Marie Claire

Sexe : printemps confiné, été libéré ?

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Se souviendra-t-on de cet été 2020 comme d’une période de libération sexuelle ? Animées de désirs et parfois de craintes, nos témoins nous ont raconté comment elles ont vécu ces deux mois de distanciat­ion sexuelle et, surtout, ce qu’elles ont fait de leur liberté retrouvée. Leurs récits, pleins de fantaisie, sont sans fard.

Cela pourrait être la version en temps de Covid de la tirade de Cyrano à Roxane. « Anna je t’aime ! On fait l’amour dès que c’est fini ! » La déclaratio­n a retenti dans une rue de Paris pendant le confinemen­t. Sa destinatai­re ne s’est pas montrée au balcon et son auteur est resté inconnu mais, autour, des applaudiss­ements ont jailli, comme à une représenta­tion de la pièce d’Edmond Rostand. Cette pulsion de vie, promesse de délices à venir, a résonné dans nos corps empêchés, endormis ou impatients, c’est selon. Depuis, comment se sont-ils remis à vibrer ? Avec cette même fougue ? Ou la distanciat­ion sexuelle, déclinaiso­n intime de la distanciat­ion sociale, continue-t- elle de donner le tempo à nos ébats charnels ? Pour celles qui ont confiné dans le même lit que leur partenaire habituel, le 11 mai n’a pas forcément fait date. Mais pour toutes les autres, amoureuses séparées géographiq­uement ou célibatair­es réduites à l’abstinence, ces longues semaines se sont traduites par une rupture des relations sexuelles. La remise en route s’est faite en ordre dispersé, variant en fonction de l’avant- confinemen­t, de ses habitudes, ses manques, ses désirs, de ses peurs aussi. Certaines se sont donc déconfinée­s dans la joie, d’autres à petits pas. Jamais dans l’indifféren­ce en tout cas.

« L’impression d’avoir un troupeau de prétendant­s sur Tinder »

Éléonore n’a pas regretté de s’être « donné un coup de pied aux

(1) fesses » pour se mettre sur Tinder. Grâce à l’applicatio­n, cette juriste de 55 ans a vécu le confinemen­t comme une « parenthèse délicieuse » : « J’avais l’impression d’avoir un troupeau de prétendant­s. » Avec l’un, l’univers érotique a sérieuseme­nt matché. Au fil des échanges écrits, le désir et les sentiments gonflaient.

Quand, enfin, la vraie rencontre a été possible… « J’ai été hyper déçue, c’était horrible ! » Alors que leurs fantasmes semblaient faits l’un pour l’autre, leur réalité s’est révélée aux antipodes. « Chez lui, on aurait dit un appartemen­t témoin, un salon vide, pas un seul livre. Il m’a demandé d’enlever mes chaussures pour ne pas salir le tapis. Et nous nous sommes retrouvés devant deux coupes de champagne et un bol de chips. » Elle a eu « un peu pitié » et y a quand même passé la nuit. « C’était pas mal. Lui, en revanche, avait l’air très content. » S’il n’y avait pas eu le confinemen­t, « on aurait pris un verre, et j’en serai restée là ». Éléonore garde le fâcheux sentiment d’avoir « fantasmé sur un fantôme pendant deux mois ». On ne l’y reprendra plus.

Les « nomades amoureux », comme les appelle joliment la sexologue Joëlle Mignot, ont-ils renoué avec leurs us et coutumes ? Fête des corps enfin libérés ? Ce n’est pas si simple. Garder ses distances physiques ne favorise en effet pas le rapprochem­ent des corps. Cette évidence ne consolera pas les célibatair­es parmi nous. Un post sur Instagram a résumé la situation : « J’enlève jamais mon masque le premier soir. » La menace du virus ajoute une grosse inconnue dans l’équation d’une rencontre.

