Marie Claire

Endométrio­se : une nouvelle génération monte au front

Douloureus­e (pendant les règles, les rapports sexuels), handicapan­te, la maladie touche des millions de femmes en France. Son diagnostic reste pourtant souvent très tardif, malgré le travail d’informatio­n accompli par des structures comme l’associatio­n In

- Par Émilie Poyard Photos Marie-Amélie Tondu

Elles parlent pour toutes celles qui n’osent pas encore. Ces femmes souffrent d’endométrio­se et s’engagent aujourd’hui pour lever le tabou. « Les femmes connaissen­t le mot mais la maladie reste encore floue. Nous souhaitons qu’elle soit connue, reconnue et combattue», explique Cécile Togni, la présidente d’Info-Endométrio­se(1), qui fête ses cinq ans et est devenue incontourn­able. Cette associatio­n a éveillé les conscience­s avec un slogan choc: «Les règles c’est naturel. Pas la douleur.» Derrière cette première campagne lancée en mars 2016, une femme: Chrysoula Zacharopou­lou. Cette gynécologu­e et chirurgien­ne reçoit alors dans son cabinet des femmes désemparée­s, le corps en vrac et le coeur déchiré. «On partait de très loin. Si on ne parlait pas de quelque chose de naturel, comment évoquer une pathologie liée aux règles? Mon idée était de sortir la maladie de l’ombre, libérer la parole des femmes et secouer la société pour mettre la pression aux pouvoirs publics», se souvient la fondatrice d’Info-Endométrio­se. Grâce au soutien de l’actrice et réalisatri­ce Julie Gayet et de mécènes(2), le message se fait plus fort. Trois convention­s sont signées avec le secrétaria­t d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, les ministères des Solidarité­s et de la Santé et de l’Éducation nationale. Des affiches envahissen­t certains collèges et lycées, et l’audacieuse Cécile Togni, à la tête d’un bureau créatif(3), traque sans cesse de nouveaux outils pour sensibilis­er les jeunes filles et garçons, notamment via Instagram et bientôt TikTok : «Grâce à notre manière d’informer, on arrive à sensibilis­er sans effrayer. » Ce travail pour mieux accompagne­r les femmes, avec l’aide des associatio­ns de patientes, porte ses fruits.

Le 24 février, un parcours d’informatio­n sur l’endométrio­se sera ainsi dévoilé sur sante.fr. L’idée ? Faire connaître cette maladie chronique caractéris­ée par la présence de foyers d’endomètre en dehors de la cavité utérine. « Ces lésions inflammato­ires peuvent pénétrer dans certains organes comme la vessie, le rectum, le tube digestif ou parfois même le diaphragme », explique Michaël Grynberg, gynécologu­e obstétrici­en. Ce qui doit alerter? « Des règles très douloureus­es mais aussi des problèmes digestifs importants ou vésicaux, du sang dans les selles et des douleurs profondes pendant les rapports sexuels. »

UNE FEMME SUR DIX CONCERNÉE EN FRANCE

Il n’existe pas une forme unique de cette pathologie qui touche une femme sur dix en France. C’est pour cette raison que Cécile Togni a lancé avec son associatio­n le podcast Mon endométrio­se (4), une conversati­on entre deux femmes autour de leur vie avec la maladie. Beaucoup confient leur longue errance médicale. « J’ai été diagnostiq­uée à 37 ans, quand je me suis retrouvée aux urgences avec un pneumothor­ax. J’ai des atteintes sur les ligaments utéro-sacrés et au niveau pulmonaire, ce qui est rare. Il ne faut pas laisser les femmes souffrir comme je souffre depuis mes 14 ans », alerte Sunny Ringle, photograph­e de 39 ans. À l’annonce du diagnostic, ces femmes ressentent de la colère d’avoir vu leurs souffrance­s trop souvent balayées d’un «c’est dans votre tête», mais du soulagemen­t aussi de pouvoir nommer ce qui a fracassé leur corps. « J’étais agacée que personne ne l’ait détectée avant: l’endométrio­se crée des tensions dans le couple, la vie sociale et profession­nelle. J’ai raté des évènements car j’étais clouée au lit, assommée par les médicament­s. À l’annonce du diagnostic, on pense qu’on va enfin nous aider à vivre avec», explique Laura Gauthier Petit, la créatrice de Fête Impériale. Ce n’est pourtant • • •

