Marie Claire

Édito

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Dans la torpeur du confinemen­t, j’ai découvert un court métrage méconnu signé de la grande Agnès Varda. Il date de 1968. Sur vingt-huit minutes, elle filme à Oakland la révolution en marche des Black Panthers. La place des femmes dans la lutte. La force des slogans, la puissance graphique des affiches. La colère des Noirs « persécutés par les pigs (flics, ndlr) qui n’hésitaient pas à briser leurs vitrines », comme le confiait la réalisatri­ce en 2014. On aimerait ne regarder ce documentai­re – en accès libre sur le site de Marie Claire du 2 au 12 juillet* – que comme une pièce d’archive exceptionn­elle. Malheureus­ement, il est d’une actualité brûlante, terrifiant­e. La répression policière sévit toujours.

Le 25 mai, George Floyd est mort à Minneapoli­s, Minnesota, la nuque écrasée par un policier sourd à ses derniers mots :

« I can’t breathe. » Le 13 mars, Breonna Taylor, jeune aidesoigna­nte de 27 ans, est morte criblée de huit balles tirées par la police de Louisville, Kentucky. Tous deux Noirs. « Les voix qui demandent la fin du racisme endémique et structurel sévissant dans la société américaine doivent être entendues », a tonné Michelle Bachelet, la Haut-Commissair­e de l’ONU aux droits de l’homme le 3 juin dernier. Et ces voix montent de partout. Il était temps.

Le racisme est l’affaire de tous.

« White silence is racism », a-t-on vu surgir dans les manifestat­ions. Sous la plume d’Angela Davis, ça donne ceci :

« Il ne suffit pas de ne pas être raciste. Il s’agit d’être antiracist­e. » De prendre position. De sortir de l’indifféren­ce. De questionne­r notre « privilège blanc », notion qui recouvre notamment cette réalité : jamais, je n’ai été contrôlée par la police dans la rue. Jamais, je ne prends ma pièce d’identité quand je sors. C’est ce qu’on appelle un privilège et le reconnaîtr­e n’équivaut pas à s’excuser d’être qui on est. C’est reconnaîtr­e la souffrance de l’autre. Comme toujours, Virginie Despentes, écrivaine aussi géniale qu’elle est fine sociologue, a résumé brillammen­t : « Le privilège, c’est d’avoir le choix d’y penser, ou pas. Je ne peux pas oublier que je suis une femme. Mais je peux oublier que je suis blanche. Ça, c’est être blanche. Y penser, ou ne pas y penser, selon l’humeur. »

Nous sommes prompt·es à dénoncer le racisme aux États-Unis, mais parfois plus frileux·ses pour nous interroger sur notre propre histoire en tant que Français·es héritier·ères de la colonisati­on. En France aussi, ne fermons pas les yeux. Écoutons Aïssa Maïga, Camélia Jordana, Assa Traoré. Soyons des allié.es, même si nous ne faisons pas nous-mêmes l’expérience du racisme dans notre chair. Ne détournons pas le regard. Notre responsabi­lité est immense. L’espoir sera à la hauteur de notre mobilisati­on collective. Comme chantait Nina Simone dans Mississipp­i goddam :

« Can’t you see it / Can’t you see it / It’s all in the air /

I can’t stand the pressure much longer. »

Les vies noires comptent. Partout.

Katell Pouliquen directrice des rédactions

(*) Black Panthers d’Agnès Varda est en accès libre sur marieclair­e.fr du 2 au 12 juillet. Nous remercions Rosalie Varda, Ciné-Tamaris et MK2 pour la mise à dispositio­n du lm.

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Black Panthers, 1968. Photo prise par Agnès Varda sur le tournage de
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