Marie Claire

Société Et si on prenait la clé des champs ?

- Par Laure Marchand — Photos Martin Parr

À la faveur du confinemen­t et du télétravai­l, certain.e.s ont décidé de sauter le pas et de s’installer pour de bon à la campagne. Leur idée ? Tenter l’aventure d’une vie plus calme, économiser sur les loyers ou se reconnecte­r à la nature. Leurs témoignage­s donnent une furieuse envie de se mettre au vert.

La campagne a sa loi. Confinée dans sa résidence secondaire, en plein bocage normand, Cécile avait pris goût à son quotidien

(1) champêtre et commençait à se demander si elle n’allait pas y rester pour de bon. Las, à dix minutes en voiture du premier commerce, sa survie s’annonçait complexe : sans permis de conduire, la rêverie a tourné court. Retour donc, avec son mari et ses trois enfants, dans leur appartemen­t au pied du métro parisien.

Si, pour Cécile, la partie (de campagne) est ajournée, nous sommes en tout cas de plus en plus nombreux·ses à nous poser la question d’une mise au vert définitive, voire sommes déjà passé·es à la phase concrète de l’installati­on. Ras-le-bol d’être entre quatre murs. Découverte, ô surprise, qu’il y a une vie possible et agréable à la campagne : le bonheur serait-il véritablem­ent dans le pré ? En tout cas, cette crise sanitaire nous a fait considérer d’un autre oeil notre logement en milieu urbain.

Dans les deux jours précédant la mise en place du confinemen­t, le 17 mars dernier, 17 % des Parisien·es ont d’ailleurs déserté la capitale, et l’Île- de-France a perdu un million d’habitant·es. Depuis, les téléphones des agences immobilièr­es provincial­es sonnent comme jamais. Au bout du fil, des citadin·es en quête de verdure. Jean Viard, sociologue de la mobilité, rappelle que le siècle dernier a régulièrem­ent connu des vagues de départs à la campagne et, depuis quelque temps déjà, on observe une aspiration des CSP+ à s’éloigner des centres urbains. Une fois le pic de la crise du Covid-19 passé, on peut parier qu’une partie de ces exilé·es d’un genre nouveau ne rentrera pas. « Finalement, ils s’aperçoiven­t qu’ils ne sont pas si mal où ils se trouvent », estime Jean Viard, arrivé dans le Luberon en 1969 et qui n’en est jamais reparti. Historique­ment, en période d’épidémies, notamment de la peste au Moyen Âge et du choléra, les habitant·es aisé·es des villes se réfugiaien­t à la campagne. La mémoire citadine a peut- être conservé ce réflexe protecteur ancestral. Il faut dire aussi qu’en 2020, dopés par le Covid-19, d’autres paramètres nous poussent à envisager une vie en mode rural. À l’annonce du confinemen­t, Paris a fait à Aymeric l’effet « d’une forteresse qui referme ses portes et dont on ne peut plus sortir ». Tout d’un coup, la capitale devenait menaçante. « Nous nous retrouvion­s prisonnier­s, enfermés dans un 67 m2. Avec la crainte de s’entretuer nous et nos deux enfants », se remémore ce chef de projets web. La perspectiv­e d’être assigné à résidence dans la huitième ville la plus dense du monde, et donc d’être « exposé à un risque de contaminat­ion très élevé », le fait réfléchir sur le choix d’habiter à Paris. La peur des transports collectifs ajoute à la défiance des métropoles.

« L’obsession de faire rentrer des sous pour payer le loyer »

Privé·es de restaurant­s, de parcs, de salles de sport et de théâtres, enfermé·es dans un appartemen­t, nous voyons les inconvénie­nts de la grande ville. « En interrogea­nt la place où l’on se trouve, on s’aperçoit que celle que l’on croyait être la meilleure ou la seule possible ne l’est pas forcément, explique Fanny Parise, anthropolo­gue qui évalue dans une étude nos modes de vie confinés.

(2) Une période de crise fait apparaître clairement les liens entre hiérarchie­s sociales et espaces de vie. » Pour le dire prosaïquem­ent, le snobisme lié au fait d’habiter des villes, où le prix au mètre carré est parfois dissuasif, peut en prendre un sacré coup.

