Marie Claire

“Il l’a frappée quarante-sept fois.”

Mylène Jacquet, mère de Savannah Torrenti, 23 ans, tuée le 1er mai 2016

- (*) associatio­n-savannah.org

« La violence, ce n’est pas que des coups. C’est psychologi­que aussi. Savannah avait beaucoup maigri. Coach sportif, son compagnon lui interdisai­t de manger, il voulait une fille fine. Quand je protestais, elle me disait : “Il est énervé car il n’a pas de travail”, ou “C’est ma faute”. Il la tenait sous sa coupe. Facile à vivre, solaire, elle travaillai­t avec moi dans l’école où je suis institutri­ce. Elle devait commencer son premier emploi dans une crèche le 2 mai 2016. Elle avait rencontré ce garçon parmi un groupe de jeunes. Cela a duré deux ans avec des ruptures. Il vivait de petits boulots. La première fois que je l’ai vu, il était plagiste, serviable, souriant. Mais je l’ai vite trouvé un peu bizarre, il collait tout le temps Savannah, dans la rue, je le voyais lui faire la morale, des reproches. Ma fille ne m’a jamais rien dit. J’ai pensé que c’était des querelles d’amoureux, comment imaginer que ça en arriverait là. Elle s’est confiée à des amis : “N’en parlez pas à ma mère.” Elle le protégeait. Il piquait des crises de jalousie. Sa soeur Matilda l’a entendu menacer : “Je vais te tuer si tu me quittes.” Elle ne m’en a pas parlé, depuis elle culpabilis­e.

Il a écrit à Savannah “Je te couperai les cheveux”, lui a cassé son pare-brise, elle m’a raconté des bobards avant de finir par m’avouer que c’était lui. Le 1er mai 2016, elle est allée en boîte avec une amie. L’a-t-il suivie ? Pour moi, ce n’est pas un hasard. Elle était avec un ami, il a failli se battre avec lui. Elle est sortie, et il l’a amenée dans sa voiture. Saoul et drogué, il lui a donné un coup de poing qui l’a mise K.O. Ensuite, il l’a emmenée chez lui. L’a-t-il portée ? Savannah était-elle consciente ? Elle était encore vivante quand il l’a frappée : quarante-sept impacts, dont dix au visage. Puis il l’a étranglée. Et il a coupé ses cheveux. Son père l’a appris aux infos. Moi j’étais sur le continent. J’ai pris le bateau en état de sidération. Comme détachée de moi-même. L’avocat a vu les photos : “C’est un monstre.” Il m’a déconseill­é de voir Savannah. Mais l’imaginatio­n fait son travail. J’ai repris ma classe et, l’été, je suis partie en pèlerinage dans les endroits qu’elle aimait. À la Toussaint, j’ai eu un cancer de la thyroïde. Je me consacre à l’associatio­n* créée par des amis et avec Femmes Solidaires, on a repris l’idée des bancs rouges, en hommage aux victimes de violences. Il y en a quatre aujourd’hui dans l’île. L’assassin de Savannah a été condamné à vingt-six ans de prison. Il a fait appel. Il n’a aucun regret : “Je ne voulais pas, mais Savannah voyait d’autres garçons.” C’est : “Tu es à moi, à personne d’autre.” Je vais installer un banc dans mon école. Il faut parler de la violence conjugale dès le collège, et lutter contre les stéréotype­s dès les petites classes. Cela concerne tout le monde. Ce que j’ai vécu, aucun père, aucune mère, soeur ou frère ne devrait le vivre. »

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