Mes cheveux, mon coiffeur et moi
Ce n’est pas un hasard si les salons de coiffure ont été parmi les premières officines à afficher complet le 11 mai dernier : ternis, devenus trop longs, déstructurés, nos cheveux ont été source de préoccupations pour nombre d’entre nous. Celles-ci ont-elles changé notre rapport à notre coiffeur·se, et comment ? Enquête.
Le 11 mai dernier, à l’heure du déconfinement, l’un des sujets, légers, les plus traités par les médias fut la réouverture des salons de coiffure, fermés dès le 17 mars car jugés « non essentiels ». Un coup d’arrêt qui a changé la donne. Au fil des deux mois d’errances capillaires, le cheveu est devenu un sujet de société. N’a-t-on pas entendu Yann Barthès se plaindre à l’antenne de ses cheveux trop longs et le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Lemaire, ironiser sur son expérience, « pas géniale », de la « coupe faite maison » ? D’après l’étude Omnibus Harris pour L’Oréal, 59 % des Français·es prévoyaient de se rendre dans un salon de coiffure dans la semaine suivant le déconfinement, dont 37 % dans les trois jours. Franck Provost, qui a mis en place un système de réservation en ligne une semaine avant le 11 mai comptabilisait, dès les deux premiers jours, 15 000 prises de rendez-vous. Les jours qui ont suivi la réouverture des salons, les coiffeur·ses ont probablement fait les plus longues journées de leur vie active. Tout le monde a pu en faire l’expérience : être bien coiffé·e, se sentir bien dans sa tête, est bien moins futile qu’on peut le croire. « Le cheveu est un donné immédiat, brut, massif, de ce que l’on reçoit de l’autre. Un élément premier d’identification. Et, réciproquement, un élément d’identité de soi fourni aux autres. (…) Si le cheveu décrit l’apparence, il ne s’en tient pas là. Il participe (…) à la formation des traits identitaires de la personne », souligne Michel Messu dans son livre Un ethnologue chez le coiffeur*. Décrivez une personne à une autre, la chevelure est probablement l’un des premiers éléments que vous allez évoquer. Elle est aussi le moyen le plus immédiat de signer son style.
C’est comme ça, mais avec nos visages en gros plan sur les écrans, cela nous a sauté plus que jamais aux yeux. Sous l’angle, peu flatteur, des réunions et apéros en visio, nos non-coiffures et nos colos en berne sont devenues une obsession. Et le·la coiffeur·se nous est (ré)apparu·e « essentiel·le ». Quelques chiffres pour enfoncer le clou : la coiffure est le deuxième secteur de l’artisanat en France, avec 184 000 actif·ves, 85 000 salons et 1 million de client·es chaque jour. « On dénombre un établissement pour 720 habitant·es, c’est bien plus que les boulangeries, qui ne sont que 32 000 sur toute la
France. Le vrai commerce de proximité, c’est le salon de coiffure. Il y aura un avant et un après cette crise, le métier en sort grandi et valorisé », commente Nathalie Roos, directrice générale L’Oréal Produits Professionnels. Sans compter que les règles imposées pour leur réouverture ont tiré les salons vers le haut, avec une hygiène irréprochable, plus de temps accordé à chaque client·e, des prises de rendez-vous en ligne… « C’est profitable à la clientèle et au·à la coiffeur·se, poursuit Nathalie Roos. Nous le constatons depuis des années : lorsqu’il se transforme et offre une expérience plus premium, un salon génère entre 10 et 30 % de chiffre d’affaires additionnel. »
« Un mal-être cristallisé dans les angoisses capillaires »
Si ces artisan·es du cheveu ont tiré leur rideau pendant deux mois, nombreux·ses sont ceux·lles à ne pas avoir totalement abandonné leur clientèle. « J’ai passé les premières semaines à répondre aux mails de mes clientes, à leur donner des conseils. J’ai ensuite mis en place des live sur Instagram pour toucher un plus large public et aider les femmes à s’en sortir chez elles. Des clientes ont même insisté pour que je vienne les coiffer à domicile, mais j’ai refusé », témoigne Delphine Courteille, qui a aussi dû apaiser, via la messagerie privée Instagram, certaines femmes en véritable détresse : « J’ai vu beaucoup de personnes aller très mal. Le mal-être général était comme cristallisé dans leurs angoisses capillaires. » L’Oréal Professionnel a encouragé ses coiffeur·ses affilié·es à mettre en place du coaching à distance. « Il·elles pouvaient craindre de perdre une clientèle qui aurait pu s’installer dans une routine à domicile. Au contraire, en la guidant vers les bons gestes, il·elles ont affirmé leur différence professionnelle », assure Nathalie Roos. De quoi mettre un peu de plomb dans l’aile aux influenceur·ses qui inondent le Web de tutos coiffures depuis quelques années. « La montée en puissance de tou·tes ces “nouveaux·lles pros” a pu donner la sensation que nous, coiffeur·ses, ne servions plus à rien. Ces deux mois sans nous ont montré le contraire », se réjouit Delphine Courteille. À ceux·lles qui ont tenté, sans grand succès, de se recouper la frange, d’entretenir un balayage ou même tout simplement de dissimuler des racines, la
technicité du métier de coiffeur·se s’est imposée, sans appel. « Il y a eu pas mal de bêtises, on s’est rendu compte que c’est un vrai métier ! », s’amuse David Lucas.
