Marie Claire

Les sociétés secrètes

- Par Vincent Cocquebert

OÙ EST-CE QUE ÇA SE PASSE?

Un peu partout : les sociétés secrètes essaiment sur les scénarios de séries. Sous la forme, par exemple, d’un groupe de suprémacis­tes blancs masqués dans l’adaptation série de Watchmen, par Damon Lindelof (Lost, The leftovers). Mais aussi en version élites démocrates, en guerre contre les rednecks nourris aux fake news, dans le film The Hunt, scénarisé par le même Lindelof. Ou bien encore en traqueurs de nazis menés par Al Pacino dans la série Hunters, ou façon mystico-sectaire dans la série néerlandai­se Ares, sur Netflix. On retrouve même ce thème de la société secrète dans des fictions « young adult » à l’image de la série de Netflix, The order (dont la seconde saison est arrivée fin juin sur la plateforme) ou du récent long métrage fantaisy de Disney+, Société secrète de la royauté.

QU’EST-CE QUE ÇA CACHE?

Que nous vivons des temps plus que troublés. De fait, en France, Forces occultes, l’un des premiers films à avoir mis en scène, en 1943, ce type d’organisati­on, était une oeuvre de propagande antisémite et anti-franc-maçonnerie. « Les sociétés secrètes que l’on voit dans ces fictions sont les miroirs des peurs de l’époque, un biais de confirmati­on sur lequel on va plaquer les angoisses qui nous traversent pour leur donner du sens afin de nous rassurer», analyse le sociologue de l’imaginaire Stéphane Hugon. Dans une Amérique traumatisé­e par les meurtres perpétrés par Charles Manson, les années 70 ont été marquées par la présence, dans la fiction, de sociétés secrètes du type secte satanique ou néo-paganiste (The wicker man, Le malin de John Huston, etc.). Et dans une société comme la nôtre, hantée par les questions de racisme, les inégalités économique­s et sociales et le péril environnem­ental en cours, ce sont logiquemen­t ces angoisses qui font écho à ces groupes de l’ombre. «Cet imaginaire entre en résonance avec celui des complots actuels qui mettraient en scène des groupes financiers et industriel­s assimilés à des sociétés secrètes », analyse le sociologue Pierre Lagrange*. Mais, à l’heure où nous n’avons jamais autant plaqué nos affects sur les fictions, les frontières entre réalité et imaginaire semblent de plus en plus poreuses. Au point d’entretenir paradoxale­ment, via ces oeuvres cathartiqu­es, un conspirati­onnisme bien réel ? «Il est désormais courant de voir des acteurs politiques majeurs reprendre l’idée qu’il existerait des officines qui agiraient dans l’ombre au sein même de gouverneme­nts ou d’administra­tions », s’inquiète-t-il. Manière de dire qu’en matière de complots et de sociétés secrètes, il serait peut-être temps d’arrêter de se faire des films.

(*) Chercheur associé au Lier/Ehess.

 ??  ?? 1. The order saisons 1 et 2, sur Netflix.
2. Watchmen saison 1, sur OCS.
3. Ares saison 1, sur Netflix.
1. The order saisons 1 et 2, sur Netflix. 2. Watchmen saison 1, sur OCS. 3. Ares saison 1, sur Netflix.
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