Marlène Schiappa : “Il y a mille façons d’être féministe”
De la présence des femmes dans les conseils de direction à l’allongement du congé paternité, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes présente sa stratégie et ses objectifs. Et appelle à plus de sororité.
Ces derniers temps, vous avez mis en avant le concept de « diplomatie féministe », comment le définiriez-vous ?
C’est faire des questions de l’égalité femmes-hommes une priorité dans toutes les actions de diplomatie de la France. L’an dernier, Emmanuel Macron a lancé au G7 le « partenariat de Biarritz » et fait signer à ses membres un engagement pour que dans les années à venir, ils adoptent des lois ambitieuses allant dans ce sens. À ce jour, aucun pays au monde ne l’a atteinte, pas même la France. Mais l’idée est de nous hisser les uns les autres vers le haut en s’inspirant des bonnes pratiques qui existent.
Le comité scientifique réuni autour du président Macron est très masculin. Dans le comité de suivi des mesures de soutien financier aux entreprises, on comptait deux femmes sur quatorze membres. Si nous voulons montrer l’exemple, ne devrait-on pas commencer par nous-mêmes ?
Je suis d’accord avec vous. La parité n’est pas encore assez un réflexe. Les exemples que vous citez ont été relevés par le député Gaël Le Bohec, qui a proposé un amendement pour que tous les conseils soient paritaires. Cela démontre à quel point le combat est permanent, je mets beaucoup de pression dans le débat public pour qu’on ne dise plus : « Ce n’est pas le moment », dès que l’on exige l’égalité. Quand j’ai confié à la députée Céline Calvez une mission sur la place des femmes dans les médias en temps de crise, beaucoup se sont écriés : « Mais ce n’est pas le moment, l’important, c’est que l’intervenant soit compétent ! » Cela signifierait-il que seuls les hommes le seraient ?
Vous avez rencontré la Première ministre finlandaise Sanna Marin. Quelle loi de son pays aimeriez-vous voir en France ? Le congé de paternité ! Comme dans beaucoup de pays nordiques, l’engagement sur la place des pères au sein de la famille y est fort. La Première ministre Sanna Marin, au parcours particulier – elle a été élevée par un couple de femmes, elle a un enfant en bas âge –, a nommé beaucoup de femmes dans son gouvernement par volonté mais aussi parce qu’en Finlande, elles sont très souvent cheffes de parti. En France, à part Marine Le Pen, il n’y en a pas à la tête des grands partis politiques. Cela doit bouger plus vite partout. J’ai emmené cinq députées avec moi, nous avons visité des écoles où les cours de bricolage et de tâches ménagères sont au programme. En primaire, les garçons savent faire des cheesecakes, repasser, coudre. Et les filles savent souder, réparer un circuit électrique. Ils apprennent à être autonomes et ce indifféremment de leur sexe.
Des pays du Sud ont aussi de quoi nous inspirer.
Oui, bien sûr. L’un des pays les plus paritaires au monde en politique est le Rwanda. C’est, de ce point de vue, une inspiration. D’ailleurs la présidente de l’Organisation internationale de la francophonie est Rwandaise. Parfois, il faut savoir aller au delà de nos préjugés et voir que dans l’hémisphère sud, des pays nous devancent sur certains sujets.
La diplomatie féministe consiste aussi à dénoncer la violation des droits des femmes dans le monde.
Est-ce possible quand nous sommes liés économiquement avec ces pays ?
La France le fait. Mais la communication et l’influence sont deux choses différentes. En diplomatie, on fait parfois avancer les choses en communiquant beaucoup. Lors de mon discours à l’ONU, l’an dernier, j’ai annoncé que la France demandait la libération de l’avocate et militante féministe iranienne Nasrin Sotoudeh 1). Cela a provoqué des remous, mais l’important
( était d’envoyer ce message. Dans d’autres cas, l’action discrète est plus efficace. Nous restons toujours mobilisés comme nous l’avons été avec Jean-Yves Le Drian pour libérer Asia Bibi 2).
