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Au début du XIXe siècle, cette Anglaise brisa bien des conventions. Propriétaire terrienne et voyageuse, elle vécut même ouvertement avec quelques-unes de ses (nombreuses) conquêtes féminines. Par Françoise-Marie Santucci
Elle ne porte qu’une seule couleur: le noir. Pas de pastel, aucun chichi. Anne Lister, née fin XVIIIe dans le Yorkshire au sein d’une famille de la petite bourgeoisie terrienne, hérite d’un domaine qu’elle ne cesse d’embellir, et dirige ses domestiques d’une main de fer: de ce côté-là, la révolution peut attendre. Sa singularité réside ailleurs – dans la chambre à coucher. Dès l’adolescence, elle vit une aventure passionnée avec une amie de pensionnat, puis séduira des dizaines d’autres femmes au cours d’une vie intense quoique brève – la maladie l’emporte à 49 ans. Décrite comme masculine malgré ses jupes longues et surnommée «Gentleman Jack», Anne Lister affiche une audace mal vue chez le «sexe faible»: voyager en Europe, exploiter une mine de charbon, tenir tête aux hommes forts de sa région… Et leur ravir leurs épouses! Son donjuanisme nous est parvenu grâce à son monumental journal intime (plus de vingt tomes), qui la révèle autant graphomane qu’érotomane. Et maligne. Si elle raconte sa vie par le menu (ses soucis de propriétaire, ses voyages), les passages sur ses amours sont cryptés. Au cas où. Dans le code secret qu’elle met au point, entre chiffres et
lettres de l’alphabet grec, l’une de ses amantes est ainsi désignée: -Zp4z-z. Le code ne sera «cracké» que bien plus tard par l’un de ses descendants, à qui l’on conseille de brûler ces carnets à l’écriture si crue, si choquante… Il n’en fait rien, mais choisit de les cacher à nouveau. Enfin découvert, le journal est ajouté au patrimoine de l’Unesco en 2011, en tant que récit « unique » de la vie lesbienne. Au Royaume-Uni, Anne Lister est l’héroïne de nombreux ouvrages, y compris de fiction. Dernière en date, une série disponible sur OCS, Gentleman Jack*, où elle s’avère irrésistible.
(*) De Sally Wainwright, avec Suranne Jones.