Marie Claire

Moi lectrice « À 43 ans, j’ai eu des jumeaux et le Covid-19 »

Passée par des années de FIV, Magali réussit à tomber enceinte à l’âge où elle n’y croyait plus. Mais le conte de fées tourne au cauchemar lorsqu’elle est diagnostiq­uée positive au virus.

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Mes jumeaux, 2,2 kg et 2,6 kg, ont pu quitter l’hôpital. Nous sommes enfin réunis. Ce matin-là, nous sommes au complet, tous les six, sur le lit. Sur le coussin d’allaitemen­t, j’ai Zak d’un côté, Ary de l’autre. Max, notre aîné de 5 ans, qui nous a rejoints, a posé sa tête dans l’autre sens. David est allongé. Illinoy, notre siamois, également. Je suis la seule qui ne dort pas. C’est top. Et dire que, quand je remonte dix ans en arrière, j’étais quasi sûre que je ne pourrais pas avoir d’enfant. Nous sommes passés par la PMA… et le coronaviru­s. Mais ça y est, nous y sommes, nous sommes une famille nombreuse. Au fond de moi, c’est ce que je voulais, mais je m’étais fait une raison. Pour Max, il a fallu huit ans et dix-huit échecs de replacemen­ts d’embryons avant que je sois enceinte. David me disait: « Profite bien de ta grossesse, ce sera la seule. » Mais trois ans plus tard, un soir de décembre 2017, il glisse : « Quand même, si Max avait un petit frère ou une petite soeur… » J’avais 41 ans et demi. Pas de temps à perdre. À 43 ans, la sécurité sociale ne rembourse plus les FIV. Dès le lendemain, j’ai décroché mon téléphone pour trouver un centre. À chaque fois, la réponse était la même : « Après 40 ans, sans embryon congelé, on ne vous accepte pas. » C’était démotivant. Après l’étude de notre dossier, l’Institut Montsouris a finalement dit OK. Batterie d’examens, stimulatio­n, ponction, congélatio­n : nous étions repartis pour un tour de PMA, le dernier. Les mois passent. Les embryons ne survivent pas à la division cellulaire. Sauf un. Hélas, il ne tient pas. Nous sommes en 2019, à la fin du mois de mars. Le 17 juin, j’aurai 43 ans. L’équipe médicale accélère le protocole, m’envoie les ordonnance­s par mail afin de pouvoir procéder à une dernière ponction avant mon anniversai­re. Elle fonctionne ! Trois embryons sont cryogénisé­s. Sereins, nous laissons passer l’été. Le médecin nous avait déconseill­é de mettre deux embryons à la fois. Vu mon âge, une grossesse gémellaire pouvait être risquée. Le 6 septembre, un seul est donc replacé. Il reste accroché. Les taux de grossesse sont bons. Arrive la première échographi­e. Je suis un peu sur la réserve, je me prépare psychologi­quement à une mauvaise nouvelle. Pendant l’examen, la docteure dit :

« Dites donc, c’est bien un embryon qui a été replacé, pas deux ?

— Oui.

— Vous voyez ce que je vois, les deux petits ronds blancs ? — Oui.

— Donc il y en a deux et ce sont de vrais jumeaux. »

Vraiment, quelle énorme surprise ! L’embryon avait été transféré à j+5. J’ignorais que la division de l’oeuf pouvait intervenir après. Évidemment, nous sommes hyper contents. Je suis suivie à l’hôpital Robert-Debré, à Paris. Même si je suis un peu inquiète de l’évolution de la grossesse, les premiers mois se passent bien. Jusqu’à fin mars.

L’impression d’avoir mangé un boeuf entier

Nous faisions du rangement dans l’appartemen­t en prévision de l’arrivée des jumeaux. Il faut faire des allers-retours à la cave. David a un gros rhume depuis quelques jours. Honnêtemen­t, je suis un peu agacée qu’il soit si fatigué. À mon tour, je commence à ne pas me sentir très bien. Voix enrouée, un peu de fièvre, rien d’alarmant. Par précaution, la maternité me demande de venir et me teste au Covid-19 : je suis positive. Ils me disent : « On vous garde, pas à cause du coronaviru­s mais pour menace d’accoucheme­nt prématuré, votre col est dilaté. » Je n’avais pas fini la 31e semaine.

