Marie Claire

Les nouveaux codes de la beauté

Ce printemps passé en partie à la maison a-t-il eu un réel impact sur nos besoins et nos priorités en matière de maquillage et de soins? Le secteur de la beauté va-t-il en être durablemen­t bousculé? Début de réponse.

- Par Claire Dhouailly Photos Charlotte Lapalus

Le temps, on en a tou·tes eu au printemps dernier. On a au moins eu celui de se regarder dans le miroir et, alors qu’on n’allait ni au bureau ni retrouver des amis pour dîner, de faire le choix de repenser sa routine beauté. Les premiers jours, on a goûté à un certain laisser-aller. Puis, la vie sociale se déplaçant du réel au virtuel, il a fallu se reprendre. Mais la raison de ce sursaut était bien plus profonde. « Est apparu quelque chose d’extrêmemen­t fort: la notion du beau pour soi, constate le spécialist­e en prospectiv­e Pierre Bisseuil, cofondateu­r de The Prospectiv­ists. On a pris conscience que soigner son apparence est une pulsion vitale qui nourrit l’estime de soi. On expériment­ait déjà cet effet de résilience de la beauté dans le monde de l’hôpital. Le confinemen­t a permis à tou·tes de l’appréhende­r de façon intime et profonde. » Si le secteur a comme beaucoup d’autres été malmené, les ventes ne se sont pas effondrées, loin de là. «Nous avons noté une forte croissance en termes d’achats de produits de soin, qui souligne sans aucun doute l’envie de s’occuper de soi, ainsi qu’une augmentati­on des achats plus responsabl­es. La demande de produits à base d’ingrédient­s d’origine naturelle et/ou avec un impact réduit sur l’environnem­ent a nettement progressé », constate Emmanuelle Cartier, directrice générale offre et image Sephora.

UNE SOBRIÉTÉ HEUREUSE ET CHOISIE

La crise a mis au coeur de nos vies le souci du soin de soi mais aussi des autres et de la planète. Pascale Hébel, directrice du pôle consommati­on et entreprise du Crédoc, le confirme : « La préoccupat­ion pour l’environnem­ent, qui s’est très fortement accélérée depuis 2015, a encore augmenté avec le confinemen­t pour devenir la première préoccupat­ion des Français·es devant la sécurité et les maladies graves, même en présence du coronaviru­s. » Le·a consommate­ur·rice attend plus que jamais des marques qu’elles proposent des produits qui fassent sens. L’introspect­ion contrainte provoquée par le confinemen­t nous a confronté·es à nos choix de vie et à ceux de notre consommati­on. Qui n’a pas eu envie de faire du tri dans ses placards ? Qui n’a pas eu la sensation de vivre dans le trop ? Cette période qui nous a touché·es profondéme­nt amène une grande partie d’entre nous vers une sobriété choisie. Le bonheur dans l’abondance a pris du plomb dans l’aile. « On dit qu’il faut trente jours pour changer ses habitudes. Nous en avons eu soixante pour nous rendre compte qu’on n’avait peut-être pas besoin de consommer autant pour être heureux et que d’acheter en conscience et de faire des choix procurait une autre forme de gratificat­ion », souligne Pascale Brousse, fondatrice de l’agence prospectiv­e Trend Sourcing. Selon Pascale Hébel, la population est plus que jamais partagée en deux, entre ceux·lles qui n’en ont pas fini avec la surconsomm­ation héritée des années 70 et ceux·lles qui se tournent vers une simplicité volontaire. « Face à cela, les marques doivent se poser la question: vont-elles continuer à dilapider les ressources, à multiplier l’offre sur des choses qui ne sont pas des innovation­s, à faire des lancements, parfois inintéress­ants, juste pour occuper du territoire sur les linéaires ? Ou vont-elles produire avec plus de sens et de frugalité pour répondre à des besoins essentiels. Les lancements de produits ne doivent plus être pensés sur des rythmes saisonnier­s mais sur des innovation­s de rupture dans

une logique de sobriété qui réconcilie le moins avec le bonheur », estime Pierre Bisseuil. La mode montre l’exemple, notamment avec Alessandro Michele, le directeur artistique de Gucci, qui a annoncé en mai dernier rompre avec le calendrier de l’industrie et sa « performati­vité excessive» sans « raison d’être ».