Une profonde envie de changement
Chacun·e chez soi s’est accommodé·e comme il·elle a pu de cette friche capillaire. Il y a ceux·elles qui ont profité de ne pas avoir à affronter le bureau pour tenter des expériences de coupes et couleurs plus ou moins probantes. Il y a ceux·elles qui ont vu s’imposer progressivement leurs cheveux blancs. « C’était le moment ou jamais de voir ce que ça donne », estime Marie, contente de l’expérience mais bien décidée à reprendre ses couleurs. « Certain·es se sont résolu·es à assumer le gris. D’autres, voyant s’effacer leur balayage, ont eu envie de revenir à leur blond foncé ou à leur châtain clair naturel », constate Delphine Courteille. Et puis il y a ceux·lles qui ont pris leur mal en patience, nourrissant au fil des jours une profonde envie de changement. « Le confinement a déclenché chez moi le besoin de me sentir plus légère et libre, et de couper ma chevelure trop longue et lourde. J’ai envie de changer des choses dans ma vie, couper mes cheveux sera la première étape emblématique », raconte Caroline, en plein mois d’avril. Pour l’accompagner, elle comptait sur l’oeil avisé et les bons gestes de sa coiffeuse. Un conseil pour tou·tes ceux·lles qui n’ont pas encore sauté le pas : si votre coiffeur·se vous balance brutalement « Avec vos cheveux, on ne peut pas » , changez ! « On ne doit jamais dire non à un· e client· e. Il faut lire entre les lignes, décrypter ce qu’il· elle veut vraiment à travers ce qu’il·elle nous dit ou la photo qu’il·elle nous montre (une allure cool, un visage dégagé, structurer ses traits, s’offrir un coup de jeune…). Ensuite, à nous de le transposer à sa chevelure », assure le coiffeur Olivier Lebrun.
Le plaisir d’une prise en charge bienfaisante
Tou·tes les pros des ciseaux disent leur bonheur de se sentir « reconnu·es », « nécessaires », « indispensables », pas par excès d’ego mais par satisfaction de pratiquer une profession « utile à la société ». Et ce n’est pas qu’un désir esthétique qui a commandé le besoin de retourner expressément chez son·sa coiffeur·se début mai. Aussi, forte était l’envie de se laisser aller à cette prise en charge bienfaisante, de renouer avec ce lien humain tissé rendez-vous après rendez-vous au fil des années. Pour 50 % des Français·es, c’est tout simplement le plaisir d’aller chez le·la coiffeur·se qui leur a le plus manqué pendant le confinement (Omnibus Harris pour L’Oréal). « Qui te touche la tête à part ton mec et ton·ta coiffeur·se ? Personne ! », constate David Lucas. Avec son équipe, pendant plusieurs semaines, il est allé apporter ce bien- être aux soignant·es en proposant ses services dans les hôpitaux. « Tou·tes nous ont dit que cette parenthèse leur a fait un bien fou. Ce fut un moment de plaisir qui leur a permis de s’extraire quelques minutes de la dure réalité de l’hôpital, des questions de vie et de mort », raconte David Lucas. Avec sa plateforme Take Hair C-19, le hair stylist John Nollet a, lui, permis à des coiffeur·ses dans toute la France d’offrir un rendez-vous à des soignant·es dès les premiers jours du déconfinement. Reviens alors en mémoire un slogan phare des années 80, celui de Jacques Dessange, qui avait tout compris : « Recoiffe-moi le moral ! »
(*) Éd. Fayard.
“On a pu croire que nous ne servions plus à rien. Ces deux mois sans nous ont montré le contraire.” r a r y