(
Le Conseil consultatif Égalité femmes-hommes du G7 propose l’« égaconditionnalité », autrement dit, si une entreprise publique ne respecte pas l’égalité des sexes, elle ne reçoit pas d’argent public. Cette mesure fait-elle partie de votre projet de loi, préparée avec Bruno Le Maire, pour l’émancipation économique des femmes ? Cela fait partie des mesures que je juge efficaces pour que l’État soit exemplaire, notamment en appliquant la loi Sauvadet, qui prévoit des nominations de femmes aux postes de hauts fonctionnaires. Cette loi n’est pas assez appliquée. Le président de la République met une forte pression sur le gouvernement pour que chacun fasse des nominations paritaires, mais il reste des efforts à faire. L’égaconditionnalité est une mesure intéressante : c’est dire qu’une entreprise qui discrimine les femmes ne peut pas être un prestataire de l’État puisque cela va contre les valeurs de notre République. C’est à l’origine une mesure américaine, et nous travaillons avec les États-Unis sur le financement et la place des femmes dans l’entreprenariat.
Quelles sont les autres mesures phares que vous n’avez pas pu présenter à cause de la pandémie ?
D’abord, l’allongement du congé de paternité. Trois à quatre semaines seraient un minimum pour que le père ou le deuxième parent puisse s’engager et trouver sa place auprès du bébé. Par ailleurs, la loi Copé-Zimmermann a fait ses preuves : avec 42 % de femmes dans les conseils d’administration, la France est en tête. Je voudrais affirmer leur présence dans les conseils de direction, sachant que la femme qu’on ne trouve pas est la femme qu’on ne cherche pas. Nous travaillons aussi avec le Medef et l’Afep afin de doubler le nombre de petites et moyennes entreprises créées par des femmes d’ici la fin du quinquennat. J’ai créé un prix doté de 100 000 euros pour soutenir les entrepreneuses en lien avec les réseaux proféminins.
La revalorisation des métiers du « care » est au coeur des débats. Un budget y sera-t-il alloué ?
J’ai travaillé sur quinze propositions pour revaloriser les métiers féminisés. Mais leur reconnaissance passe avant tout par leur valorisation financière. Le président veut mettre fin à la précarité des personnels soignants et le Premier ministre a annoncé une vraie revalorisation salariale à l’ouverture du Ségur de la santé.
Comment avez-vous vécu votre confinement ? Cela vous a-t-il appris quelque chose ?
J’ai la chance d’avoir un toit, de pouvoir nourrir mes enfants. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour méditer parce que nous étions sur le pont 24 heures sur 24. Je dirais simplement qu’avec de la volonté, on peut faire énormément. Sur les violences conjugales, on s’est libéré de tous les processus habituels pour aller à l’efficacité. Citons par exemple l’Olympique de Marseille, qui a transformé son centre d’entraînement en centre d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales, en lien avec l’État et SOS Femmes. Un travail collectif à saluer. Résultat : il y a eu moins de féminicides pendant le confinement.
Des femmes ont apprécié d’être confinées au foyer. Est-ce compatible avec le fait d’être féministe ?
Je m’oppose à tous les brevets de féminisme. Il y a mille façons d’être féministe, surtout lors de ce confinement qui aurait pu nous apprendre à moins nous juger les unes les autres. J’adore cuisiner, m’occuper de mes enfants. Je ne me sens pas pour autant une moins bonne féministe, simplement je m’interroge : le fais-je parce que je me sens obligée de le faire ? Ou comme l’analyse Élisabeth Badinter dans L’amour en plus, est-ce une « volonté de puissance » de se réaliser dans les tâches ménagères et quel préjudice, alors, à l’engagement professionnel ? Ou juste parce que cela me procure du plaisir ? Ce sont les injonctions qui posent question. Il faut ouvrir le champ des possibles pour que chacune puisse faire ses choix. Il est utile de faire passer un message de tolérance et de compréhension. Ce n’est pas grave si, un jour, les enfants sont restés en pyjama, si un jour, on n’a pas fait les devoirs, et si on fait des pâtes tous les soirs.
1. Incarcérée à Téhéran, elle a été condamnée à trentehuit ans de prison et cent quarante-huit coups de fouet. 2. Accusée de blasphème en 2009, condamnée à mort en 2014, elle a pu quitter le Pakistan l’an dernier grâce à la mobilisation internationale.