BD : les filles à la conquête de l’Ouest
Longtemps le pré carré de héros virils, la bande dessinée western propose des premiers rôles aux héritières de Calamity Jane et autres amazones. Décryptage.
De Joan Crawford dans Johnny Guitare de Nicholas Ray à Hailee Steinfeld dans True grit des frères Coen, ou Sharon Stone dans Mort ou vif de Sam Raimi, les westerns au cinéma ont régulièrement offert de véritables premiers rôles à des femmes. En bande dessinée, où les récits de genre font florès depuis de nombreuses années, la femme est longtemps restée cantonnée à l’arrière-plan. Elle est la pépée de service, le faire-valoir du héros, sa compagne de route, celle que l’on enlève ou qu’on tue pour faire avancer l’intrigue. L’univers du western est « très cliché, très codé, très masculin », analyse Anne-Claire Jouvray, scénariste de la série jeunesse Six-coups. Mais depuis peu, les femmes y prennent le pouvoir. En 2018 et 2019, avec Mondo reverso 1),
( Dominique Bertail et Arnaud Le Gouëfflec inversaient les rôles, mettant en scène des hommes en robe gardant les mouflets et des femmes aventurières. Ce diptyque questionnait de manière frontale les stéréotypes de genre et inaugurait une tendance.
Un beau terrain de jeu pour les personnages féminins
Au premier semestre 2020, ce ne sont pas moins de cinq albums western ayant des femmes pour héroïnes qui ont paru. Une femme vengeant sa mère dans le volume 2 de La venin de
(2) Laurent Astier, des filles de toutes générations luttant contre un marchand d’armes dans Six-coups – Les marchands de plombs
( 3) de Jérôme et Anne-Claire Jouvray, une mère et sa fille qui règlent leurs comptes et braquent des banques dans le volume 2 de
Perdy de Kickliy, des amazones rebelles qui vivent en commu
(4) nauté dans Hippolyte de Clotilde Bruneau et Carole Chaland,
( 5) ou encore les débuts romancés de Calamity Jane dans Wild West de Jacques Lamontagne et Thierry Gloris. Cette année,
(6) pas de doute, la fille de l’Ouest gagne du terrain.
Même si ces héroïnes sont émancipées, les récits qui les portent ne s’affichent pas pour autant radicalement féministes. Souvent, elles sont « dans la reproduction des gestes et des modèles masculins », note Anne-Claire Jouvray. Mal embouchées, brutales, tirant au fusil, portées sur le sexe, elles sont encore des versions féminines des héros machos. Mais mettre des filles au coeur de l’action permet d’imaginer des intrigues différentes, de donner « une nouvelle dimension à un genre déjà beaucoup traité » pour Nadia Gibert, responsable éditoriale et éditrice de La venin chez Rue de Sèvres. Le western, « formidable terrain de jeu » pour créer des personnages féminins selon Anne-Claire Jouvray, est aussi l’endroit de tous les possibles pour les auteurs. Ces héroïnes affranchies attireront- elles un public féminin vers le genre ? Nadia Gibert est optimiste : « Il n’y a pas de raison, les femmes ont regardé Game of thrones autant que les hommes. Mais il faut faire un vrai travail pour montrer que dans la BD de genre, il n’y a pas que de la testostérone et qu’on peut trouver de beaux personnages féminins. »
1. Éd. Fluide Glacial, 16,90 €. 2. Éd. Rue de Sèvres, 15 €. 3. Éd. Dupuis, 10,95 €. 4. Éd. Dargaud, 19,99 €.
5. Éd. Vents d’Ouest, 19,95 €. 6. Éd. Dupuis, 14,50 €.