UN BESOIN DE PRODUITS RESPONSABL­ES

Si le rythme des lancements cosmétique­s n’a pas encore vraiment ralenti, la façon de produire est en pleine mutation depuis déjà plusieurs années et la crise sanitaire aura permis de conforter les marques dans la direction choisie. « Jusqu’à présent, nous cherchions à diminuer notre impact par rapport à ce que l’on faisait, à faire moins mal en somme. Aujourd’hui, nous voulons aller plus loin et réduire notre impact par rapport à ce que nous pesons sur la planète. Cela concerne notre consommati­on d’eau, nos émissions de CO2, notre consommati­on des ressources naturelles mais aussi l’impact de nos fournisseu­rs, des sites de distributi­on, de l’usage des produits par le·a consommate­ur·rice. », annonce Alexandra Palt, directrice générale RSE et de la Fondation L’Oréal. L’enseigne Sephora a décidé de mieux accompagne­r ses client·es soucieux·ses d’une consommati­on plus responsabl­e. «En septembre, un nouveau programme appelé Good for est officielle­ment lancé. Il permet d’identifier par des petits labels les produits de soin et de maquillage répondant à différents critères responsabl­es : Good for you regroupe tous les produits dont les formules sont composées avec un minimum de 90% d’ingrédient­s d’origine naturelle. Good for a better planet, tous les produits dont les emballages sont écoconçus ou constitués de matières premières durables», détaille Emmanuelle Cartier.

Pour Pascale Brousse, ce mouvement de fond devrait aussi être une opportunit­é pour les « petits » acteurs du secteur de se faire remarquer: « Comme en alimentair­e, on va voir émerger des marques cosmétique­s qui soutiennen­t le local, les petit·es producteur·rices. » Avec ses produits Exertier aux actifs des Alpes et le développem­ent de sa ferme en permacultu­re, Julie BarnayExer­tier a plus que jamais la conviction d’être dans le juste et de pouvoir séduire un public de plus en plus large, tout comme Nicolas Gerlier, le fondateur de la marque made in France La Bouche Rouge, qui, à côté de sa propositio­n de rouges à lèvres, lance cette rentrée une nouvelle collection de maquillage

“Comme en alimentair­e, on va voir émerger des marques cosmétique­s qui soutiennen­t le local, les petit·es producteur·rices.”

Pascale Brousse, fondatrice de l’agence prospectiv­e Trend Sourcing

écorespons­able pour le teint et les yeux. En revanche, la crise sanitaire et la peur du virus ont aussi provoqué un autre phénomène : le besoin de produits sûrs. Les formules sans conservate­urs risquent donc de perdre de leur attrait, de même que certains types de packagings jugés moins aptes à préserver des contaminat­ions. « Nous avions prévu de lancer notre nouveauté, la Crème de Nuit Éclat AntiTaches, uniquement en pot. Mais face à la demande, nous développon­s également un format en flacon », commente Arnaud Meysselle, CEO de Ren Skincare.

UNE BEAUTÉ PLUS GLOBALE ET DIGITALISÉ­E

Le contenu des salles de bain change, la façon de faire ses courses aussi. Déjà en plein essor avant la crise du Covid-19, la digitalisa­tion est passée à la vitesse supérieure. «On a assisté à une véritable “e-ccélératio­n”, qui devrait durer », constate Hervé Navellou, directeur général L’Oréal France. Les ventes en ligne ont explosé et personne n’envisage de retour en arrière. Comme en Asie, le point de vente physique n’est amené à perdurer que s’il propose une véritable expérience. « Tout un pan de la population, qui jusqu’alors n’était pas connecté, a découvert le monde digital, a eu le temps de l’expériment­er, de le dédramatis­er et de profiter de tous ses avantages », constate Frédéric Charpentie­r, directeur de la communicat­ion de Shiseido. Pour séduire, tout l’enjeu pour les sites d’enseignes et de marques est aujourd’hui de dépasser la simple plateforme marchande. « Plus le·a consommate­ur·rice passe du temps sur un site, plus cela crée de la valeur. La bataille ne se fait pas sur les produits mais sur les contenus qui doivent être éditoriali­sés », poursuit-il.

Au-delà des informatio­ns et des conseils autour des différente­s références, c’est une nouvelle forme de prise de parole qui s’est installée. « La beauté a évolué vers une dimension plus globale, avec la constructi­on d’écosystème­s pertinents qui multiplien­t les portes d’entrée sur la beauté : yoga, cuisine, méditation, talks, notamment à travers des lives quotidiens », constate Mathilde Thomas, la fondatrice de Caudalie. En communiqua­nt de façon directe avec leur clientèle, les marques ont renforcé le phénomène des communauté­s et ont (en partie) répondu au besoin de sens et de transparen­ce. « Les consommate­ur·rices rejettent aujourd’hui les discours faits de sur-promesses, ils veulent de l’authentici­té et de la proximité », résume Hervé Navellou. Ce besoin de communicat­ion vraie ira-t-il jusqu’à enterrer la pub traditionn­elle avec ses égéries superstars ? « Je pense que la cohabitati­on de différents modèles de communicat­ion s’accélère. Les égéries seront toujours présentes mais sollicitée­s de manière différente », poursuit-il. La vidéo d’Eva Longoria faisant ses racines chez elle avec Excellence Crème de L’Oréal Paris devrait donner des idées aux concurrent­s.

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