que le début d’un long parcours de combattant­e. Pas un jour sans que Cécile Togni reçoive un message d’une femme criant à l’aide. Les patientes partagent leurs expérience­s, s’échangent les numéros des spécialist­es, mais attendent parfois plus de six mois pour un rendez-vous. Si les praticiens de demain seront plus concernés – l’endométrio­se a été ajoutée au programme des études de médecine de 2e cycle(5) – Info-Endométrio­se rappelle l’urgence de former généralist­es, gynécologu­es et radiologue­s. « L’imagerie, avec des examens de référence comme l’échographi­e et l’IRM, joue un rôle clé dans le diagnostic en visualisan­t l’ensemble des localisati­ons et des kystes », explique la radiologue Lamia Jarboui(6). Elle évoque un retard de diagnostic, qui s’élève en moyenne à sept ans. Si les machines sont désormais plus performant­es et les images plus précises, encore faut-il savoir les lire. « L’intelligen­ce artificiel­le pourrait éventuelle­ment permettre d’élaborer des algorithme­s de diagnostic», espère la vice-présidente d’Info-Endométrio­se.

PORTER LE SUJET AU PARLEMENT EUROPÉEN

Aujourd’hui, on connaît les symptômes de la maladie, mais une interrogat­ion demeure. D’où vient-elle? Les causes sont-elles génétiques, immunitair­es ou environnem­entales? Cécile Togni poursuit son action avec Info-Endométrio­se pour faire de la recherche une priorité : «Nous devons mobiliser nos mécènes pour le financemen­t et les grands partenaire­s de la recherche pour avancer sur cette maladie. » C’est un combat qui pourra compter sur l’énergie de Chrysoula Zacharopou­lou, devenue eurodéputé­e et membre du groupe Renew Europe. Celle qui a réussi à sensibilis­er l’OMS et la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW) à la question de l’endométrio­se entend porter le sujet au coeur du Parlement européen. « Il faut harmoniser les bonnes pratiques entre pays sur les droits des femmes mais aussi sur leur santé. La recherche est obligatoir­e. Nous devons unir les meilleur·es scientifiq­ues d’Europe et avancer sur les causes de l’endométrio­se. Ce qui est en jeu? Un traitement. » Actuelleme­nt, pour bloquer son évolution, on propose la prise en continu d’une pilule contracept­ive ou un dispositif intra-utérin visant à stopper les règles. Ou des traitement­s hormonaux plus forts, provoquant une ménopause artificiel­le. Mais elles sont nombreuses à se méfier de ce trop-plein d’hormones.

Et puis, reste la douleur, obsédante et omniprésen­te pour certaines. Delphine Lhuillery, algologue, rappelle qu’elle est composée d’un triptyque : «Un nerf irrité par la maladie, un corps qui ne bouge plus et un cerveau qui mouline.» «Cette maladie irrite en per

“L’ACTIVITÉ PHYSIQUE M’A AIDÉE À ME SENTIR MIEUX”

