évolue, comme si le rayon de soleil s’était échauffé. » Ce type de version peut idéalement convenir à l’hiver, à la nuit, ou permettre, plus simplement, de retrouver le plaisir de sentir son parfum préféré quand, par phénomène d’accoutumance, on ne pouvait plus en profiter.
Solaire
Cette variation fait la part belle à la tubéreuse de Grasse. Elle s’impose en majeur, naturelle comme si elle était sentie en plein champ, accompagnée de fleurs ensoleillées comme l’ylang-ylang et la fleur d’oranger, égayée par une pointe de fruits rouges puis escortée par un fond voluptueux, tissé de santal, de vanille et des muscs blanc.
Sensoriel
Les notes incontournables de lavande et de jasmin sont sublimées ici par une vanille considérablement amplifiée – alliance d’une vanille Tahitensis aux accents amandés et d’une teinture de vanille Planifolia, perpétrée uniquement par la maison, d’une rare volupté –, soutenue encore par les accents boisés du santal crémeux et du patchouli. Ce surdosage rend le parfum plus enveloppant, charnel et attachant.
Ardent
Toujours un bouquet de rose et de jasmin, mais la bergamote en tête s’adoucit tandis que le sillage se réchauffe et devient plus moelleux. Le santal crémeux et les muscs sont magnifiés par une essence de néroli et un soupçon de vanille.
Flamboyant
Dans cette interprétation en édition limitée, le cassis, corsé par l’essence de poivre rose, est enflammé par un jasmin lumineux puis enrobé de vanille et de muscs blancs.
Noctambule
La brassée de fleurs blanches – fleur d’oranger, héliotrope et muguet – s’affirme plus opulente, mais elle reste malicieuse grâce à la bergamote et à la poire. Son sillage est caressant grâce à ses notes de muscs, de santal et de fève tonka.
Hybride
L’esprit oriental est réinventé. Renversé par un contraste sucré-salé entre une fève tonka chaude et savoureuse, et un accord de sel marin qui l’éclaire, surprend et donne envie de s’approcher. Le cyprès emprunté à la parfumerie masculine ravira celles qui n’aiment plus les fleurs.