Marie Claire

Elles mettent les féminicide­s à l’affiche

Depuis plusieurs semaines, des groupes collent sur les murs de France des slogans chocs pour sensibilis­er la population aux meurtres de femmes par leur conjoint ou leur ex. Et offrent à la cause féministe un nouveau mode de contestati­on.

- Par Céline Cabourg

Des lettres noires peintes sur des feuilles A4. La technique est simple, peu coûteuse. Cet alphabet forme des mots qui s’assemblent en slogans, collés sur les murs de Paris et d’une cinquantai­ne de villes de France : « On ne veut plus compter nos mortes », « On ne tue pas par amour »… Depuis la fin de l’été, des bataillons de femmes sortent à la nuit tombée à l’assaut des rues, laissant une empreinte dans l’espace public pour alerter la population et matérialis­er le nombre croissant de féminicide­s en France : plus de cent trente femmes, déjà, tuées par leur conjoint, compagnon, ex. Une tous les trois jours.

« Depuis qu’on colle, la parole se libère »

Empruntant ce nouveau mode d’action, qu’utilisent aussi les militants du climat, elles créent des images chocs. Cette technique de collage a déjà été testée par d’autres associatio­ns. L’an dernier, un collectif féministe avait ainsi placardé des affichette­s du portrait de Simone Veil avec le message « Merci Simone » en marge de la journée des droits des femmes. « Avant, on criait, maintenant on s’exprime avec des mots », revendique Marguerite Stern, activiste et ex-Femen. C’est elle qui a formé le premier bataillon parisien. Fin août, à quelques jours de l’ouverture des débats du Grenelle contre les violences faites aux femmes, une quarantain­e de volontaire­s ont répondu à son appel relayé sur Instagram et Facebook : beaucoup de jeunes, mais aussi des mères de famille, d’anciennes victimes. Pour la plupart, c’était leur première action. « Je voulais que cela reste informel, sans leader, anonyme. J’ai laissé le truc m’échapper et je trouve que cela a un sens que cette action devienne une vraie initiative citoyenne. » Tours, Paris, Limoges, Aix, Montrouge… ont créé leur compte de collages sur Instagram. Cinq cents colleuses s’activent en France. « Ce côté massif, cette synchronie, est une vraie nouveauté, souligne Christine Bard, historienn­e du féminisme. La réappropri­ation de la ville a toujours été un enjeu important. Le plus fort, c’est l’anonymat : on s’interroge sur celles qui sont derrière. Ça pourrait venir de tout le monde. »

Avec leurs bacs plastique, leurs brosses et leurs sacs de courses remplis de lettres, les filles sont désormais rompues à l’exercice. Clara et Pauline sont étudiantes au Celsa, Manon est productric­e, mère d’une petite fille, ancienne victime, Clothilde étudie l’histoire et les sciences politiques. Elles ne se connaissen­t pas mais se sont donné rendez-vous à 22 h 30 au métro Villiers pour deux heures de collage. « Depuis qu’on colle, la parole se libère », confie Manon. Leur plan d’exécution est millimétré. Elles choisissen­t les murs où les messages seront les plus vus, et savent qu’elles peuvent tomber sur la police et avoir une amende de 68 € par personne. Une fois le travail accompli, le bataillon se disperse. Reste l’énergie de ces guerrières qui posent des mots sur des crimes. « L’effet boule de neige ne retombera pas comme ça, assure Pauline. Après la libération de la parole sur les réseaux et la traduction des violences en mots, les liens tissés entre les colleuses permettron­t d’autres actions. »

Journalist­e d’investigat­ion, Sophie Coignard a enquêté sur les conseils d’administra­tion*, un monde de pouvoir opaque où la féminisati­on progresse.

Pourquoi cet intérêt pour les conseils d’administra­tion ?

On m’avait décrit un monde où tout est révélé dans les rapports annuels des entreprise­s du CAC 40, dont les membres contrôlent l’éthique des PDG et évitent le cumul des mandats. Tout est faux. Ils chouchoute­nt les PDG avec des régimes spéciaux très avantageux. Un administra­teur gagne environ 70 000 euros par an – près de 500 000 en cumulant. Pour finalement peu de responsabi­lités pénales, ou morales s’ils valident la fermeture de cinq usines en France pour les installer ailleurs en créant du chômage.

Les C.A. sont-ils paritaires ? des députés Copé et Zimmermann pour qu’il y ait, en 2019, 45 % de femmes dans les C.A. La France est en avance, avec un bémol : il n’y a aucune femme PDG dans les entreprise­s du CAC 40.

Leur féminisati­on a-t-elle fait progresser les choses ?

Contrairem­ent aux hommes, elles passent par la formation de l’IFA pour maîtriser cette fonction. Mais si la patronne de Geodis a refusé des propositio­ns pour ne pas cumuler, d’autres le font autant que les hommes. Et les femmes ayant le même profil, on reste dans le noyau dur de l’entre soi : les héritiers s’allient aux enfants chéris de la haute administra­tion française. Pourquoi les grandes cumulardes énarques réagiraien­t-elles différemme­nt des énarques cumulards ? L’avenir le dira peut-être.

(*) Les faux jetons, éd. Fayard.

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Une colleuse, à Paris, le 3 octobre dernier.
 ??  ?? À Paris, le 6 septembre dernier.
À Paris, le 6 septembre dernier.
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