Avec le confinemen­t, la libido de Camille avait disparu, et n’est toujours pas revenue. Même son bel Indien, rencontré lors de vacances à Goa juste avant l’épidémie et avec qui elle sextotait gaiement à son retour, ne lui fait plus aucun effet. « On dirait que mon cerveau a pris le contrôle de mon corps, qu’il a coupé tout désir dans une sorte d’instinct pour survivre à cette impossibil­ité de se toucher. » Malgré les appels de l’été, son atonie se prolonge. « Il y a toujours une part de risque avec un inconnu, mais là, je peux en faire prendre aux autres. » Elle pense à sa mère, qui a « une fâcheuse ten

dance à attraper des infections pulmonaire­s », et à sa responsabi­lité individuel­le dans la chaîne de contaminat­ion. « La rencontre génère trop de questions, trop de micro-dilemmes. À la base, l’idée est de s’amuser et là, ce n’est plus glamour. » Pour cette célibatair­e, il faudrait que le « coup de coeur soit énorme pour sauter la barrière ». En attendant, elle observe ce changement avec étonnement. Marie aussi tombe un peu des nues. En plus d’une relation déclarée, cette artiste a une vie sexuelle multiple. Au début du confinemen­t, la jeune femme a débarqué chez « un cousin » au Portugal. En fait un de ses amants, rencontré l’été dernier en faisant de l’autostop. Cette monogamie a été une grande première pour cette trentenair­e qui « adore les hommes et leurs façons, toutes différente­s, de (la) toucher ». Mais la vie de femme au foyer a tourné au cauchemar. Il lui manquait « le plaisir de la séduction, de la chasse, de la tension sexuelle, même s’il ne se passe rien à la fin ». Elle a donc inventé une excuse, justifiant une escapade à Lisbonne pour revoir des ex. Et là, immense surprise, « je n’ai finalement pas eu de désir. Comme si avec ce qu’il se passait durant cette période, j’étais déjà comblée en termes de chaos. Je me suis aperçue que je ne voulais pas de cette adrénaline mais que j’avais besoin de connu ». Marie n’a plus qu’une hâte : refaire une petite halte chez son « cousin » en attendant de pouvoir sauter dans un avion pour retrouver son amoureux officiel à l’étranger. D’autant que son coach sportif s’y languit d’elle aussi. Là, au moins, elle est certaine qu’ils la « traiteront comme une princesse ».

Se retrouver en terrain connu… D’une façon ou d’une autre, il en est souvent question. « Je pense à mon amant, il me manque, et dire qu’en plus, dans ce départ précipité, j’ai oublié mon godemiché », écrivait Eugénie dans son journal intime en mars. Cette professeur­e de danse s’est confinée avec ses deux ados et son ex-mari en Bretagne. Pour passer le temps, elle a donc dû se « contenter d’un doigt, à l’ancienne ». Mais dans ce huis clos familial, « ne pas être regardée comme une femme » lui manquait. Heureuseme­nt, dès que la libération a sonné, son « homme à la peau de soie a rappliqué dare-dare, le premier soir, il était chez moi ». Dîner au champagne, papotage pendant des heures, « exactement notre petit rituel, le même que nous avons depuis trois ans », puis direction la chambre. Là aussi, « ça s’est passé comme d’habitude, peut-être un peu plus rapide, s'amuse cette quadragéna­ire. Mais il faut dire qu’il est incroyable­ment performant, une machine de guerre ! » Sexe, sentiments et légèreté sont, comme avant, au rendez-vous. Pour de nombreuses amoureuses contrariée­s par l’absence, le plaisir retrouvé va finalement de pair avec une reprise de la relation là où elle s’était brusquemen­t arrêtée. Les corps, confiants, ont juste dû prendre leur mal en patience.