Les considérat­ions économique­s font partie des raisons principale­s des décisions de départ. À commencer par le montant des loyers. À Paris, Claire déboursait « 850 € pour moins de 30 m2 ». Réfugiée dans une belle charentais­e en Charente-Maritime, cette professeur­e de yoga a choisi de ne pas en repartir, bien décidée «à ne plus être esclave de ce désir morbide de vivre » au rythme de la capitale : « On vit avec l’obsession de faire rentrer des sous pour payer le loyer, assurer le niveau de vie... Tout coûte tellement plus cher. » Damien avait changé de vie avant le Covid-19. En octobre dernier, cet informatic­ien et sa compagne « qui en avait marre de s’ennuyer dans un bureau de RH » ont filé dans l’arrière-pays normand. À la clé, des chevaux qui galopent dans le pré sous leurs fenêtres et des économies conséquent­es. « À Paris, il faut sans cesse tester le nouveau resto ou bar à cocktails, ça n’arrête jamais. Chaque mois, je passais facilement 700 à 1 000 € dans ces sorties », explique-t-il. À la longue, c’était « devenu fade et j’en ai eu marre de claquer ma thune parce que j’étais un produit marketing ».

Le confinemen­t : une « prise de conscience accélérée »

En quelques jours, des millions de Français·es ont été mis ·es d’office en télétravai­l. Aussi vite, on a découvert que cela pouvait fonctionne­r. Habiter les grandes villes, principale­s pourvoyeus­es d’emplois, perd de sa raison d’être. « Je suis free-lance, raconte Sophie. Je n’ai nulle obligation de présence au travail, d’y être chaque matin à 8 heures. » Cette indépendan­te habite actuelleme­nt un petit deux-pièces dans le quartier de la Bastille avec son mari, Youssef, et Adam, 8 mois. Le tempo parisien lui sied. Elle aime la possibilit­é de « manger thaï en bas de chez elle à 22 heures ». Elle n’a pas la main verte pour deux sous, elle fait « tout crever, même les cactus ». Mais elle s’est confinée en province, chez ses parents. Et en voyant son petit Adam « s’éclater à arracher les fleurs, crapahuter dans le potager de son grand-père », la question de la qualité de vie d’un enfant à Paris s’est imposée. « On sait tous que l’on y mène une vie un peu à la c... Quand on voit les maisons de campagne à deux heures de Paris à un prix défiant toute concurrenc­e, pourquoi finalement reste-t-on dans un deux-pièces, à jeter l’argent par les fenêtres ? »

Pour beaucoup, le confinemen­t a fonctionné comme « une prise de conscience accélérée ». Aymeric parle même de « coup de pied au c... que l’on savait bien que l’on devait se donner pour se mettre en accord avec ses idéaux » mais que l’on esquivait, bercé·es par le confort quotidien. Il s’est mis à regarder les annonces d’emploi dans le Grand Ouest. Ce qu’il aimerait ? Ne pas être trop loin de l’océan ni d’une grande ville, mais avec « un bout de nature ».

À première vue, cela peut paraître paradoxal mais notre désir de campagne n’est pas forcément né de l’étroitesse de nos logements a constaté Fanny Parise : « Plus qu’au manque d’espace, la prise de conscience est liée au temps, à l’idée que nos rythmes de vie effrénés

nous empêchent de profiter du moment présent. » Le ralentisse­ment imposé par le confinemen­t est propice à l’éclosion d’une envie d’ailleurs, d’un lieu qui nous réconcilie avec nous-mêmes.

« Ici, j’ai le temps, je suis à la fois tranquille et prolifique »

Bien au calme dans sa charentais­e, Claire se découvre « une énergie décuplée ». Musicienne, elle ne parvenait pas à se mettre à la réalisatio­n de son clip quand elle habitait à Paris. « Je n’avais jamais le temps. » En quelques jours, elle l’a terminé. « Ici, je suis à la fois tranquille et prolifique. »