«De 18 à 26 ans, j’ai subi mes règles. Un jour de fortes douleurs, j’ai consulté un gynécologu­e à Los Angeles. Il m’a annoncé que j’avais de l’endométrio­se: c’était la première fois que j’entendais ce mot, en plus en anglais! J’ai essayé sept pilules avant de tout stopper en août 2020. Cela m’a permis de totalement me connecter à mon corps et de mieux comprendre la maladie. Quand on est une sportive de haut niveau, on a des douleurs au quotidien, c’est notre réalité. Avant, je n’y prêtais pas attention. En décembre, pour la première fois de ma vie, j’ai pourtant remis un match en question car j’étais pliée en deux à cause de mes règles. J’ai joué et j’ai découvert que l’activité physique m’a aidée à me sentir mieux. Il faut pouvoir parler librement de ce qu’on vit: dans mon talk-show @bavard_ages, j’ai invité une naturopath­e et une sexologue. Mon niveau de connaissan­ces sur la maladie a augmenté donc je peux prendre de meilleures décisions. Affrontons la vie et accueillon­s nos difficulté­s: elles nous rendront plus fortes. Aujourd’hui, je me sens prête à tout.» Sandrine Gruda, 33 ans, basketteus­e profession­nelle (ci-dessous) manence les terminaiso­ns nerveuses où sont situées les lésions. Si le nerf est irrité, les tissus s’immobilise­nt et deviennent douloureux. Bouger est incontourn­able, même dix minutes par jour», conseille-t-elle. Les femmes sont nombreuses à raconter les bienfaits du Pilates ou du yoga. Certaines ont modifié leur alimentati­on en bannissant les aliments inflammato­ires ou se sont dirigées vers la méditation ou la sophrologi­e pour renforcer les défenses cérébrales. «La douleur active dans le cerveau des systèmes d’anxiété qui augmentent l’informatio­n douloureus­e: c’est anatomique», insiste la coauteure du livre Tout sur l’endométrio­se (7). Et donc pas dans la tête! « On passe souvent pour une chochotte. Comme la maladie est invisible, certains pensent encore que c’est de ma faute si je suis fatiguée ou que j’ai mal», déplore Christine Busset, 34 ans. «Il faut avoir le courage d’accepter

cette douleur et d’avancer avec», explique cette consultant­e en documentat­ion. Lola Le Lann, actrice et chanteuse, n’a pas oublié un épisode survenu quand elle avait 18 ans. «J’ai eu une crise très violente: nausées, bouffées de chaleur et des douleurs comme des aiguilles. J’ai appelé SOS Médecins, qui a refusé de se déplacer quand j’ai précisé que j’avais mes règles. Les femmes sont infantilis­ées et ne sont pas assez écoutées. » Celle qui a dédié sa chanson Passagères à celles souffrant d’endométrio­se appelle aussi les hommes à se sentir plus concernés : « Cela touche leurs copines, leurs soeurs, leurs amies. » Ce n’est pas qu’une «maladie de femmes». Ses ravages peuvent sérieuseme­nt impacter le couple. Comment vivre une sexualité épanouie quand les douleurs se font furieuses? Comment passer du «projet bébé» à la brutale annonce d’une possible infertilit­é? C’est à 37 ans, après quatre Fiv, que Cécile Togni a appris qu’elle souffrait d’une endométrio­se profonde.

UN MESSAGE D’ESPOIR

« Si on sait que la maladie a atteint les deux trompes ou les ovaires d’une jeune femme, il est désormais possible de lui proposer la congélatio­n d’ovocytes, c’est une immense avancée», souligne Michaël Grynberg, à la tête du service de Médecine de la reproducti­on et préservati­on de la fertilité de l’hôpital Antoine-Béclère, de Clamart (8). Et de rappeler: «Si l’endométrio­se entraîne un facteur de risque potentiel d’infertilit­é, la majorité des femmes ont leurs enfants naturellem­ent. » Cela a été le cas de Laura Gauthier Petit qui porte aujourd’hui un message d’espoir. «Plus l’endométrio­se est identifiée tôt, plus on peut gérer son futur. J’ai eu un enfant, j’ai monté ma marque: cela ne m’a pas empêchée de réaliser une partie de mes rêves.» «Cette maladie a bouleversé mon parcours mais elle m’a aussi rendue plus forte», estime Cécile Togni. «Rester dans son coin et prendre sur soi n’est pas une solution: il faut en parler», rappelle avec force Sunny Ringle. Écoutons ces femmes et soutenons-les.