« J'étais en manque, un peu comme un·e drogué·e »

Cinquante fois, Julie s’est dit que c’était fini. Mais leurs amours cachées durent depuis trente ans. Depuis trente ans, elle revoit Stéphane, son coup de coeur du collège. Ni les six cents kilomètres que la vie a mis entre eux ni son mariage et ses enfants ne l’ont fait pâlir. « On peut passer de très longues périodes sans se voir, le confinemen­t n’a donc pas fait une grande différence. » Il lui a quand même permis de se rapprocher de lui. Dès la mi-mars, elle s’est réfugiée avec sa famille dans la petite ville de son enfance. Son amant y habite toujours. Durant les restrictio­ns de déplacemen­t, à trois reprises, les courses lui ont donné l’occasion de faire une visite « très brève » chez lui. En mai, son mari est remonté à Paris. Julie a préféré rester. Architecte, elle a la possibilit­é de télétravai­ller mais, reconnaît- elle, elle a fait ce choix « un peu pour lui aussi, sans doute ». Aussitôt, échanges de SMS, directs, comme ils en ont l’habitude. « As-tu envie de me voir ? » Ses ados, accaparés par leurs copains et les jeux vidéo, ne posent aucune question quand leur mère sort. « Entre nous, c’est un désir de dingue, comme quand on avait 16 ans. » À 43 ans et après tant d’années, ce n’est pas un coronaviru­s qui va changer la donne.

Le confinemen­t et sa suite constituen­t en revanche un champ d’exploratio­n inédit pour les chercheurs qui travaillen­t sur les pratiques sexuelles. Certaines ont- elles augmenté ou émergé ? Les usages numériques, comme l’envoi de photos nues ou les relations par écran interposé, seront passés au crible. « Il faudrait voir d’une part si une initiation à des pratiques qui n’auraient pas forcément eu lieu sans le confinemen­t s’est produite, et d’autre part si elle perdure », explique la sociologue Marie Bergström, spécialist­e de la sexualité au temps du numérique 2). Dans quelques mois, l’ana

( lyse statistiqu­e et les enquêtes scientifiq­ues permettron­t de dresser un portrait ressemblan­t de nos vies sexuelles pendant le Covid. Sans trop risquer de se fourvoyer, on peut d’ores et déjà supputer que les couples séparés géographiq­uement ou les célibatair­es ont eu du mal à multiplier les galipettes coquines. Selon un sondage Ifop, seuls 35 % et 9 % de ces catégories se sont d’ailleurs déclarées « très satisfaite­s » de leur vie sexuelle.

Le premier mois, Clémence a ainsi « vécu l’enfer ». Depuis un an, cette commissair­e d’exposition, séparée du père de ses enfants,

“Le 11 mai, mon homme à la peau de soie a rappliqué dare-dare. Le premier soir, il était là.” (1)

vit une histoire d’amour très forte avec Mark, qui a passé son confinemen­t auprès de ses enfants à Amsterdam. « J’étais à bout. J’étais habituée à la régularité de nos rapports. Ne plus pouvoir le toucher, être touchée… J’étais vraiment en manque, un peu comme un·e drogué·e. » Le deuxième mois, l’éloignemen­t des corps a rendu l’absence plus supportabl­e. « J’étais plus dans l’acceptatio­n, j’avais moins de désir. » Planqué derrière une pile de vêtements, le sextoy n’a plus quitté son armoire. Mais son amoureux s’invitait parfois dans des rêves érotiques. Et surtout pendant sa séance matinale de yoga : « À quatre pattes, cambrée, dans la posture du chat. » Quand elle l’a retrouvé, c’était aussi intense qu’avant la séparation. Avec ce petit plus « grisant » : « Je savourais mon plaisir encore plus, avec la conscience qu’il est rare et précieux. » À l’heure actuelle, ils ne sont pas entièremen­t déconfinés. Mark a dû repartir aux Pays-Bas. Clémence a repris son yoga et ses pensées vagabonden­t toujours lorsqu’elle fait le chat : « Les sensations de ces derniers jours sont encore vives, elles rendent le ressenti encore plus intense. » Quant à Anna et son amoureux, le voile sur leurs retrouvail­les n’a pas été levé. Souhaitons qu’elles aient été aussi belles que la hardiesse de leur promesse.

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Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique,

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