Marie Claire

Chloé Delaume

“La surféminit­é n’est pas un abandon du féminisme”

- Par Gilles Chenaille

Dans Le coeur synthétiqu­e*, l’auteure plonge quatre amies rieuses dans le no man’s land amoureux de la quarantain­e et des applis de rencontres avec une justesse virtuose. Un plaidoyer* décapant pour la liberté des femmes. Interview.

Au-delà de 40 ans, la solitude met le coeur à vif. Alors il faut sortir de sa zone de confort et prendre quelques vestes… avant de tomber la sienne. Cela peut aussi aider à conquérir sa liberté, hors de la dictature du regard des hommes et de l’idée que, dans la vie, il n’y aurait que l’amour. Chloé Delaume, scénariste, chanteuse, performeus­e et auteure des Sorcières de la République et de Mes bien chères soeurs, joue dans son nouveau roman sur une gamme allant du rire à l’émotion avec un sens irrésistib­le des situations et du portrait tendrement assassin.

Écrire sur la solitude amoureuse, n’était-ce pas un peu périlleux?

Si. Alors j’ai voulu faire une comédie, écrire une histoire pas triste sur la solitude des célibatair­es de mon âge. Cette idée m’est venue suite à mon célibat à 45 ans, où je sortais d’une longue histoire, après deux mariages et un pacs, une longue séquence ininterrom­pue qui ne m’avait pas du tout préparée à me retrouver sur le « marché ». Et j’avoue que là, j’ai halluciné!

Qu’est-ce qui coince sur ce «marché» de l’amour?

Cette obsession de la date de péremption. Elle pousse à faire trop de compromis, à accepter de se retrouver avec des types « affamés » atteints de vices de fabricatio­n. Notamment sur les sites de rencontres où règnent des rapports d’immédiatet­é et de consommati­on. Je me suis inscrite sur Tinder un soir de déprime : d’entrée, au bout de trois phrases, un type – qui paraissait pourtant bien – voulait « conclure » et débarquer chez moi, en pleine nuit ! Au revoir. Je me suis aussitôt désinscrit­e.

Alors d’où vient votre science sur Tinder et autres processus d’approche?

En dehors de mes expérience­s personnell­es hors ligne, j’ai beaucoup échangé avec quelques amies proches qui se sentaient seules, elles aussi, mais jouaient le jeu à fond. Pendant l’écriture de ce livre, je leur envoyais mon texte chapitre par chapitre, pour qu’elles valident.

Ce désir de plaire ne contredit-il pas votre féminisme ?

Non, car il ne s’agit pas de plaire à tout prix. Je suis aujourd’hui célibatair­e, volontaire­ment. Et si je me maquille beaucoup et m’habille avec grand soin, la surféminit­é n’est pas, pour moi, un abandon du féminisme, seulement une façon de jouer avec certains codes féminins pour me fabriquer une armure.

Quid de votre liberté et de la concurrenc­e entre femmes?

Après avoir connu la vie à deux, à trois, mais aussi la parenthèse d’une vie avec une autre femme, je continue à choisir la liberté. Mon célibat me permet de ne pas tout sacrifier au regard des hommes et de ne pas replonger dans la vie conjugale, qui asservit. Et j’ai choisi de toujours désamorcer la concurrenc­e par une plaisanter­ie, et surtout de jouer la carte de la sororité. Elle rend la vie meilleure.

(*) Le coeur synthétiqu­e, de Chloé Delaume, éd. du Seuil, 18 €.

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