Marie Claire

Féministe ta mère

Chaque mois, la journalist­e Giulia Foïs (1) s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #MeToo. Et, parfois, au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué par ailleurs.

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« Elle a commencé par “On est d’accord”. Toujours se méfier d’une phrase qui commence par “On est d’accord” : en général, on ne l’est clairement pas à l’arrivée. Surtout quand l’arrivée ressemble à: “Il y a aussi beaucoup de femmes castratric­es.” C’est ce qu’elle m’a dit en débouchant la bouteille de ce petit blanc qu’on aime bien. Et c’est le moment où j’ai eu envie de la lui faire avaler par le goulot. Elle, c’est ma mère. Comme une bonne partie d’entre nous, je l’aime. À peu près dans les mêmes proportion­s, on est assez nombreuses à avoir régulièrem­ent envie de leur faire avaler des bouteilles (ou tout autre chose) par le goulot (ou ailleurs) – et elles nous rendraient bien la pareille. Or, comme dans toutes les familles, avec #MeToo, discuter des rapports femmes-hommes est devenu un passage obligé de l’apéro – et depuis, on se fait nettement moins chier. La seule chose à peu près surprenant­e dans la mienne, c’est qu’en 68, ma mère balançait des pavés pendant que mon père changeait les couches de mon frère. Qu’elle a ensuite bossé au planning familial et qu’elle est psy. Ce qui peut vouloir dire : engagée, ouverte, instruite. En tout cas apte à dire “castratric­e” plutôt que “pète-couilles”. De même, elle dirait plutôt “séductrice” qu’“allumeuse”. “Érotomane” et pas “folle du cul”. Sauf que ça ne change pas grandchose: quel que soit le registre, rien n’expliquera, ne motivera, n’excusera encore moins le harcèlemen­t, le viol, les coups. Les plus grandes castratric­es de l’histoire de la castration ne castreront jamais assez pour occulter cette réalité : les violences sexuelles et conjugales sont des violences de genre. Point. Et même masculines, n’en déplaise à ma mère – et à d’autres. Dans ce monde qui est le nôtre aujourd’hui, les agresseurs sont, à une écrasante majorité, des hommes (2). Et c’est quand même très rigolo (ou pas) qu’on se refuse à l’admettre alors que dans cette langue, qui est aussi la nôtre aujourd’hui, il suffit d’un seul élément masculin pour qu’il l’emporte sur le féminin. Il nous faudra bien l’accepter si on veut, un jour, s’y attaquer. Voire, demain, les faire disparaîtr­e. (Non, Mam’, pas les couilles, les violences.) “Un problème bien posé est à moitié résolu”, disait l’ami Bergson. Reconnaîtr­e leur caractère sexué, c’est un bon début pour comprendre leur fonctionne­ment à échelle systémique. C’est nécessaire, et c’est urgent. Et je suis sûre qu’on est d’accord là-dessus.»

1. Auteure de Je suis une sur deux, éd. Flammarion.

2. 98 %, d’après le ministère de l’Intérieur.

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