Celle qui suit aura été périlleuse. Je suis à l’isolement. Trois jours passent. Je n’ai plus de contractio­n mais toujours de la fièvre et je commence à désaturer. Mon sang manque d’oxygène. Je suis transférée au cinquième étage, celui des soins intensifs Covid. L’unité a ouvert la veille. Je ne suis pas trop stressée car je sais que je suis très bien prise en charge. De ma chambre, la vue sur Paris est superbe. Le soleil se reflète dans les vitres. Je regarde l’émission N’oubliez pas les paroles à la télé. Puis survient une douleur très intense dans l’utérus, persistant­e. On me descend aux urgences. J’entends quelqu’un dire que le coeur d’un des bébés ralentit. La dose d’oxygène est augmentée. La nuit passe, mais je ne suis pas en forme. Les soignantes me préviennen­t : « Pas la peine de vous lever, on vous fait la toilette au lit, et à la Betadine tant qu’on y est, comme ça, s’il faut vous descendre au bloc, ça sera fait. » Je désature de plus en plus. Les lunettes d’oxygène ne suffisent plus. On me met un masque haute concentrat­ion et la dose augmente. Le médecin m’explique que si je ne me stabilise pas, il faudra procéder à une césarienne en urgence afin de libérer de la place pour mes poumons et éviter l’intubation. Je reçois des corticoïde­s qui accélèrent la maturation des poumons des bébés. Ce jour-là, j’ai beaucoup dormi, je me suis laissé porter. C’était le 1er avril. Finalement, mon état s’est amélioré. En soins intensifs, j’étais cocoonée. Je reste plusieurs jours avec une grosse dose d’oxygène. Je ne peux pas m’en passer bien longtemps. Pour me

rebooster, on me transfuse. J’ai l’impression d’avoir mangé un boeuf entier. Là, franchemen­t, je suis bien, je regarde la série Heartland sur Netflix, un peu comme si j’étais à l’hôtel. Je respire de mieux en mieux. L’équipe médicale a prévu de me déclencher le 20 avril car à cette date je ne devrais plus être considérée comme porteuse du Covid. Mais un contrôle signale que le cordon ombilical du plus petit bébé ne fonctionne pas très bien. La docteure décide de ne pas prendre de risque : « On n’est pas à deux jours près. »

En tenue de cosmonaute

Ary et Zak sont donc nés le 18 avril. L’accoucheme­nt par voie basse s’est très bien passé. Impression­nant quand même. Les deux équipes – une par bébé en cas de complicati­on – étaient en tenue de cosmonaute à cause du coronaviru­s. La médecin avait le tablier et les gants couverts de sang. On se serait crus dans une boucherie. J’ai quand même pu voir rapidement mes bébés avant qu’ils ne soient emmenés en service de réanimatio­n. C’était des poids plume mais ils parvenaien­t à respirer seuls. Quel soulagemen­t ! J’ai dû attendre avant d’être autorisée à les voir en réanimatio­n : officielle­ment, j’étais toujours une « maman Covid ». Deux jours après, j’ai enfin pu les prendre sur moi, en peau à peau. C’était très émouvant. Le lendemain, douche froide : le test PCR indique que je suis toujours positive. Je me transforme en fontaine de pleurs. Mais la gynécologu­e me rassure. La charge virale doit être très faible, en respectant les gestes barrière, je peux les voir et surtout les allaiter. J’y tiens. Les jours ont passé. Les jumeaux ont pris assez de force pour être nourris sans sonde gastrique. Le feu vert arrive donc pour la sortie. Max, très fier, est venu chercher ses frères, avec son père. Comme Zak et Ary sont encore tout petits, ils tiennent tous les deux dans une nacelle. Nous habitons à côté de Robert-Debré. Nous sommes rentrés à pied à la maison.

Aujourd’hui, je commence à intégrer que cette histoire n’était pas si anodine. Mais je n’ai jamais imaginé le pire. Le coronaviru­s est même déjà un peu derrière moi : je suis tellement absorbée par ma couvée. Si les jumeaux continuent à bien grandir, nous allons partir dans les Alpes pour les vacances. Il faut bien le dire, j’ai une nature résiliente. Je suis née en 1976, qui est restée « l’année de la canicule ». Pour eux, ce sera « l’année du Covid », tout simplement.

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