Marie Claire

La plume soldate d’Edna O’Brien

Pour son nouveau roman*, l’auteure a enquêté sur le calvaire de Maryam, enlevée par la secte Boko Haram. Et porte haut dans un récit âpre et habité la voix de ces femmes que la société des hommes, de l’Irlande catholique au Nigéria sunnite, veut réduire a

- Par Gilles Chenaille

Les femmes résistent parfois à la mort programmée par la violence des hommes. Ainsi Maryam, collégienn­e kidnappée par les islamistes de Boko Haram au Nigéria, qui vivra l’enfer – viols à répétition, mariage forcé, mise au monde d’un enfant né d’un viol… Avant d’en réchapper in extremis, tant par chance que par son acharnemen­t à ne pas laisser s’éteindre cette petite flamme intérieure de résistance et de dignité. Et ainsi Edna O’Brien, 88 ans, célèbre auteure irlandaise qui, après une enquête épuisante sur le terrain, a réussi à se mettre dans sa peau. En y laissant des plumes, mais sans perdre celle qui fait son talent.

« J’étais une fille autrefois, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. » C’est ainsi que s’ouvre ce livre inoubliabl­e, sur cette première nuit d’effroi, prélude à une expérience de l’horreur. Vécue par Maryam, personnage recréé par Edna à partir de la vie réelle des collégienn­es kidnappées en 2014 lors du raid d’un groupe sunnite dans la ville de Chibok. Leur seul tort : être femmes, pour la plupart chrétienne­s, et donc « mécréantes » ou « infidèles », porteuses du virus de « la pourriture occidental­e ».

L’éditrice française d’Edna O’Brien, Sabine Wespieser, nous raconte quelle fut l’étincelle allumant les poudres de ce roman : « Quand Edna a entendu aux infos la nouvelle de cette jeune Nigériane retrouvée dans la forêt, ayant perdu la raison et errant avec un bébé dans les bras, ce fut un choc pour elle : elle est immédiatem­ent entrée en ébullition. » Suivirent deux voyages au Nigéria, une enquête minutieuse, de nombreux déplacemen­ts éreintants, et la rencontre de sept jeunes filles ayant réussi à s’évader de cet enfer.

Jugée scandaleus­e et bannie

Ces victimes rencontrée­s par l’auteure ont souffert des mêmes humiliatio­ns et des mêmes viols, commis au nom de la religion pour l’asservisse­ment programmé de la femme, comme exutoire à une pulsion de domination et de défoulemen­t sexuel. Au- delà des kilomètres et des années, Edna a compris Maryam. L’ex-muse scandaleus­e des swinging sixties n’oublie pas qu’elle fut un jour bannie de chez elle à cause de la liberté de ton et de moeurs qu’illustraie­nt sa vie et ses livres… brûlés sur la place publique de son village natal car contraires à la religion et à la sacro-sainte soumission dictée aux femmes.

(*) Girl, éd. Sabine Wespieser, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, 21 €.

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