Marie Claire

« Le dahlia est une diva »

- Par Masami Charlotte Lavault Photo Fred Lahache

«LES FLEURS NE PRENNENT PAS DE VACANCES. Le mois d’août signe leur apogée tout en annonçant le début de leur fin. Quand arrive le printemps, qu’on imagine volontiers saison la plus prodigue, je reçois une foule de demandes pour des fleurs qui n’existent pas encore. Patience, le champ est encore vert, elles arrivent – c’est ce que je réponds à chacune de ces requêtes, et c’est un mantra que je me répète, car l’inquiétude de ne pas les voir éclore assez vite est vissée en moi. La fleur qu’on laisse grandir tranquille­ment, en plein air, dont on ne cherche pas à décaler le rythme naturel, qu’on n’essaie pas de “forcer” à la lumière et à la chaleur artificiel­les, nous arrive en juillet et en août. La palette de verts s’enrichit alors des autres couleurs du spectre. Parmi les centaines d’espèces que je cultive à la ferme, le dahlia arbore une des plus grandes diversités de coloris. Le temps du dahlia correspond à un moment précis : il apparaît dès juin mais chez moi, son heure de gloire sonne à la fin d’août – je les plante un peu plus tard pour qu’ils m’accompagne­nt jusqu’en fin de saison. Je leur accorde une attention particuliè­re: ces êtres sensibles sont particuliè­rement vulnérable­s à une maladie, l’oïdium, qui se manifeste par un voile blanc à la surface des feuilles. C’est dès le printemps qu’il faut la prévenir, en douceur mais sans relâche. J’utilise pour cela des bactéries, des micro-organismes cultivés selon une méthode apprise au Japon. Le dahlia est marqué par un héritage colonial violent. On a importé des plantes dont on a changé les noms, en les occidental­isant au mépris de leurs origines. Originaire des hauts plateaux du Mexique, cultivé par les Aztèques, il a été importé en Europe par des botanistes missionnai­res qui espéraient l’acclimater en Europe pour consommer son tubercule comme une pomme de terre. Étonnammen­t, si sa fleur est imposante – jusqu’à 20 cm de diamètre – sa tige est creuse, à la manière d’une paille. D’apparence robuste, cette belle plante ne reste fière qu’avec beaucoup d’eau. En pleine chaleur, le dahlia tourne de l’oeil, c’est une diva qui aime être au centre de l’attention, il lui faut son verre d’eau pour se remettre de ses émotions. C’est un joli point de départ pour une conversati­on avec votre fleuriste : il y a de fortes chances que ses dahlias aient été cultivés en France, ou pas trop loin. En posant la question de la provenance, pour chaque fleur que nous achetons, on peut faire doucement basculer, tige par tige, cet héritage impérialis­te qui régit aujourd’hui encore l’industrie mondialisé­e de la fleur coupée – alimentée d’imports de pays lointains, de chimie à outrance et de destins humains brisés. »

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