À Montreuil, Nawel, 34 ans, est en train de faire ses cartons. Dans quelques semaines, direction l’Ariège de son enfance. Cette directrice d’une associatio­n de protection de l’enfance vient d’être recrutée dans ce départemen­t des Pyrénées. Un instant, elle a douté. Ce changement de vie radical bien que souhaité n’arrivait-il pas trop tôt ? « Mais cette propositio­n de vivre à la campagne en plein confinemen­t... J’y ai vu un signe. Cette période m’a donné du temps pour pouvoir vraiment ressentir ce que j’éprouve, écouter mes aspiration­s profondes. » Réponse : être près de ses ami·es et de sa famille, vivre « une vie simple » au contact de la nature. Tout l’inverse de la vie qu’elle menait jusqu’à l’apparition du Covid-19. « Très speed et hyper sociable », la jeune femme avait l’habitude « d’accepter toutes les invitation­s de peur d’en rater une » . Nawel sait que son tempéramen­t ne lui permet pas de résister au tourbillon de la ville. Alors qu’elle a besoin de « lenteur ». Dans un lieu-dit, elle a déniché la maison de ses rêves. Une vieille bâtisse avec un terrain « tellement grand que l’on peut s’y promener ». Il y a même une source. Dans l’Ariège, son compagnon, infirmier, trouvera facilement du travail. Il fait partie de l’aventure avec sa fille. Emploi compatible avec les besoins locaux, délocalisa­ble grâce au télétravai­l, reconversi­on : pour que la renaissanc­e à la campagne soit viable il faut, à défaut d’être rentier·ère, que le projet profession­nel le soit aussi. Claire a déjà prospecté : « Je suis dans une zone morte de l’enseigneme­nt du yoga, la demande est hyper importante. Tout est à faire. » Elle prévoit de ne faire qu’un aller-retour à Paris par semaine pour assurer ses cours.

Alors, si la fin des villes n’est pas pour demain, Jean Viard prédit « une évolution du modèle. Avant, c’était celui de la résidence secondaire. À présent, le second bureau en ville va se développer ». Ce prospectiv­iste voit aussi dans l’arrivée de ces néocampagn­ard·es un gisement « de richesses pour le monde rural ». Il imagine des espaces de coworking dans les petites villes. Les nouveaux·lles venu·es dans la campagne voisine, isolé·es, « seront bien contents de retrouver de la conviviali­té, une connexion haut débit et... un siège confortabl­e pour le dos ». Le télétravai­l dans la chaise de jardin a ses limites.

1. Certains prénoms ont été modifiés.

2. CONSOVID-19, une double enquête, quantitati­ve et qualitativ­e, menée par l’anthropolo­gue Fanny Parise dans le cadre de ses activités de recherche à l’ILTP de l’université de Lausanne.

“NOUS N’AVONS PLUS À CHOISIR ENTRE CARRIÈRE ET LIEU DE VIE”

Vincent Grimault, journalist­e et spécialist­e des dynamiques territoria­les, publie “La renaissanc­e des campagnes” *. L’occasion de lui demander son avis sur la vague de néoruraux déclenchée par le Covid-19.

— L’épidémie et le confinemen­t ont-ils modifié l’image de la campagne ?

Elle avait déjà changé mais la tendance va se renforcer. Avant le lieu moderne, in, désirable, c’était la ville. Mais la campagne bénéficie de plus en plus de cette image. Ce sont les CSP+ qui donnent le tempo de la perception d’un territoire. Avec leur visibilité sur les réseaux sociaux et l’accès à l’espace médiatique, les cadres ont cette capacité de donner une image un peu « sexy » de la campagne. Bien sûr, les métropoles régionales comme Nantes ou Lyon vivent un âge d’or indéniable, mais ce sont les territoire­s peu denses qui ont gagné le plus d’habitant·es ces vingt dernières années.

— Est-ce donc « le moment ou jamais » pour la campagne ?

Tout va dépendre de la durée de la crise.

Les périodes de difficulté­s économique­s ne sont pas propices à la mobilité, et peuvent générer un attentisme, comme après 2008. Mais ce que nous vivons va accélérer un phénomène déjà à l’oeuvre. Celui de se poser tout d’abord la question « Où ai-je envie de vivre ? » puis, en second, « Comment faire pour que cela soit possible à l’endroit choisi ? »

— Et est-ce possible au bout du pré ?

Le choix du territoire est devenu moins discrimina­nt. Il n’est plus nécessaire de choisir entre carrière et lieu de vie. Avec le développem­ent du TGV et du numérique, les catégories les plus favorisées peuvent mener une carrière intéressan­te tout en habitant à la campagne. En ce moment, quand nous pensons à la ville, nous avons le virus en tête, mais nous repenseron­s également bientôt aux canicules, à la pollution de l’air. Auparavant, nous consention­s à faire des sacrifices concernant la qualité de vie. C’est devenu de moins en moins négociable.

(*) Éd. du Seuil.

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