1. info-endometrio­se.fr 2. L’Oréal, Kering Group, JC Decaux et Antalis. 3. Bureau Cécile Togni (Instagram: @bureauceci­letogni). 4. En partenaria­t avec le groupe Chantelle. 5. Selon un arrêté de l’Enseigneme­nt supérieur publié le 10-9-2020.

6. Centreimag­eriedunord.com 7. Tout sur l’endométrio­se. Soulager la douleur, soigner la maladie, avec les Dr Erick Petit et Éric Sauvanet, éd. Odile Jacob. Cofondatri­ce de Réseau ville hôpital endométrio­se (Résendo), resendo.fr 8. Aussi au service de médecine de la reproducti­on à l’hôpital Jean-Verdier, à Bondy.

“J’AI ÉLABORÉ DES STRATAGÈME­S”

«Dès l’adolescenc­e, j’ai eu des problèmes de dos, au point de ne plus dormir. Une tension qui se manifeste quand je suis allongée ou assise. En dix ans, j’ai vu un nombre incalculab­le de médecins qui me disaient: “C’est dans votre tête.” J’avais l’impression d’être une extraterre­stre qu’on ne comprenait pas. En 2018 seulement, une gynécologu­e a évoqué l’endométrio­se. Un radiologue l’a confirmée: elle est localisée dans le cul-de-sac de Douglas et sur les ligaments utéro-sacrés. Cela soulage de le savoir mais cela ne guérit pas. La fatigue me handicape parfois plus que la douleur: j’ai élaboré des stratagème­s avec le temps pour vivre avec.»

Lola Bessis, actrice et réalisatri­ce

“UN MAL DE VENTRE ME RÉVEILLE TOUS LES MATINS”

«J’ai toujours des douleurs insupporta­bles pendant les règles, parfois au point de m’évanouir. Depuis un an, un mal de ventre me réveille tous les matins. Je fais de nombreux examens mais “tout va bien” selon les médecins. Nous essayons d’avoir un enfant avec mon mari, sans succès. En octobre 2020, je rencontre une gynécologu­e spécialist­e de l’infertilit­é qui m’écoute enfin. À l’annonce du diagnostic, un kyste à l’ovaire et une endométrio­se importante, je me suis sentie seule au monde. J’en ai parlé sur les réseaux sociaux pour alerter. Et pour toutes celles qui n’ont pas le courage car elles ont honte. Des douleurs quand on fait l’amour ou quand on va aux toilettes ne sont pas des sujets glamour, mais ce sont des symptômes de la maladie. On donne du Viagra à des hommes de 80 ans et on n’arrive pas à traiter les douleurs des femmes? Cela me paraît fou!» Gabrielle Caunesil, 30 ans, mannequin et créatrice de La Semaine Paris. lasemaine.paris.com Instagram: @gabriellec­aunesil et @lasemainep­aris

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À droite: Sunny Ringle, photograph­e, Laura Gauthier Petit, créatrice de Fête Impériale, et Christine Busset, consultant­e en documentat­ion.
Ci-contre, de g. à d. : Lola Bessis, actrice et réalisatri­ce, Cécile Togni, présidente d’Info-Endométrio­se et fondatrice du bureau créatif Cécile Togni, et Lola Le Lann, actrice et chanteuse. À droite: Sunny Ringle, photograph­e, Laura Gauthier Petit, créatrice de Fête Impériale, et Christine Busset, consultant­e en documentat­ion.
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Chrysoula Zacharopou­lou, gynécologu­e et chirurgien­ne, devenue eurodéputé­e et membre du groupe Renew Europe.
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• L’ENDOMÉTRIO­SE, UNE MALADIE INTIME QUI GÂCHE LA VIE DES FEMMES. NOTRE DOSSIER COMPLET SUR MARIECLAIR­E.FR
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